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Pourquoi l'afrobeats a conquis le monde - partie 2
Suite à un débat suscité par un appel à l'interdiction de la musique nigériane au Cameroun, l'expert musical Camerounais Jake Daniel, Talent Scout chez Interscope basé à Los Angeles (États-Unis), a proposé une analyse du succès de l'afrobeats et prédit que le modèle najia est appelé à rayonner pour bien longtemps encore.
Découvrez ici, la seconde partie de sa réaction.
Par Jake Daniel
- Don Jazzy, Yemi Alade et Wizkid.
Je disais tantôt que les Nigérians sont bien installés à travers le monde ; cela commence ici même en Afrique. Dans tous les pays anglo-saxons du continent, il y a une forte communauté nigériane. À Kumba (Cameroun) par exemple, où Naira Marley était attendu, il y a beaucoup de Nigérians - ils sont là depuis des décennies. Ils se sont mariés à nos soeurs et ont épousé nos cultures par la même occasion.
Aux États-Unis et au Royaume Uni, ils brillent ! Les leaders afros du son urbain anglais, des gars comme Kojo Funds, Yxng Bane, J Hus, Not3s, des légendes comme Skepta (le mari de la chanteuse Adèle) pionnier du Grime au Royaume-Uni, ou encore Stormzy, sont tous d’origine nigériane.
Cette diaspora stratégiquement installée à travers le monde sert de relais au phénomène pop urbain naija. Aussi, les voyages aident les nigérians à s'enrichir culturellement. Burna Boy par exemple, a su développer une fusion des rythmes d'Afrique à la musique urbaine du Royaume-Uni (où il a grandi). Ce travail lui a permis de toucher à la fois le public mainstream anglais, les afro-européens et les Nigérians. Cette démarche artistique est presque la même pour Wizkid et Davido.
Nous revenons donc à ce que j'avais déjà dit plus haut dans cette analyse, le succès de la pop naija n’est pas le fruit d’un heureux hasard, mais bien le résultat d’une stratégie mûrie et développée avec d'importantes ressources.
Le Nigeria a si bien réussi son coup que même une puissance comme l'Afrique du Sud ne peut que saluer son hégémonie sur le continent africain et son influence dans le monde.
Pour certains des détracteurs de la pop naija chez nous au Cameroun, rester insensible à cette musique pourrait réduire son impact.
Mais je me demande seulement comment notre public pourrait rester insensible à cette force de la nature, quand il y a une absence notoire de catalogue musical urbain local ? Où sont les albums ? Où sont les projets ? Comment ça se fait que depuis presque 5 ans, ce sont les mêmes que l’on ne cesse d’entendre alors qu'au Nigeria voisin, dans la même période, les prodiges se sont multipliés pour poursuivre l'oeuvre des pionniers - je parle là de créateurs comme Burna Boy, Joeboy, Naira Marley, Temi et tout le reste du cortège, qui empilent des millions par dizaines. Où est la rèlève chez nous ?
Ceci devrait être un cas d’école. Plutôt que de nous passer d'un son mainstream qui fait les tendances en ce 21e siècle où tout le monde est connecté, nous devons plutôt essayer de nous approprier le business-model naija qui fonctionne bien et tenter de l’appliquer comme nous pouvons. C'est ce que d'autres entreprennent, à l'instar du Congo.
Comment Fally a-t-il réussi à se hisser à un tel niveau ? Innoss'B qui s'est lancé récemment, a atteint un tel sommet qu'il ne supporte même plus les comparaisons avec des artistes de sa promotion sur la scène afro-francophone. Pour la petite histoire, il était tout irrité récemment parce que quelqu'un a osé le mettre à égalité avec Kerozen de la Côte d'Ivoire (rires).
Le Congo a développé sa sonorité authentique et ses créateurs sont désormais en odeur de sainteté avec la diaspora, tout cela, sachant que 90% de la scène actuelle française et belge est d’origine congolaise. Je vous laisse imaginer le tremplin que ça représente pour les artistes de ce pays...
En gros, si la musique urbaine camerounaise veut avoir de meilleurs jours, elle doit impérativement :
- Définir et solidifier davantage son identité musicale afro-urbaine, en se basant sur ses rythmes folkloriques et en axant les créations sur une hybridation à coloration afro-urbaine. Cela s'impose pour être mainstream sur le continent et ailleurs.
- Construire un catalogue musical urbain. Il faut revenir à la culture du label, car ce sont les labels indépendants qui boostent la transformation structurelle d’une industrie musicale.
Où est passée la période où Big Dreams proposait du bon à gauche, tandis que New Bell Music et Alpha Betta le faisaient à droite ?
Comment expliquer que les labels indépendants soient autant à l’agonie alors qu'il y a plus que jamais de talents à produire ? Qu’est-ce qui manque ? Les moyens ?
Et quand des comédiens/youtubeurs se lancent dans les parodies musicales, tout le monde leur tombe dessus et leur reproche de saboter la musique camerounaise. Mais ont-ils tort ?
La situation de la scène musicale camerounaise est semblable à celle d'un parent fortuné, qui est à la tête d'un vaste patrimoine immobilier, et dont les enfants sont indigents. Cela n’a aucun sens !
Une autre donnée importante selon mon analyse, et non des moindres pour le développement de notre musique, est celle de la réconciliation. La diaspora camerounaise doit s'impliquer dans ce processus de construction et se solidariser à la scène locale. Il faut le dire, les Camerounais sont presque partout à travers le monde eux-aussi, et cette présence est à exploiter pour propulser les créateurs locaux.
Aussi, la population camerounaise est essentiellement jeune et le taux de pénétration d’Internet, quoique plus faible qu'au Nigeria, ne cesse de grimper ces dernières années - autant d'atouts que l'on devrait capitaliser avec des stratégies optimales.
Multiplier les collaborations pertinentes est une autre exigence pour faire avancer les choses. Avoir Salatiel, Stanley Enow ou encore Daphné chez nous et ne jamais les voir s'associer, c’est d’une abérration consternante à mon sens. Nous sommes peu nombreux et nous voulons tout de même évoluer en rang dispersé...
En résumé, ce mouvement anti-pop naija n'est que simple distraction. Bannir la musique nigériane au Cameroun n’est certainement pas une solution si l'on refuse de toucher du doigt le vrai problème.
Si on adopte les bonnes stratégies dès maintenant, avec toutes les nouvelles ressources que cette génération a et dont le Nigeria ne disposait pas à l’époque, on pourrait avoir de belles retombées dès demain ; on n'aura vraiment pas besoin d'attendre une toute une décennie pour ça.
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