Les droits d’auteurs et la collecte de redevances en Gambie
Par Hassoum Cessay
Voici un aperçu des droits d’auteurs et des méthodes de collecte de redevances en Gambie.
Contexte
La première loi sur les droits d’auteurs en Gambie dénommée l’Ordonnance de Droits d’Auteur (Copyright Ordinance), fut votée par le gouvernement colonial en 1911. L’ordonnance ne protégeait visiblement que les textes et documents écrits étant les principaux produits créatifs provenant de la colonie. Une grande partie étant en effet du matériel publié par le gouvernement colonial tels que des documents parlementaires, des insertions de gazette, des rapports et discours par des autorités gouvernementales telles que le Gouverneur britannique. Le très faible niveau d’alphabétisation à l’époque signifiait qu’il y avait très peu d’écriture créative ou de publications par des gambiens locaux pour la plus grande partie de la période coloniale.
La situation changea après l’indépendance en 1965 avec des écrivains produisant quelques publications qui étaient cependant publiées à l’étranger. La musique et le théâtre commencèrent aussi à se développer après l’indépendance avec des groupes tels que les Super Eagles, Ifangbondi et Guelewar ; mais la loi sur les droits d’auteurs stagna et demeura stationnaire.
Avec la croissance des média au début des années 90 et la création de plusieurs stations de radio et de journaux privés, il était de plus en plus urgent d’avoir une nouvelle loi reflétant les changements du paysage créatif et artistique. La Gambie signa la Convention de Berne sur la protection des droits artistiques et créatifs en 1993. Ceci a offert l’opportunité pour une nouvelle loi qui refléterait aussi les dispositions de la Convention.
La législation et les régulations
On initia des consultations en 2001 avec différents acteurs pour formuler une nouvelle loi sur la protection des droits d’auteurs pour le pays et leurs opinions furent mises dans un document de travail constituant la base de la nouvelle Loi sur les Droits d’Auteurs de 2004 remplaçant l’Ordonnance de 1911. La loi de 2004 étend la protection des droits d’auteurs pour inclure des œuvres créatives, artistiques, de chorégraphiques, des signes et des adaptations de citoyens ou de résidents en Gambie dans des pays signataires de la Convention internationale de Berne. La loi instaure aussi la création d’une entité autonome dénommée la Société de Gestion Collective de Gambie pour collecter les redevances d’artistes dont les œuvres sont utilisées par des stations radios, boites de nuit, taxis, hôtels etc… Selon la loi, cette entité devrait être instaurée et dirigée par les artistes eux-mêmes.
Mais la loi vint avant que toute infrastructure ne soit mise en place pour appliquer ses dispositions. Il n’y avait par exemple aucune association d’artistes pour englober la société de gestion collective. Le Centre National d’Arts et de Culture (NCAC) mandaté pour administrer la loi n’avait pas encore d’autorité dénommée en particulier pour diriger le bureau des droits d’auteurs principalement à cause de contraintes de recrutement. En plus, pour quasiment toute la communauté artistique, l’idée de droits d’auteurs était totalement étrangère qu’il ne pouvait aucunement se référer. Ajouté à cela était la dure réalité qu’il n’y a pas (et toujours pas selon certains) d’industrie musicale, du film ou du livre, ne serait-ce dans le sens de maisons de disques, studios, éditeurs, distributeurs etc.
Une seule règlementation, la réglementation d’Enregistrement des Œuvres 2010 a été signée par le Ministre du Tourisme et de la Culture. Ce texte prévoit un formulaire d’inscription, des tarifs prescrits ainsi qu’un certificat de détention de droits d’auteurs. Une série de régulations sur les droits d’auteurs et sur les opérations de la Société de Gestion Collective ainsi que l’accréditation de producteurs, éditeurs et imprimeurs est en rédaction.
Le Bureau des Droits d’Auteurs
La Loi sur les Droits d’Auteurs de 2004 prévoit un bureau des droits d’auteurs sous la NCAC. Il a pour rôle de :
- (a) enregistrer les œuvres de propriété intellectuelle telles que les films, livres, produits musicaux,
- (b) lutter contre le piratage, et
- (c) sensibiliser le public sur les droits d’auteurs
Concernant la sensibilisation, le bureau des droits d’auteurs a organisé ces cinq dernières années des séminaires internationaux de formation, des ateliers et des réunions destinés aux acteurs du secteur des droits d’auteurs, principalement financé et organisé par l’OMPI, la CEDEAO, l’ARIPO et d’autres partenaires. Ces activités ont aidé à diffuser le message des droits d’auteurs à la communauté créative en plus des régulières sorties médiatiques sur les droits d’auteurs par le directeur du bureau des droits d’auteurs.
La Société de Gestion Collective de Gambie (CSG)
La loi sur les droits d’auteurs dispose aussi de la création d’une institution autonome dénommée la Société de Gestion Collective de Gambie (CSG) pour collecter les redevances d’artistes dont les œuvres sont utilisées par les stations radio, boites de nuit, taxis, hôtels etc. L’entité devrait être installée et gérée par les artistes eux-mêmes. Le NCAC fait partie du bureau d’administration de neuf membres et n’a qu’un rôle règlementaire. Le NCAC a activement soutenu pour que des artistes (musiciens comme écrivains, acteurs et comédiens) s’assemblent en association afin que la société de gestion collective commence à opérer.
Le Bureau des Droits d’Auteurs est finalement parvenu en mai 2013 à convoquer l’assemblée constitutive de la Société de Gestion Collective. Les six associations artistiques nationales (l’Association des Ecrivains de Gambie; l’Union Musicale de Gambie ; l’Association des Producteurs Gambiens de Films ; l’Association des Producteurs Gambiens de Musique ; l’Association des Editeurs de Gambie et l’Association de Théâtre et de Dance de Gambie) listées dans la loi constitutive du Bureau d’Administration ont eu des représentants. Le Bureau de neuf membres a été pleinement constitué et a depuis commencé à œuvrer. Ils ont des rencontres régulières et ont bénéficié d’un séminaire de formation organisé par l’OMPI en Octobre 2013. La constitution du Bureau est en effet une des réussites du gouvernement gambien dans le secteur des droits d’auteurs. Le Bureau a déjà commencé à opérer avec des volontaires enregistrant des œuvres et des inscriptions du Bureau Administratif.
Un autre grand succès de la Société est qu’elle a développé un plan à court terme de trois ans pour guider ses actions et ses programmes préparés avec l’aide d’un consultant de l’OMPI, Rob Hoiijer d’Afrique du Sud. Lorsque les finances sont disponibles, le plan de travail sera mis en place.
L’Exécution
La loi de 2004 a des dispositions claires et décisives pour l’exécution. Par exemple, la loi prévoit que des inspecteurs des droits d’auteurs sous le Bureau des Droits d’Auteurs, mandatés par des pouvoirs de police pour pénétrer et fouiller des lieux où l’on suspecte la violation de droits d’auteurs. De plus, le NCAC a établi d’excellentes relations avec la section des fraudes de la Force de Police Gambienne (GPF) aussi mandatés pour couvrir des affaires de violations de droits d’auteurs tels que le piratage ou la contrefaçon. C’est évidemment la responsabilité première du détenteur de droit d’assurer qu’il a pris les mesures légales nécessaires lorsque ses droits sont atteints.
L’enregistrement
Même si la Convention de Berne n’impose pas la formalité d’enregistrer les œuvres comme prérequis pour la protection des droits d’auteurs, la loi gambienne sur les Droits d’Auteurs de 2004 permet au gouvernement d’établir une base de données de travaux ainsi qu’offre des preuves d’appartenance. Il y a un bon volume régulier d’œuvres déposées par des créateurs voulant s’enregistrer.
Les obstacles
Malgré des progrès dans la protection des droits d’auteurs et la collecte des redevances en Gambie, de nombreux obstacles demeurent. C’est tout d’abord une association artistique assez léthargique. Les artistes gambiens refusent toujours de reconnaître leur place incontestable comme détenteurs de droits d’auteurs. La loi met les artistes à travers leurs associations officielles, au centre de l’exécution du mandat de la société de gestion collective. La loi établie clairement la société comme une entité. Ceci en collaboration avec le souhait du gouvernement de voir une économie impulsée par le secteur privé. Dans beaucoup d’autres pays, ce sont les artistes qui s’unissent pour se réunir en société de gestion collective et ensuite demander au gouvernement les lois nécessaires. Un bon exemple est le Sénégal où les artistes ont réussi à créer une société de gestion collective dirigée par des artistes. Les artistes gambiens doivent en conséquence renforcer leurs associations afin de faire fonctionner la société de gestion collective.
Un deuxième grand obstacle est le manque visible de capacité dans le secteur des droits d’auteurs. L’industrie créative de la Gambie est encore grandement dans sa phase formative. L’industrie du livre par exemple n’a pas d’éditeurs de livres – au lieu de cela il y a des éditeurs et des imprimeurs travaillant à la demande d’auteurs. Les auteurs distribuent leurs livres eux-mêmes. Dans l’industrie du disque, les artistes ont peu de connaissances sur les droits d’auteurs et nécessitent d’être éduqués à ce sujet. Hélas le Bureau des Droits d’Auteurs est limité en ressources, en personnel et en budget pour pleinement effectuer ses responsabilités.
L’avenir
Malgré les obstacles, les perspectives d’avenir sont bonnes. Tout d’abord le secteur créatif gambien continue de grandir de manière exponentielle. Le rôle et la pertinence des droits d’auteurs continue donc d’être un puissant outil pour ce secteur crucial pour la population. Ensuite, le nouveau papier stratégique du Ministère du Tourisme et de la Culture a catégoriquement mis le développement des droits d’auteurs au sein de ses priorités, en particulier la rédaction de réglementation pour soutenir l’exécution des droits d’auteurs. Ceci montre une intention politique du Ministère au plus niveau. Troisièmement, la Société de Gestion Collective devrait bientôt être opérationnelle afin d’habiliter économiquement les artistes. Finalement, au fil des années le NCAC a réussi à gagner la confiance de partenaires intéressé dans le secteur des droits d’auteurs au niveau local ainsi qu’international, ce qui permet d’espérer en termes de projets de financements de programmes.
Lectures complémentaires
- Ceesay H. 2015. « 2004-2014 : Ten years of Copyright Law in the Gambia :Progress, Pitfalls, Prospects. » NCAC rapport non publié.
- Loi sur les Droits d’Auteurs de Gambie, 2004, Banjul, Imprimerie du Gouvernement Gambien. Accessible en ligne sur http://wipo.int/wipolex/en/details.jsp?id=9346
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