Pr Ibrahima Wane : « l'industrie du disque au Sénégal est mal en point »
Le professeur sénégalais Ibrahima Wane est un observateur privilégié de la scène musicale sénégalaise. Enseignant-chercheur à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) il apporte ici une analyse en profondeur de l'industrie du disque au Sénégal.
L'industrie du disque aujourd'hui
Selon le professeur Wone qui répondait aux questions de nos confrères du quotidien national sénégalais, le Soleil, les Sénégalais sont et restent de grands consommateurs de musique, de ce fait elle garde toujours sa place dans la vie quotidienne où elle joue différents rôles.
Toutefois, la diffusion ainsi que la distribution traverse depuis des décennies maintenant une grave crise à cause essentiellement de la piraterie qui plombe gravement l'industrie du disque. Le professeur Wone note que commercialement, il n'est plus rentable de sortir un album qu'on soit un artiste connu ou bien un jeune talent d'où la mode des singles pour exister dans les médias et espérer signer des contrats pour des concerts et autres tournées qui assurent aux artistes, aujourd'hui des revenus conséquents.
L'industrie du disque au Sénégal est moribonde pour le Pr Wone qui en veut pour preuve la disparition depuis belle lurette des principales maisons de production qui étaient alors considérées comme le poumon de l'industrie musicale locale. Toujours pour le Pr Wone, la musique sénégalaise peine surtout à s'imposer à l'extérieur, les différentes reconnaissances internationales reçues par les plus grands noms de la musique locale sont en réalité les fruits d'un compromis qui n'a pas pour le moment l'effet escompté sur la musique sénégalaise.
Même si des groupes et artistes comme l'Ochestra Baobab, Cheikh Lô et Faada Freddy portent haut l'étendard de la musique sénégalaise, ces étoiles aussi scintillantes qu'elles soient cachent mal l'état actuel de l'industrie du disque locale.
Aujourd'hui, la télévision est devenue pour lui le cœur de l'industrie de l'enregistrement, en effet, les anciens détenteurs de maisons de production tendent tous à devenir des magnats de la presse, imiter en cela par la nouvelle génération de musiciens sénégalais.
L'ancienne génération cède la place à la nouvelle
Pendant plus de 30 ans les grands noms de la musique sénégalaise étaient : Youssou N'Dour, Omar Pène, Ismaël Lô, Baaba Maal, Thione Seck. Pour le Prof Wone, on est en train de vivre, actuellement une période charnière ou une nouvelle génération de jeunes artistes comme Pape Diouf, Wally Seck, Pape Birahim, Momo Dieng, etc... va prendre les rennes de la musique sénégalaise.
Et à en croire Ibrahima Wone ce passage de relais est en train également de s'opérer dans le rap sénégalais.
La distribution numérique, la seule alternative...
Une des solutions pour contrer la piraterie et revitaliser la diffusion et la distribution légale de la musique au Sénégal, pour le Pr Wone c'est d'adopter définitivement la distribution en ligne.
Une plateforme comme Musik Bi est à ses yeux est une des alternatives à suivre et qui va dans le sens du mieux être de l'industrie du disque. Il prévient néanmoins que pour pouvoir espérer y exister, le numérique à ses standards en termes de qualité et d'identification du produit qu'il va falloir obligatoirement respecter.
La musique sacrée a trouvé la voie...
La musique sacrée est en train de se faire une place de choix sur la scène musicale sénégalaise.
Si l'on en croit le Pr Wone ce phénomène est la résultante d'un long processus qui a débuté dans les années 70 quand les artistes sénégalais à la recherche d'authenticité sont allés puiser dans le patrimoine incluant ainsi les marabouts et autres figures religieuses dans leur répertoire, faire la louange de son marabout dans la musique dite profane est dès lors très répandue.
En adoptant le mode de production et de diffusion de la musique profane autrement dit en se professionnalisant, la musique sacrée élargit de plus en plus son audience et joue sur le même terrain que la musique profane.
Quid des politiques culturelles au Sénégal ?
Pour Ibrahima Wone, le pays malgré son rôle historique de locomotive sur le plan sous-régional a plusieurs challenges d'importance à relever vu l'énorme potentiel économique du secteur en particulier celui de la musique et les maigres résultats enregistrés.
Pour Wone, le manque de données fiables sur le secteur empêche de réellement bâtir de véritables politiques culturelles. Il est difficile de mener des politiques dans cette situation. Planifier, dégager des priorités, fixer un échéancier, se doter de méthodes d’évaluation, est quand même une nécessité à ce niveau.
Il trouve aussi que le fonds d'aide aux artistes initié sous Senghor doit être adapté au contexte actuel et que les artistes des régions, laissés à eux-mêmes devraient bénéficier des formules permettant de mettre en place des infrastructures, des appuis aux projets, des cycles de formation, etc.
Sur le plan de l'éducation et de la formation l'École nationale des arts a besoin d'être dépoussiéré en profondeur et d'être mis au centre des politiques culturelles. Construire des ponts entre des secteurs aussi importants que le tourisme et la culture est aussi vitale, vu que ces domaines sont en réalité liées.
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