Les musiques sacrées au Sénégal
Dans un pays où la religion occupe une place trés importante, le chant religieux ainsi que la musique d’inspiration religieuse ont une place importante dans la vie sénégalaise. Mais comment sonnent-ils ?
La musique sacrée ou musique religieuse a une place importante au Sénégal.
En effet, du nord au sud de ce pays extrêmement croyant où musulmans et chrétiens font 99 % de la population, le chant religieux ainsi que la musique d’inspiration religieuse prennent une place importante. Evidemment, son intensité et sa forme sont différentes selon que l’on soit chrétien, musulman ou animiste.
L’Islam au Sénégal est confrérique. Il y’a les Mourides, les Tidianes, les Layènes ou encore les Khadres. Chaque confrérie psalmodie les poèmes à la gloire du prophète Mohamed (PSL) qu’écrivent les guides et marabouts de l’ordre. Ces panégyriques vont inspirer des chanteurs modernes et traditionnels.
Les chants Mourides
Fondé par Cheikh Ahmadou Bamba (1853-1927), le Mouridisme est une confrérie soufie qui n’échappe pas aux chants sacrés. Le Cheikh a beaucoup écrit sur le prophète Muhamed (PSL). Il a écrit sur le bon comportement (comment doit se comporter le disciple mouride), et il a écrit aussi sur le travail, la paix et la jeunesse.
Tous ses écris sont aujourd’hui chantés. L’un des plus célèbres chanteurs de la confrérie se nomme Abdoulaye Niang. Sa renommée dépasse le cercle mouride et il est admiré par la plupart des sénégalais. Il a chanté exclusivement les khassaïdes (poèmes) de Cheikh Ahmadou Bamba.
Contrairement à d’autres qui ont ajouté les textes de Serigne Musa Ka, un peulh devenu disciple de Bamba et qui parla mieux wolof que les Wolofs. Dans la confrérie Mouride, Musa Dieng Kala, un compositeur et réalisateur vivant au Canada a repris les textes de Cheikh Ahmadou Bamba et en a sorti 3 albums Shakawtu, Faith et Salimto.
Le Grand Magal de Touba qui célèbre le retour d’exil de Cheikh Ahmadou Bamba du Gabon où l’administration coloniale l’avait envoyé, offre l’occasion d’entendre les khassaïdes sous différentes formes.
Les Chants Tidjanes
Autre confrérie, le Tidjianisme introduit au Sénégal par Cheikh Oumar Foutiyou Tall (entre 1749 et 1794- 1864), un éminent savant et résistant, le Tidjianisme est le premier ordre du pays en termes de disciples. Il a été propagé par El Hadj Malick Sy (1855-1922).
Ce dernier a laissé un nombre important de textes. Ils parlent de soufisme pour l’essentiel, mais pas que de ça. Ils parlent du bon comportement du musulman, du travail. Certains sont écrits à la gloire de Cheikh Ahmet Tidjani fondateur de la confrérie.
El Hadj Malick est aussi connu pour être un des meilleurs biographes du prophète de l’Islam. L’ensemble de ses écrits font l’objet de chants dont les principaux dépositaires restent les familles Mbaye et Mbaaye de Tivaouane.
L’un des plus célèbres est le chanteur Abdoul Aziz Mbaaye. Une voix haut-perchée et qui reprend l’essentiel des écrits de El Hadj Malick Sy et de ses descendants. Le Gamou de Tivaouane est la grande occasion à la gloire du prophète Muhamed et le moment idéal pour voir déclamer les écrits d’El Hadj Malick Sy dont le plus connu reste Khilaçu ez-Zahab (L’or décanté)
Les Chants Layennes
Chez les Layenes, une confrérie fondée par Seydina Limamou Lahi (1843-1909), le chant occupe une place extrêmement importante. Comme les deux ordres précédents, les Layènes chantent les louanges du prophète.
La proximité de la confrérie avec le pays lébou (habitants de Dakar vivant essentiellement de la pêche) fait que leurs chants et les chorégraphies qui l’accompagnent rappellent les pagayeurs.
Le point commun de toutes ces communautés en ce qui concerne le chant, c’est aussi, la non– utilisation des instruments de musique. Sauf dans les confréries mourides et Khadres où les percussions peuvent accompagner les soirées religieuses.
Si chez les Khadres, les percussions (Tabala) sont systématiquement utilisées, chez les mourides se sont seulement les « Baye Fall », un sous-groupe du Mouridisme qui font usage de percussions (sabar).
Les orchestres philarmoniques
Cependant, on peut signaler l’introduction petit à petit de groupes musicaux chez les moustarchidines (démembrement de la confrérie Tidiane) et chez les disciples de Serigne Modou Kara Mbacké (petit fils de Cheikh Ahmadou Bamba).
Leurs orchestres philarmoniques jouent régulièrement dans les cérémonies religieuses auxquelles, ils prennent part. À l’image des orchestres arabes, les deux groupes sénégalais jouent les mélodies orientales (même si les textes sont « locaux »).
En résumé, la religion musulmane au Sénégal connait la musique sacrée, mais ne lui accorde pas une place prépondérante. Seul le chant religieux occupe une place centrale contrairement à la religion chrétienne pour qui la musique aussi est un support de prières irremplaçable.
La musique liturgique locale
Amédée Oudiane membre de la célèbre chorale Martyrs de l’Ouganda est actif au sein des chorales depuis 25 ans. Il connait et maitrise à la perfection la dimension musicale de la foi chrétienne. Pour lui, la musique a toujours été présente dans la pratique de la religion catholique au Sénégal.
Héritée de la chrétienté originelle, la musique au Sénégal a subi des mutations profondes suite au Concile Vatican II de l’an 1963, en matière de musique liturgique en déclarant que désormais "on accordera aux traditions musicales locales l'estime qui leur est due et la place convenable". Cette annonce sera à la base du succès des moines de Keur Musa.
Keur Musa fut fondé par 9 moines de l’ordre Saint-Benoît qui, en 1963 en provenance de Solesmes s’installèrent dans la région de Thiès. Fidèle au chant Grégorien en vigueur à Solesmes, ils vont intégrer rapidement les recommandations du Concile Vatican II. L’utilisation de la kora est née dans cette communauté à ce moment.
C’est un prêtre diocésain sénégalais qui leur offre une kora à clefs de bois. Des mandingues venus de la sous-région firent des séjours répétés au monastère. Grâce au père Catta (membre fondateur de l’Abbaye), la kora fut modernisée. Des pièces uniques furent ajoutées à l’instrument pour lui permettre de mieux accompagner les chants religieux.
Aujourd’hui, nombreux sont les fidèles qui se rendent dans la communauté rurale de Keur Musa pour écouter en koras et balafons la messe dominicale. Et pas que fidèles chrétiens d’ailleurs. Des touristes de tout horizon, musulmans, croyants comme non croyants y font un saut pour passer d’agréables moments en musique.
La musique adoucit les mœurs dit-on, celle de Keur Musa encore plus. De cet endroit plein de spiritualité, est sortie une demi-douzaine d’albums dont le premier est: Lumière radieuse en 2007, et le dernier: Quand renaît le matin en 2011. Cette performance a valu à la communauté de recevoir le prix Albert Schweitzer.
Par ailleurs et à propos de performance, il faut saluer celle des chorales du Sénégal. Ils se nomment entre autres: « Les Martyrs de l’Ouganda », « Saint-Joseph de la Medina », « Ziguinchor Nema », « Daniel Brotier » ou encore « Saint-Paul de Grand Yoff ». Ces derniers (Saint-Paul de Grand Yoff), chantent dans toutes les langues nationales nous renseigne Amédée Oudiane.
Les chorales participent ainsi au dialogue des cultures car elles utilisent les instruments traditionnels de tout le pays (Guitare, tam-tam, kora ect) et chantent dans toutes les langues. Enfin, ces chorales prennent une part éminente dans un autre dialogue: le dialogue islamo- chrétien. D’abord, la chorale d’Ouakam accompagne régulièrement les Moustarchidines dans diverses cérémonies, ensuite des chants à la gloire du prophète de l’Islam sont repris par une chorale comme celle de Julien Jouga.
Julien Jouga
Naturellement, on ne peut parler de musique sacrée au Sénégal sans faire référence à Julien Jouga (1931-2001). Chanteur, chef de chœur, il a composé un nombre incalculable d’œuvres.
C’est en 1950 qu’il crée la chorale paroissiale Saint-Joseph de Medina et le chœur sénégalais mais ce natif de la Casamance va marquer l’histoire du chant grâce au Concile Vatican II de 1963. À partir de cette date, il accorda une place considérable au chant polyphonique des ethnies du Sénégal au détriment du chant Grégorien venu d’ailleurs.
Il chanta la messe, les textes sacrés et profanes en wolof, diola, sérère, créole et reprit aussi plusieurs poèmes d’origines musulmanes. Lui-même raconte dans une interview, comment lui est venu ce désir de chanter des textes et des airs musulmans: « dans mon enfance à Ziguinchor (Casamance), tôt le matin, avant l’aube, j’allais à la messe et sur le chemin, je passais devant la mosquée à l’heure de la wasifa (imploration qu’effectue en groupe, après les prières du matin et du crépuscule, les musulmans de la confrérie Tidiane). Je m’arrêtais pour écouter quelques minutes ce chant qui me touchait au plus profond de mon être ».
Julien Jouga est sans doute la figure la plus emblématique du chant choral sénégalais et le représenta un peu partout dans le monde. Jusqu’à la fin de sa vie, il n’a cessé de voyager à travers le monde et de multiplier les expériences notamment avec des chanteurs français comme Maxime Le Forestier, le saxophoniste camerounais Manu Dibango ou encore le grand percussionniste Doudou Ndiaye Rose.
Ce dernier l’a merveilleusement accompagné en 1996 dans l’Album Jaam. Un album dont le son, les voix frisent la perfection. La performance de Julien Jouga et de sa chorale ont été unanimement saluées. Assurément, Jaam est définitivement entré dans le répertoire des grands classiques de la musique sénégalaise, au même titre que des albums d’un Youssou N'Dour.
Quand sacrée et profane se mêlent
Youssou N'Dour Justement s’est également essayé dans ce genre « musique sacré ». En 2004, il sort Egypt, un album dédié au soufisme et où il chante les louanges des grands guides religieux du Sénégal.
Accompagné par l’Orchestre du Caire dirigé par le maitre Fateh Salama, Youssou N'Dour voyage en musique de l’Afrique de l’Ouest vers l’Orient en passant par le Maghreb. L’opus reçu de très belles critiques et obtient un Grammy Awards l’année de sa sortie.
Enfin, la musique sacrée au Sénégal, c’est aussi les rituels traditionnels et païens. De la cérémonie de circoncision, à l’initiation en pays Diola, en passant par les prières pour une pluie abondante et les prières pour les morts, autant de moments qui se font autour de la musique.
Seulement, il est difficile d’en parler eu égard aux nombreux interdits qui entourent certains aspects mystiques de la société traditionnelle. C’est la raison pour laquelle les chanteurs et musiciens reprennent très rarement ces mélodies de peur d’être accusés de blasphème. Malgré tout, timidement et grâce à la modernité galopante, des tabous tombent.
La chanteuse Coumba Gawlo Seck a repris en chanson et en musique la cérémonie nuptiale dans la société traditionnelle wolof Yomalé. Cela lui a valu de nombreuses critiques même si le morceau est devenu un tube et a connu un énorme succès.
En définitive, la musique sacrée au Sénégal connait plusieurs niveaux. Du fait que la religion chrétienne accorde plus d’importance au chant et à la musique que la religion musulmane, elle leur donne plus de visibilité et de place.
En effet, chez les catholiques, comme nous le dit Amédée Oudiane: «Chanter c’est prier deux fois». Toutefois, le Sénégal, semble encore loin de pays comme l’Afrique du Sud qui reste l’une des références en matière de musique religieuse en Afrique notamment avec le Gospel.
Commentaires
s'identifier or register to post comments