Les origines maliennes du Blues
Par Kevin Eze
Le blues est un genre musical et vocal dérivé des chants que chantaient la population afro-américaine dans les plantations et devenu un genre populaire international. Une recherche transatlantique des racines du Blues détermine ses origines dans les rythmes traditionnels et dans la musique orale des peuples du Mali. Cette recherche établit un lien entre la tradition orale, les résonances de son, l'association des idées, son rythme ainsi qu’un lien entre la culture musicale malienne et l'identité afro-américaine du Blues contemporain. Alors que certaines personnes au Mali sont maintenant conscientes et informées de ce lien, beaucoup encore ignore le lien entre les deux genres musicaux. Ali Farka Touré, l’un des plus grands musiciens maliens de renom a une fois affirmé que ce genre ‘n’est autre qu’africain’.
Comme la plupart des pays africains, la musique malienne est multi-ethnique. Enracinée dans l'ancien empire Mandingue et basée sur une forte tradition littéraire, elle est essentiellement orale, portée par les griots qui chantent et récitent des contes ainsi que l’histoire malienne.
Du 16ème au 19ème siècle vint la traite négrière. Pendant cette période, les Africains de l'ouest et du centre du continent ont été expédiés vers l'Europe de l'Ouest ou vers les Amériques. Ces esclaves africains (dont certains étaient maliens) ont emporté avec eux un peu de leurs traditions. La musique qui était (et est toujours d’ailleurs) joué au Mali a été emporté par certains de ces esclaves dans les plantations en Amérique. Ils la jouaient et chantaient en l'absence de leurs maîtres. Apres une longue lutte culturelle, les tambours ont été interdits aux États-Unis. Leur réapparition à Memphis et dans d’autres parties des Etats-Unis, en particulier dans le sud, ainsi que celle des flûtes comme joué au Mali, marque la réapparition de certaines émotions contenues.
De même que la tradition orale a propulsé la performance musicale du Mali, les vocaux forment un élément important de la musique Blues, surtout lorsqu’il s’agit de se lamenter sur ses déboires amoureux ou de réclamer des conditions de meilleures conditions de travail.
L’émergence de la popularité du Blues et ses chansons les plus populaires
Au niveau mondial, la popularité du Blues coïncide avec l'essor de l'industrie du disque commercial. De même, la montée en popularité du Blues au Mali correspond à la période où les musiciens maliens se sont mis à se produire sur la scène internationale et à signer des contrats alléchants. L’album African Blues (Shanachie Records, 1990) d'Ali Farka Touré contient de nombreuses influences américaines et africaines de blues. La mort d'Ali Farka Touré va encourager les spéculations entre ethnomusicologues sur les racines maliennes du Blues. Guitaristes, flûtistes et percussionnistes maliens ont joués côte à côte avec des artistes de blues américains, conduisant à un croisement musical des Blues malien et américain. Un exemple frappant est la fusion entre JeConte et Mali AllStars dont le résultat est l'album Mali Blues (Soul Now Records, 2014)[i] plus une tournée internationale de grande envergure, y compris des spectacles au Copenhaguen World Music Festival. A noter également la collaboration blues entre le guitariste néerlandais Joep Pelt et le musicien malien Baba Salah[ii].
Le Mali dispose d'un large éventail de musiciens qui entre dans la classification ‘Blues’. La liste comprend des artistes de renoms tels que Salif Keita et ses albums Moffu (Emarcy, 2009) et Folon (Island, 2001); Muso Ko et Afriki de Habib Koité (Contre Jour, 2009) (Cumbancha, 2007); African Blues de Ali Farka Touré (Shanachie Records, 1990); Toumani Diabaté (l'un des meilleurs musiciens de Kora au Mali et titulaire d’un Grammy Awards) avec In the Heart of the Moon (World Circuit, 2006), Ali And Toumani (World Circuit 2010) et The Mandé Variations (Mandé Variations, 2008); Oumou Sangaré (Artiste féminine, ce qui est relativement rare dans le Blues qui est un genre à prédominance masculine) avec Bi Furu (World Circuit, 1993) et Seya (World Circuit, 2009); Le Collectif Vieux Farka Touré-Raichel ; et une foule d'autres musiciens plus ou moins connus faisant leur entrée sur la scène internationale mondiale.
Focus International
Le Blues malien constitue l’une des cultures musicales africaines qui bénéficie d'une exposition internationale notable et qui reçoit de nombreuses accolades. Ce genre musical a pris part dans des événements musicaux de classe mondiale comme le festival WOMAD (World of Music, Arts and Dance Festival) que ce soit par une performance de Salif Keita ou de la chanteuse Oumou Sangaré ou encore avec la participation de Vieux Farka Touré à la guitare. Charlton Park (parc où le WOMAD a lieu) s’est enflammé grâce aux rythmes de blues malien.
Le cinéma a également joué un rôle important dans l’histoire du Blues local avec From Mali to Mississipi (AlloCiné, 2003) de Martin Scorsese qui fusionne avec succès le son et la vidéo[iii]. Grâce à son documentaire vidéo (intitulé au départ Feel Like Going Home et sorti en 2004) Scorsese voyage à la recherche des racines du Blues du Mississippi au Mali, dans le troisième épisode d'une série en trois parties intitulée The Roots of Blues, A Musical Journey (Hip- O records / Sony, 2003). De même, le documentaire Dambé : The Mali Project [iv] raconte l'histoire d'un voyage et d’une expérience musicale interculturelle de 3000 miles vécue par deux musiciens irlandais. La radio est également une plate-forme importante pour ce genre musical. Pour les nostalgiques de Blues Malien la chaine radio BBC 3 présentent depuis de nombreuses années des programmes comportant du blues Malien comme l’émission Mali Bambara Blues[v].
Considéré comme le berceau du blues, le Mali suscite un nouvel intérêt pour le développement de l'ethnomusicologie. Le livre de Gerhard Kubik Africa and the Blues (University Press of Mississippi, 1999) est un exemple frappant qui étudie la généalogie du Blues et qui englobe quarante ans de travail de terrain effectué en Afrique, aux États-Unis et ailleurs. Combinant analyses d’experts et accessibilité pour le lecteur, Kubik propose une théorie entièrement nouvelle sur les notes de Blues et leur origine. Retraçant les traits musicaux venus d'Afrique et les mutations et fusions qui se sont produites dans les Amériques, il montre que la tradition afro-américaine que nous appelons Blues est une invention musicale du monde culturel africain.
Grâce au festival, Festival au Désert (Festival in the Désert)[vi] qui a lieu chaque année à Essakane, près de Tombouctou, un style Blues Touareg (Associé principalement aux peuples Touaregs du Sahara y compris ceux du Mali) où la guitare est importante et auquel participe des musiciens du monde entier. Ce Festival a projeté le Blues malien sur la scène internationale. Créé en 2001, le Festival au Désert est un événement annuel qui a lieu dans le nord du Mali. Lors de sa création, il y avait des chants et danses Touaregs, de la poésie, des promenades à dos de chameau ainsi que des jeux. Aujourd'hui, le festival s’est métamorphosé en un événement d’envergure internationale, attirant des musiciens d'autres régions du Mali, des autres pays africains, de l'Europe et du reste du monde.
Le fait aussi que des labels internationaux tels que Sahel Sounds injectent du Blues malien sur le marché mondial et que de plus en plus de musiciens maliens se produisent sur la scène internationale actuellement contribue à sa renommée mondiale.
Les tendances futures
Le Blues malien devrait probablement établir des liens plus solides avec d’autres genres similaires, des liens favorisés par le contexte musical global actuel. De plus en plus de musiciens maliens partagent la scène (ou le studio) avec des musiciens d’autres pays, tentant ainsi d’effectuer un croisement musical ou une fusion, une expérience interculturelle, une tentative de trouver un terrain d'entente. Cette rencontre tout comme l’échange et le dialogue musical est essentiel. Cette fusion peut avoir lieu entre le Blues malien et américain ou même avec d’autres genres similaires d'une autre partie du monde. Une preuve de cette nouvelle tendance est l’album Tel Aviv Session (Cumbancha, 2012) par Vieux Farka Touré et Raichel sorti en 2010. Après que le groupe de Touré ait rejoint Raichel sur scène au Tel Aviv Opera House, ils se sont réunis le lendemain pour une session d’enregistrement en studio et le résultat est Tel Aviv Session, publié par le Collectif Touré-Raichel. Album composé de différents moments de la longue jam session auquel a aussi participé le bassiste israélien Yossi Fine (qui a produit le deuxième album solo de Touré) ainsi que le percussionniste malien Souleymane Kane, le résultat est à la fois touchant et expérimental, et allient douces rythmiques avec les solos acoustiques et la guitare électrique de Touré avec le génie au piano de Raichel.
Le Blues du Mali est une richesse d’information pour les étudiants de musique, les professeurs, journalistes et fans de blues. Ceci, parce que le Mali est essentiel non seulement pour comprendre le parcours global du Blues, mais aussi afin de saisir l’influence majeure de la culture africaine dans son développement.
[i] Ecoutez un extrait sur le site suivant www.themaliblues.com [ii] http://joeppelt.net/videos/joep-pelt-baba-salah-mali-blues/ [iii] Streaming at www.youtube.com?v=75MbaT2EBiw [iv] www.luachra.com/dambe [v] http://www.bbc.co.uk/programmes/p005xlv6 [vi] http://www.festival-au-desert.org/
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