Les femmes dans la musique à Maurice
Par Zack Maurice
Si pendant longtemps les préjugés entourant le séga ont été lourds à porter par les artistes mauriciens, le poids a été davantage ressenti par les femmes évoluant dans ce domaine. Mais leur détermination a forcé le respect, et elles constituent désormais un des maillons forts des musiques de Maurice.
Les voix féminines qui s’élèvent sont suffisamment structurées et puissantes pour permettre à la Mauricienne d’occuper une place prépondérante sur la scène dans divers registres.
- Linzi Bacbotte lors d'un concert. Photo: DR
Linzy Bacbotte-Raya, Jane Constance, Laura Beg, Caroline Jodun, les Sœurs Clarisse, Sandra Mayotte, Nancy Dérougère, Jasmine Toulouse, Catherine Velienne, Marie Josée Couronne, Marie-Josée Clency, Meera Mohun, Véronique Zuël-Bungaroo et plusieurs autres noms qui mériteraient d’être cités pour parler des voix féminines qui constituent en ce moment les têtes d’affiche de la musique à Maurice.
Séga, seggae, classique, variété, chanson orientale, musiques nouvelles et actuelle, jazz, blues, elles évoluent dans les principaux registres populaires du pays.
Certes, elles ne sont pas aussi nombreuses que les hommes à occuper le devant de la scène musicale. Mais, les femmes qui y sont parvenues jouissent d’une belle notoriété. Elles s’appuient aussi sur le soutien d’un public conquis à leur cause et qui partage l’idée que la note de fraicheur nécessaire à la musique mauricienne doit être féminine. Ce, principalement au niveau de la musique traditionnelle du pays ; le séga.
Cette évidence a été davantage confirmée en 2016 lors de la troisième édition du concert annuel à 100% féminin, Kozé Fam (Exprime-toi femme !), qui s’est une fois de plus joué à guichets fermés à l'auditorium JNJ, une des salles de concerts parmi les plus prisées du pays. Pour l’occasion, l’organisation avait présenté au public sept nouvelles chanteuses qui constituent déjà la relève au niveau de la chanson locale.
Trois ans auparavant, l’idée avait tout de suite séduit lorsque la première édition avait été annoncée. En reprenant un répertoire principalement composé de ségas et de chansons locales, celles qualifiées de “divas de la musique mauricienne” avaient été à la hauteur des attentes et avaient offert au public un spectacle de qualité qui a permis au concept de s’inscrire dans le temps.
Mais, historiquement, la route a été longue et sinueuse pour celles qui avaient choisi de s’engager sur la voie du séga. Le respect et l’admiration témoignés envers les artistes féminins évoluant dans ce domaine ont été durement gagnés à force de persévérance et de détermination.
Né dans les camps d’esclaves aux abords des plantations de cannes à sucre, le séga a longtemps souffert des préjugés, voire, de mépris, de la part de la bourgeoisie et de ceux qui voulaient se présenter comme les bien-pensants. Légende vivante du séga, le tribun Serge Lebrasse parle toujours des débuts difficiles qu’il a connus en raison du jugement négatif porté sur la musique mauricienne. Tandis que ce successeur de Ti Frer et quelques autres chanteurs de l’époque acceptaient quand même de braver les interdits par des tubes qui ont fait danser génération après génération, peu de femmes osaient s’aventurer sur ce terrain. Les préjugés étaient encore plus acerbes envers ces dernières.
Marlène Ravaton, qui accompagnait Ti Frer et qui gratifia le public de la région de Quartier Militaire d’un mémorable « Ti Pierre », «Ti Paul », ne put progresser davantage dans ce qui aurait pu être une brillante carrière au milieu des années 1900. Ironiquement, durant cette même période, alors que le séga était associé aux nwar cholos (Termes créoles à connotation dépréciative désignant la basse classe), c’est une chanteuse de la bourgeoisie qui le porta à la radio à travers la voix de Maria Varlez. Maria Séga, comme elle se surnomma, devint célèbre pour « La pointe aux piment » avec lequel elle se rendit aussi à Paris. Là-bas, elle devint l’ambassadrice de la musique mauricienne en reprenant, entre autres, la comptine du patrimoine mauricien : « La Rivier Tanier » .
Dans le district de Rivière-Noire, sur la côte ouest, Josiane Cassambo prend naissance dans une famille où le séga et la tradition de la ravanne sont profondément ancrés. Vers la fin des années 70, la voix éraillée et puissante de celle que l’on surnomme aujourd’hui Grand-mère Josianne fera monter vers les cieux et dans l’histoire son célèbre refrain : “Mo tangale li finn ale.” Il en sera de même pour des titres comme « Sofé ravann » , « Sega foutan », « Séri coco », « Zégui masinn ». Certaines de ces chansons seront reprises quelques années plus tard, dans un contexte devenu plus serein, par ses nièces dont Daniella Résidu ou encore Nancy Dérougère, les nouvelles références du séga.
Ces dernières auront compté sur les efforts de leur tante et de ségatières comme Catherine Velienne, Marie-Josée Couronne, Marie-Josée Clency et d’autres encore qui ont su prouver qu’il y avait définitivement une autre forme de noblesse, une grande générosité et de la fierté dans le séga. Au milieu des années 90 c’est ainsi que commença à apparaître une nouvelle génération de chanteuses mauriciennes, qui loin des clichés, contribueront à porter le séga dans une ère nouvelle.
Une des incontournables de la scène mauricienne, Linzy Bacbotte-Raya, 39 ans, célèbre en 2017 ses 30 ans de carrière. Révélée quand elle était enfant lors du concours de chants télévisé, Star 2000, cette chanteuse a grandi devant le public mauricien qui l’a suivie dans les différentes étapes à travers laquelle elle a construit sa réputation et sa carrière.
En 2016, c’est aussi elle qui incarnait Deloris Van Cartier dans la reprise mauricienne de la comédie musicale Sister Act. Un spectacle ambitieux qu’elle a porté sur ses épaules et qui a été repris en février 2017 suite à la très forte demande exprimée par le public. Jusqu’alors cette chanteuse versatile avait fait ses preuves dans différents registres : variété, gospel, reggae, séga. En 2007 et 2008, elle fut la première chanteuse mauricienne à se produire à guichets fermés dans la principale salle de concert de Maurice à Pailles.
Linzy Bacbotte est aussi l’initiatrice du projet Kozé Fam. L’un de ses premiers grands projets fut la reprise des ségas de Serge Lebrasse aux côtés de ce dernier. L’album avait reçu un bel accueil, signe que les choses avaient commencé à changer.
De plus en plus, il est aussi noté que d’anciennes choristes quittent l’arrière de la scène pour mieux s’affirmer par des projets d’albums lancés à leurs noms. Il y a quelques années, l’animatrice et choriste du groupe Cassiya avait fait ce premier pas, et depuis elle mène une brillante carrière solo marquée par plusieurs albums et des concerts sur différents continents. Sandra Mayotte a aussi été la première mauricienne lauréate des Kora Awards.
Laura Beg, qui avait débuté comme choriste de Ravana aux côtés d’Alain Ramanisum, Caroline Jodun ou encore Cindia Amerally ont aussi suivi la même voie. Ex-choristes d’Erasure et qui ont côtoyé des grands noms de la pop et de la variété, les Sœurs Clarisse ont aussi lancé leur album il y a quelques temps dans un mélange blues, jazz, folk, séga.
La scène lyrique est aussi occupée par quelques divas mauriciennes dont Véronique Zuël-Bungaroo. Au niveau oriental, Shweta Baboolall, Meera Mohun et d’autres chanteuses sont connues pour leurs capacités à s’approprier les grands titres de Bollywood aussi bien que leurs compositions.
L’un des grands phénomènes du moment à Maurice est Jane Constance. Chanteuse malvoyante gagnante de The Voice Kids, cette dernière construit sa carrière comme personne auparavant. Un premier album lancé en France, l’adolescente fait la fierté de Maurice à travers son courage et son talent.
A ses côtés, une nouvelle génération de chanteuse poursuit l’évolution du paysage musical de Maurice en s’inscrivant dans le registre des musiques actuelles et nouvelles. Séga rythmé de blues, de jazz ou de sonorités orientales, Emlyn, Mélanie Pérès, Savasrati Mallac, Anouchka Massoudy disent à travers la fraicheur de leurs voix que l’histoire de la musique mauricienne s’écrit de plus en plus au féminin.
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