Les Filles de Illighadad : trois chanteuses dans le vent
Thomas Ayissi
Fatou Seidi Ghali a deux cousines Alamnou Akrouni et Mariama Salah Assouan. Le trio joue des rythmes traditionnels du Niger et ose le métissage en incluant des instruments modernes (guitare sèche et basse).
Fin 2016, les « filles de Illighadad » ont enregistré leur premier album en plein air dans le vaste désert où elles sont nées. Entre fin 2016 et mi 2017, elles ont fait plusieurs tournées en Europe. La musique des « filles de Illighadad » est la célébration de la sobriété, des voyages et de la découverte.
Sobriété, car sur le plan musical, l’atmosphère sonore est minimaliste. Fatou entonne les chants repris en chœurs par Alamnou et Mariama. Ces chants traditionnellement joués par les femmes du Niger accompagnent en général des évènements heureux tels les mariages, les baptêmes, les courses et parades de chameaux. Dans le désert, le public est essentiellement féminin, il ne se contente pas d’écouter chanter, il danse, bat des mains et fait des youyous…
Pour les personnes n’étant pas nées dans la culture nigérienne, la seule vue du trio est un voyage. Toutes les filles ont à peine une vingtaine d’années et semblent vivre dans un monde à part, celui des caravanes, des nomades, celui du silence des vastes étendues de sable. Pas besoin de comprendre la langue pour savoir que ces chants découlent de techniques vocales très anciennes. Inutile d’être féru de culture nigérienne pour percevoir que chanter est, pour ces femmes à la fois un moyen de conserver les usages, les coutumes et un outil politique pour contester parfois. Qui a dit que sous leurs voiles, ces très pudiques femmes africaines venues du désert n’étaient pas libres, fortes et engagées ?
Ecouter les « filles de Illighadad », c’est plonger dans un univers hors du temps urbain, donc se régénérer. C’est aussi découvrir le quotidien des peuples nomades du Niger. Assister à un concert des « filles de Illighadad » c’est effleurer la texture des rapports parents-enfants faits d’incompréhension, de doute, d’amour, de surprises agréables ou non. Ecouter les « filles de Illighadad » c’est photographier les rêves de ces chanteuses profondément ancrées dans leur tradition et subtilement progressistes. Ecouter les « filles de Illighadad » c’est, s’imprégner des histoires venues de temps immémoriaux, mais aussi vivre des drames contemporains tels le vide affectif et culturel habitant les nomades que l’exode rural ou l’obligation étatique de sédentarisation a éloignés des dunes, des tentes et des nuits à la belle étoile.
S’initier ou replonger dans la musique des « filles de Illighadad » c’est également découvrir ou retrouver le son sourd et particulier du « Tende », un tam-tam composé d’un mortier recouvert de cuir et d’un tissu mouillé. Autre découverte instrumentale : le ‘assaqalabo’ constitué d’une grande bassine remplie de l’eau dans laquelle est posée à la renverse une calebasse frappée à l’aide d’un soulier.
L’album de ce trio oscille entre blues et musiques du désert, il est sorti le 24 novembre 2016. Composé de 6 titres, l’album est à l’image des artistes : surprenant ! Y compris sur des détails relevant de la forme : la chanson la plus courte « Achibaba » dure 02 minutes 46. Quant à la plus longue « Tende » elle s’achève au bout de 17 minutes 50 ! Pas de doute, cet album n’est pas un produit commercial au sens classique du terme. C’est un objet de collection, un objet rare, singulier que tout mélomane voulant et pouvant sortir de sa zone de confort auditive doit avoir.
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