Rencontre avec Ibaaku, précurseur de la musique électronique africaine
Ibaaku est un artiste pluridisciplinaire sénégalais, qui mêle des sons anciens de son pays, à des rythmes électroniques et expérimentaux. Music In Africa a rencontré ce précurseur de la musique électronique en Afrique, lors de l’étape sud-africaine de sa tournée continentale baptisée Alien Cartoon Africa Tour. Découvrez l’entretien ici :
Bonjour Ibaaku et bienvenue à Music In Africa. Vous êtes à Johannesburg dans le cadre de votre tournée qui vous a conduit au Swaziland, au Rwanda et au Kenya notamment. Quel est l’état des lieux de la musique électronique sur le continent ?
Effectivement je viens du Rwanda. Avant cela, nous avons fait l’Éthiopie, la Guinée Conakry, le Kenya et le Swaziland. Pour ce qui est de l’état des lieux, c’est une grosse question ! C'est assez relatif puisque chaque pays a une scène différente. Par exemple ici en Afrique du sud, la scène électro est déjà bien développée. En Éthiopie, on a rencontré deux artistes qui font du bon travail pour faire avancer les choses de ce côté-là aussi. Mais en gros, les réalités sont vraiment différentes partout où nous somme allés.
Pour beaucoup en Afrique, sauf en Afrique du sud évidemment, la deep-house et l'électro sont « des musiques pour blancs ». Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans ce genre musical et comment est reçue votre musique au Sénégal et sur le reste du continent ?
Tout est parti de ma collaboration avec Selly Raby Kane, une styliste sénégalaise, à l'occasion d'une biennale des arts à Dakar (Sénégal). Je devais faire la bande originale de sa performance et l’idée était d’imaginer ce que deviendrait la musique dans une ville envahie par des aliens. C’était pour moi la bonne excuse pour expérimenter autre chose, imaginer notre devenir avec la technologie, inventer la musique et la mode du futur. C’est ainsi que tout a démarré.
Avant de vous lancer dans une carrière solo, vous avez fait du hip-hop puis intégrer le groupe I-Science ? Était-ce facile de passer d'un univers à un autre ?
En fait I-Science c’est le nom de mon band. C’est mon 2e gros projet. Ma première expérience au sein d’un groupe c’était avec Lyrical Zone 3 qui était un grand collectif panafricain qui rassemblait au moins une vingtaine d’artistes hip-hop basés et évoluant à Dakar. En son sein étaient représentées au moins une dizaine de nationalités différentes.
De là j’ai créé mon propre groupe appelé Style, avec deux autres membres du collectif , et on a sorti un album intitulé Musiques Noires. Après cet album, j’ai intégré le groupe I-Science, qui est aussi devenu un collectif car il y a beaucoup de musiciens qui sont passés par là depuis. En 2006, avec I-Science on a fait un album.
Alien Cartoon est mon premier album solo sorti en 2016.
Sinon le passage du hip hop à la musique électro a été facile. Car à la base je suis un artiste musicien et je joue plusieurs instruments ; je suis tombé dans les deux au même moment si je peux dire. L'évolution c’est fait en parallèle. C’est d’ailleurs grâce au hip-hop que je me suis intéressé à la musique assistée par ordinateur. Donc c’est plus une continuité qu’une cassure.
Votre style futuristique inspire la curiosité: le nom de votre album Alien Cartoon, les effets sonores et visuels, les prestations sur scènes, votre style vestimentaire…quelle est l’inspiration derrière tout cet univers ? Quel message faites-vous passer à travers votre musique ?
À la base il y a une histoire que je raconte. Ibaaku est un personnage créé pour la performance de Selly, un individu qui vit dans cette ville africaine envahie par des aliens, imaginé pour ce défilé de mode, mon personnage est un hybride qui évolue dans sa cité et qui, grâce à sa musique, crée un canal de communication entre les hommes et les aliens.
C’est donc toute une histoire qui est racontée par mon équipe, notamment avec Benjamin qui s’occupe du visuel, les chorégraphies etc…
Vos spectacles sont d'une saisissante authenticité (chorégraphies et projection d'images abstraites, etc), qui en assure la direction artistique ?
La direction artistique est en partie l’idée de Selly. En fait on a travaillé à trois sur ce projet, Moi je me suis occupé de la bande sonore, Selly s’est occupée de créer cet univers avec les costumes et on a collaboré avec un vidéaste, qui lui aussi a apporté sa vision sur la musique et d'autres détails de la réalisation.
Donc Selly est la muse du projet qui a finalement beaucoup grandi et qui a vu plein de gens s’associer. C'est le cas de Benjamin pour le visuel, Kevin au son et Jean-Michel qui fait un grand travail à la photographie. Donc c’est un projet qui continue de croître et on ne sait pas jusqu’où ça ira...(rires)
Comment arrivez-vous à vous faire une audience dans des pays qui ne sont pas particulièrement portés sur les musiques électroniques ?
En fait il y a tout un travail qui précède et suit mes performances; c’est un travail qui se fera surement pendant longtemps, car nous n'en sommes qu’au début. Mais je me rends compte qu’il y a déjà énormément de personnes qui accrochent à cette musique. Donc l'idée est d’élargir cette audience. Rien qu’au Sénégal par exemple, j’utilise des sons anciens que les gens ne connaissent pas trop, mais qui font partie de l’histoire.
Le but est de les remettre dans le contexte présent, pour cibler tous ces gens qui pensent que c’est une musique de blancs, alors qu'il n'en est rien. C’est comme pour le jazz, beaucoup pensent que c’est une musique de blancs alors que son histoire et ses origines prouvent le contraire. Donc voilà ! L’idée est d'élargir notre audience, mais globalement il y a déjà une bonne perception.
Est-ce que je peux classer votre genre musical dans l’afro-futurisme ? Un terme que l'on entend beaucoup ces derniers temps…
En fait je n’aime pas beaucoup ce terme. Enfin ne pas aimer c’est beaucoup trop dire ! oui j’aime ce terme dans le sens qu’il a un lien avec l’Afrique. Et c’est un honneur pour moi d’être classé avec des artistes qui ont fait beaucoup pour la culture africaine : des penseurs, des auteurs etc. Mais d’un autre coté je n’ai pas envie d’être enfermé dans une case. Surtout que de là où je viens ce n’est pas un concept qui résonne vraiment avec le public et l'utilise très peu. Et aussi j’ai vraiment envie de faire beaucoup de choses différentes, de ne pas me limiter.
Vous venez de traverser l'Afrique dans le cadre de l'Alien Cartoon Afrika Tour. Cela a certainement été riche en rencontres. Des collaborations en vue ?
Oui on a fait énormément de belles rencontres humaines et on espère que cela va se concrétiser et se refléter dans l’art surtout.
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