L'industrie du disque au Burkina Faso
L’industrie musicale surfe actuellement sur un vent de succès national grâce au dynamisme de labels dirigés par de jeunes passionnés.
Les premiers sillons de la musique burkinabè ont été tracés au sein des orchestres. L’Harmonie voltaïque, le Super Volta, le Tenko jazz- pour ne citer que ceux-là- faisaient partie de ces formations musicales qui excellaient, après l’indépendance, dans la salsa, la rumba congolaise, la musique française et la musique mandingue.
Certains de ces groupes ont donné à la musique burkinabè ses premières vedettes à l’image de Georges Ouédraogo, Sotigui Kouyaté, Oger Kaboré, Pierre Sandwidi, Amadou Balaké, Jean-Claude Bamogo, Seydou Richard Traoré. Ces célébrités de l’époque, faute de studio, ont été obligées d’enregistrer leurs œuvres dans la sous-région précisément en Côte d’Ivoire, au Nigeria et au Bénin.
En 1996, l’arrivée du journaliste Mahamoudou Ouédraogo à la tête du ministère en charge de la Culture offre une marge de progression aux créations musicales à travers un fonds d’appui dénommé Programme de soutien aux initiatives culturelles décentralisées (PSIC). Une volonté politique qui doit en partie-concernant la musique-son succès, de l’avis de plusieurs spécialistes, à la première maison de disques, créée en 1999 : Seydoni productions.
Seydoni Productions
Avec des démembrements en Afrique de l’Ouest notamment au Mali, Seydoni productions est, selon le président de la Confédération nationale de la culture du Burkina Faso, Vincent Koala, la major de la musique burkinabè. Cette maison de disque signe le retour au bercail de la musique burkinabè par la mise de disposition des acteurs de la filière, d’une unité de duplication de cassettes, de CD, un studio d’enregistrement aux normes internationales, une sonorisation et un système de lumière de qualité et un volet post-production (réalisation de clip vidéo, management et promotion).
Par la volonté de son président-directeur général, Seydou Richard Traoré (ancienne gloire de la musique burkinabè), Seydoni Burkina figure également au sommet des grands producteurs burkinabè. « Chaque 5 ans, nous faisons un appel à la maquette afin de produire des artistes en quête de producteur », explique son directeur général, Prosper Traoré.
Elle a été aussi, ajoute-t-il, la seule entreprise à payer un salaire de cadres supérieurs (niveau maîtrise) à certains de ses artistes, principalement à Solo Dja Kabaco, une pointure de la musique burkinabè, dans sa version mandingue. Depuis sa création, ce sont 55 artistes qui ont été produits à hauteur de 500 000 000 F CFA, selon les estimations du directeur général, sur le 1 127 000 000 F CFA (un milliard cent vingt-sept millions) investi par la société.
Au côté du puissant Seydoni Burkina, plombés par la mévente des produits musicaux, de petits labels à succès, fonctionnant pour la plupart dans l’informel à cause de la fiscalité, dynamisent le secteur musical burkinabè. Parmi ces labels, on peut citer Merveilles d'IsmaÏla Zongo alias Commandant Papus qui se démarque par sa capacité à dénicher et à produire avec brio de jeunes talents. Il détient le record des artistes à succès. L’emblème de ce label est Floby, l’actuel leader de la musique populaire burkinabè.
Autre structure qui compte, Vision parfaite. Cette maison a, entre autres, révélé des vedettes comme Sissao, l’ex-duo Yeleen, Pamika (lauréate du concours de la télévison Africable, Case Sanga), Bonsa, Donsharp. Dans le hit-parade des producteurs figurent en bonne place Afrimoov d'Ibrahim Olokounga et Artistes Distribution de Télésphore Bationo à qui on doit les succès de Greg et de Maria Bissongo, deux réels espoirs du showbiz national.
L’évolution de la musique du Faso repose également sur de jeunes arrangeurs à la pointe des nouvelles technologies et travaillant dans des homestudios à Ouagadougou ou Bobo-Dioulasso. Les plus sollicités pour les musiques urbaines sont Yves de Bimboula (studio Ilarion), Kevinson (studio K-music), Petit Jeannot (Studio UM 226), etc. L’alchimie entre les musiques traditionnelle et moderne est l’affaire du doyen des arrangeurs, Prince Édouard Ouédraogo (Il est aussi musicien). Mais la réussite de ces labels et le génie de ces arrangeurs ne masquent pas les difficultés de la filière musicale au pays des Hommes intègres.
Une industrie dynamique, mais fragile
La piraterie conjuguée aux problèmes structurels a contribué à rayer du showbiz burkinabè plusieurs labels. Ainsi, Kibaré productions, Adonis, Waga N’Djam, Green stone records, Bazar music, ETK productions, Senghor distributions ont fermé boutique pour diverses raisons. Selon le directeur général de la télévision privée Bf1, Issoufou Saré, dans son ouvrage : Création et développement des entreprises musicales au Burkina Faso : difficultés, enjeux et perspectives, de nombreuses maisons de disque, même bien structurées, « ferment ou réorientent leurs activités, cinq ans après leur création ». La première raison citée est la forte consommation des œuvres musicales piratées, favorisée par un circuit de distribution licite presque inexistant. « au Burkina Faso, le marché est envahi à près de 90% de cassettes,cds et dvds contrefaits », précise Issoufou Saré.
L’avancée technologique surtout l’accès au téléphone portable a accentué l’usage des créations musicales contrefaites et a accéléré le déclin des ventes des supports physiques. Pour certains experts, l’une des causes de l’effritement des entreprises dans la filière musicale est relative à l’absence d’une véritable étude de marché.
Pourtant, selon Jean Noël Biggoti, relayé par Issoufou Saré « les créateurs de structures qui durent dans le temps, sont ceux qui ont eu une vision réaliste de leur capacité, de leurs moyens de financement de projets, une propension à progresser de manière sensée, du flair pour trouver des partenaires, un réseau développé et de la trésorerie pour pallier les coups durs et surtout se développer ». Une démarche qui est parfois ignorée lors de la création de plusieurs entreprises. Elles sont souvent mises en route pour accompagner uniquement le succès de certains artistes et non pour enrichir la filière.
En dehors de l’inexistence de l’esprit entrepreneurial, l’industrie du disque au pays des Hommes intègres souffre d’autres maux : faible pouvoir d’achat des mélomanes, étroitesse du marché du disque, mauvais rapport entre les artistes et les autres acteurs (producteurs, managers, etc.). À cela s’ajoutent l’inaccessibilité aux financements et aux prêts bancaires, la petitesse des labels. On note aussi le manque de transparence relatif aux chiffres d’affaires, l’absence de modèle économique, la non bancarisation des activités, la non formation de beaucoup d’acteurs, le poids des taxes et des impôts (fiscalité), la propension à l’assistanat, la faible qualité des créations musicales…
Un plateau de difficultés qui inquiète le secrétaire général du Syndicat des artistes-musiciens et assimilés (SYMAB), Fat Lion au regard du nombre réduit d’entreprises culturelles capables d’avoir un fonctionnement formel. Pour le président de l’Association des managers professionnels de musique (AMPM), Ibrahim Zerbo, l’État burkinabè envenime la situation en se muant en concurrent des entreprises de disques lors de l’organisation des grandes manifestations culturelles.
La programmation des artistes-musiciens lors du Fespaco, du Siao, du Sitho ou de la SNC doit être, selon M. Zerbo, l’affaire des labels burkinabè et non celle du Centre national des arts du spectacle et de l’audiovisuel (CENASA), une structure du ministère burkinabè en charge de la Culture. « Ce n’est pas normal », dénonce-t-il. Et de s’insurger également contre le faible cachet (200 000 F CFA) proposé pendant ces événements aux artistes et souvent payé plusieurs mois plus tard.
S’autoproduire pour devenir artiste-musicien
« L’autoproduction peut représenter un palliatif très intéressant en l’absence de maison de disques », disent, dans leur ouvrage Autoproduire son disque, Ludovic Gombert et Aymeric Pichevin. La musique burkinabè, avec ses 6647 adeptes déclarés au Bureau burkinabè du droit d’auteur (BBDA), rime fortement avec autoproduction à cause de l’incapacité des labels de produire de jeunes artistes et même confirmés. Elle est même devenue un choix.
Certaines vedettes n’hésitent plus, après un succès, à quitter des maisons de disque pour s’autoproduire. Conséquence, le travail de nombreux labels ne se résume qu’au management et à la communication des artistes.
Aujourd’hui, des chanteurs au sommet de leur art, à savoir Floby, Dicko fils, Malika la slameuse, Imilo Le chanceux, Dez Altino, Tiness, etc., avancent par autoproduction. Mêmesi, préviennent Ludovic Gombert et Aymeric Pichevin, aucun artiste ne peut dépasser un certain niveau dans sa carrière sans l’appui de partenaires.
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