Roland Tchakounté : le blues version camerounaise
Par Joseph Owona Ntsama
Roland Tchakounté est un bluesman camerounais à la voix chaude et au style particulièrement affirmé dont les thèmes puisent, pour l’essentiel, aussi bien dans son histoire personnelle, que dans cette angoisse existentielle de l’homme qui est aussi vieille que la vie elle-même.
Depuis 2002, Roland a choisi définitivement sa voie. Il tombe amoureux du blues en écoutant par hasard le morceau « Crawling King Snake » du légendaire John Lee Hooker.
En ce qui concerne mon choc personnel, ce fut la rencontre du « pre-war blues » (du blues entièrement acoustique, paru avant la deuxième mondiale) avec l’incontournable Big Bill Broonzy (guitariste et chanteur de blues américain), éducation musicale consolidée et approfondie par la suite avec l’émission à succès du journaliste Jean Materne Ndi, « Le micro du blues », que diffusait jadis la radio nationale du Cameroun tous les mercredis soirs.
Le blues choisit toujours ses « victimes ». Le blues, il est comme ça : fidèle à ses hommes et à ses thématiques existentielles à travers le temps, constant en ses assises musicales esthétiques au-delà de son contexte historique de création et d’expression, chaleureux en la convivialité fraternelle qu’il distille en toutes sortes d’endroits , et enfin, ses rythmes mélangés de mélancolie, de tristesse et de nostalgie ont toujours fait son charme, sa puissance et sa force suggestive.
Et sur ce dernier aspect, j’ai une pensée pieuse pour quelqu’un comme Junior Wells (chanteur de blues américain, décédé en 1998) et ce n’est pas le seul dont je me demande ce que la collaboration, même occasionnelle avec Roland Tchakounté, aurait donné.
Roland Tchakounté, petit enfant dans les rues de ce Douala qui vivait encore des souvenirs de répressions sanglantes de 1955, gamin dont la vie fut loin d’être un fleuve tranquille.
Exactement ce dont le blues a besoin pour vous happer à vie, en fixant de manière inconsciente en vous, les germes d’un virus qui ne vous quittera plus jamais : celui de la musique et surtout ce sentiment d’amertume que rien ne pourra plus jamais apaiser. L’écrivain Ralph Ellison définissait le blues comme étant « la chronique autobiographique d'une catastrophe personnelle exprimée à travers des paroles lyriques ».
Définition simple que le 6ème album de Roland Tchakounté exprime avec une extraordinaire force suggestive. Nguémé & Smiling Blues (Tupelo Records, 2015, distribué par Harmonia Mundi) est un album d’un passionné du blues qui exprime avec force et conviction son mal-être en sa langue natale, la belle langue medumba, très exactement, dans l’essentiel de ses textes depuis son premier album, Bred Bouh Shuga Blues, paru en 1990 et toujours inconnu au Cameroun.
Tchakounté, nous convie, dans cet opus où l’on retrouve en bonne partie quelques sublimes ballades « bluesy » (se dit d’une musique qui rappelle le blues) qui constituent d’ailleurs la moitié des premiers titres de cet album (« Ouba Kih Kamagnam », « Melena », « Nguémé & Smiling » ).
L’autre moitié en revanche nous immerge dans l’univers chaud du blues. Mon coup de cœur, sans hésitation dans cette deuxième partie de l’album, est le titre « Oulen Nefa Fide » (Joli Cœur) sérieusement talonné par « Tchuite Blues Noum Seou » (dont je devine le doigté et le feeling de l’excellent Hervé Samb à la guitare à défaut que ce ne soit l’empreinte de Mick Ravassat : la pochette du CD de promotion en ma possession ne dit rien là-dessus). Et je ne n’oublie pas bien sûr le titre « Misery » qui fait également la force de cet album.
En somme, Roland Tchakounté nous envoie, avec Nguémé & Smiling Blues, un puissant message de philosophie épicurienne et réaliste, un message d’amour et de paix aussi. Ce qui n’est pas de trop par les temps qui courent.
Article original publié dans le magazine Mosaïques N°65, Juin 2016, p. 8
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