Les femmes dans la musique bissau-guinéenne
Traditionnellement, les femmes sont peu présentes dans la musique de Guinée Bissau hormis dans quelques styles comme les rythmes tina, forme de sega de Guinée Bissau.
- Eneida Marta (Photo) : eko.cat
Le « mandjuandade » : vecteur d’expression musical des femmes
Cette musique se joue avec l’instrument du même nom, récipient cylindrique rempli d’eau dans laquelle flotte une calebasse creuse tournée vers le bas, une musique régénérée par des manifestations comme le Carnaval qui a lieu chaque année en février.
Le Grupo Harmonia de Luanda, du nom d’un quartier de la capitale guinéenne, revalorise quant à lui une forme de batuque (rythme très cadencé interprété par les femmes qui chantent traditionnellement des complaintes dénonçant les problèmes conjugaux mais se mobilisent aujourd’hui pour la paix et la fin des conflits).
Les femmes guinéennes participent également activement aux « mandjuandades » féminines, organisations associatives formées sur une base volontaire et égalitaire et dans lesquelles la musique représente un vecteur essentiel d’expression...
Le groupe Netos de Bandim fondé en 2000 par Ector Diogenes Cassamá et réunissant des jeunes des quartiers défavorisés fait la promotion des musiques traditionnelles du pays, investit ses gains dans des projets éducatifs et participe à ce mouvement féministe qui tente de revaloriser l’image de la femme, « Fondamentalement le « mandjuandade» est un moyen pour les femmes d'exprimer leurs sentiments, explique le bloggeur Aly Silva, c'est une source de conseils, parce que quand le mari entend la chanson, il sait que les femmes racontent ce qui se passe à la maison. Aujourd'hui, il ne s'agit plus des relations dans le couple et elles n'utilisent plus des calebasses mais plutôt des tambours et des percussions pour accompagner leurs chants ».
Mais l’apparition en public, la valorisation par la musique du statut de la femme au sein de ces manifestations est encore aujourd’hui un challenge. « En dépit du caractère rassembleur et solidaire des « mandjuandades », il y a toujours des obstacles pour les femmes en Guinée-Bissau, explique Sara Moreira, animatrice du blog participatif Citizen Action. Elles sont mal vues quand elles participent à des actions de ce genre, leurs maris peuvent être jaloux. Et parfois, elles peuvent avoir un excès de travail à la maison qui ne leur laisse pas le temps de s'impliquer dans une dynamique associative ».
Dulce Neves : la pionnière
Chanteuse à ses débuts dans le groupe mythique Super Mama Djombo, Dulces Neves est l’une des rares artistes pionnières de Guinée Bissau et elle est devenue une icône pour la nouvelle génération. Issue d’une famille de musiciens, elle débute à l’âge de 16 ans dans le groupe fondé par Adrian Atchuchi dans les années 1970.
Formation militante dénonçant le colonialisme portugais, Super Mama Djombo chante en kriol, une synthèse entre le portugais et les langues locales, interdite sous le régime de Salazar. Marqué par le jazz et la musique cubaine, il modernise plusieurs rythmes du pays comme le goumbe, la musique mandingue et le kizomba, forme de zouk angolais. La voix juvénile et claire de Dulce Neves apporte alors une touche originale et totalement nouvelle sur la scène musicale nationale. Quand le groupe se sépare dans les années 1980, Dulce Neves entame une carrière solo et enregistre plusieurs albums dont Nha Destino. Ses titres phare sont « Queridi », « Ncana Cala », « Tavares ».
En 2002, elle dénonce dans un titre virulent la situation dramatique des femmes dont le mari entretient plusieurs maîtresses et abandonne de plus en plus souvent le domicile conjugal.
Alors que beaucoup de musiciens s’exilent au Portugal, Dulce Neves s’attache à rester au pays tout en menant une carrière internationale. Elle s’est notamment produite à Londres, Lisbonne, Sao Tomé et Principe et aux États-Unis en 2017 où la diaspora lui a rendu un vibrant hommage.
Une nouvelle génération de chanteuses
L’icône des indépendances a donc ouvert la voie à de nombreuses chanteuses qui commencent à s’imposer sur la scène nationale et internationale depuis les années 2000. Fille d’Aliu Bari, leader du groupe mythique Cobiana Jazz, Tchuma Bari est une des figures montantes de la nouvelle génération.
Influencée par les rythmes latinos et le zouk, elle propose des chansons d’amour et des chants patriotiques. Sortie de l’Ecole Nationale d’administration, révélée en 2012 par le titre «Nha Terra », elle est depuis 2014 ambassadrice de l’UNICEF pour la Guinée Bissau, se mobilise contre l’excision qui touche selon les sources officielles 50% des femmes du pays entre 15 et 49 ans. Elle a enregistré plusieurs clips dont « Meu Amor » en 2016 et « No Stress » en 2017.
Eneida Marta est née et a grandi en Guinée-Bissau, où, enfant, elle a été bercée par les musiques d’Afrique lusophone, (goumbé, kassoundé, semba, morna). Fille d’un chanteur d’origine angolaise, installée au Portugal, Eneida a commencé à chanter dans les mariages et les fêtes de circoncision. Elle a signé trois albums, Nô Stória (2001), Amari (2002) et Lope Kai (2006) en compagnie du compositeur Juca Delgado.
Née en Normandie mais originaire de Guinée-Bissau, Claire Gomis dite « Zalyka » est une chanteuse à la voix soul. Auteur, compositrice et interprète, elle a mûri son talent au sein de multiples chorales de gospel parisiennes dont Gospel pour 100 voix. Choriste de Liz McComb, Rhoda Scott, Gilbert Bécaud Michel Fugain et Carol Fredericks, elle signe en 2009 Follow your dreams, un album entre jazz, gospel, blues, folk et styles afro chanté en mandjak, sa langue natale. En 2017, elle sort un second album, Adoro viajar et se produit à Bissau en décembre de la même année. En 2018, elle est nommée « révélation de l’année » pour les Awards de la musique bissau-guinéenne organisés à Lisbonne.
Chanteuse, compositrice, journaliste de formation, Karyna Gomes est née d’un père bissau-guinéen et d’une mère capverdienne. Influencée par l’Afrique, le Brésil et l’Europe, elle fait ses débuts au Brésil au sein du groupe de Sao Paulo, Rejoicing Mass Choir. Invitée par Adriano Atchutchi à chanter au sein du Super Mama Djombo, elle signe en 2014 son premier album solo Mindjer, ode à la femme guinéenne, symbole de courage, de détermination et de force, qui lui vaut un show case au salon du Cap-Vert, Atlantic Music Expo. Elle s'est produite en 2017 au festival Saudi sa Busara de Zanzibar et en Pologne et vit aujourd’hui à Lisbonne.
Née en Guinée Bissau, installée à Lisbonne puis en France, influencé par le zouk, le goumbe, le rap, Monica Pereira sort en 2018 un album engagé aux couleurs jazz, zouk, mandingue et electropical, Mulher Do Sol. Assisté d’artistes prestigieux comme Toumani et Sidiki Diabaté ainsi que du sénégalais Abdoulaye Diabaté, pilier du Kora Jazz Band, elle y reprend des titres comme « Sodade» immortalisé par Cesaria Evora et « Il venait d’avoir 18 ans » de Dalida.
D’autres chanteuses tentent aujourd’hui d’émerger sur la scène nationale comme Tatiana et Nadia Nanqui, programmées à la dernière fête de la musique du Centre Culturel Français de Guinée Bissau. La relève est donc assurée...
Sources :
http://www.afrisson.com/Eneida-Marta-11337.html
http://www.afrisson.com/Zalyka-6191.html
//fr.globalvoices.org/2012/08/31/137872/
https://www.voaportugues.com/a/homenagem-dulce-neves-voz-doce-guine-biss...
http://www.plataformamacau.com/lusofonia/guine-bissau/guineense-tchuma-b...
http://www.panapress.com/Le-mariage-a-perdu-sa-valeur-en-Guinee-Bissau,-...
https://gindungo.org/pt/artistas/karyna-gomes/
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Édité par Lamine BA
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