Rumba on the River : la rumba congolaise racontée dans un ouvrage
Dans cette chronique Yvon Edoumou, commente et livre sa réflexion sur l'ouvrage Rumba on the River, un chef d’œuvre sur l’histoire de la rumba de deux Congo (Kinshasa et Brazzaville), écrit par l’auteur britannique Gary Stewart, publié en 2000 chez Verso (Londres, Grande-Bretagne).
Début mars, un vendredi soir, je retrouve un ami de longue date de passage à Kinshasa pour un tour de « Kin by night ». Mais avant de s’engouffrer dans la chaleur nocturne kinoise, c’est une discussion sur l’art et la culture congolaise et africaine. Il aime les tableaux, il en achète, on parle des foires internationales comme 1-54 et AKAA (deux foires d’art contemporain centrées sur l’Afrique, le premier a lieu au Maroc et le second en France).
On parle aussi de musique congolaise, la jeune génération (Fally et Ferré). Mais on parle beaucoup des anciens, les précurseurs et de leur histoire racontée dans un magnifique ouvrage. Avant « d’attaquer » la nuit, mon ami m’offre ce fameux livre qu’il n’avait pas encore fini de lire.
Cet ouvrage ? Jamais entendu parler. Rumba on the River, un livre en anglais sur la rumba des deux côtés du fleuve Congo, Kinshasa et Brazzaville, écrit il y a 18 ans par Gary Stewart, un auteur britannique, un passionné de la musique africaine.
Grecs et Belges, premiers producteurs de musique congolaise
Mieux vaut le dire d’emblée : Rumba on the river de l’auteur Gary Stewart est un chef-d’œuvre, un must pour tous ceux qui veulent apprendre, connaître l’histoire musicale congolaise, un livre pour ceux qui aiment la culture congolaise tout simplement. 394 pages d’histoire musicale.
Rumba on the River est édifiant car il est riche en faits, en apprentissage sur cette musique que certains décrient aujourd’hui mais qui, à travers ces pages, a connu des heures de gloire et a fait la fierté de deux pays et de tout un continent. L’écosystème musical congolais a une histoire riche, profonde et complexe que l’auteur réussit à transmettre à travers ces pages. Rumba on the river est, selon moi, l’équivalent musical du livre Congo. Une histoire de l'écrivain belge David Van Reybrouck, un autre chef-d'oeuvre de littérature sur la République démocratique du Congo.
À travers les pages, le lecteur voyage entre Brazzaville et Kinshasa. Bien que le livre retrace l’histoire musicale des deux Congo, le livre est dominé par celle de la rive kinoise.
Un ouvrage recherché, dense, informatif, dans lequel on apprend autant sur la naissance de certaines pratiques - le libanga (le name dropping, dans la musique congolaise,cette pratique consiste à citer des noms connus, notamment de personnes, d'institutions, de marques commerciales pour tenter d'impressionner ses interlocuteurs ou pour de l'argent.) que sur les grandes tendances qui ont influencé l’industrie musicale telles que la piraterie ou l’introduction de la technologie dans la création musicale.
On apprend que le libanga, pratique tant décriée, notamment par moi-même, n’est pas une invention des temps modernes mais remonte au début des années 1940 lorsque Brazzaville et Kinshasa se dotèrent de leurs premières stations de radio.
There was, not surprisingly, an African audience for African music. Leopoldville’s merchants, hoping to attract additional customers, paid to become patrons of certain programs in order to have the names of their firms announced on the air.
Pour l'auteur, certains commerçants de Léopoldville (la capitale de l'ex-Congo-Belge), dans l'espoir d'attirer des clients supplémentaires, sponsorisaient certains programmes dans les médias pour que leurs entreprises soient citées.
L’origine du « Sebene »
Vous ne vous êtes jamais demandé l’origine du Sebene ?
…. the word sebene (pronounced say-ben) came to be synonymous with an extended instrumental bridge. While the singer rested, the guitarists liked to work the seven chord into their solos and would often cry “seven” to signal each other. Congolese musicians repeated the word as ‘sebene’.
Selon l’auteur ce serait une déformation du chiffre sept (en anglais seven), en référence à la septième corde des guitaristes. L’auteur avoue que son explication n’est qu’une parmi d’autres sur l’origine du mot.
Si aujourd’hui Brazzaville et Kinshasa n’ont quasiment plus de maisons de production. Çe n’a pas toujours été le cas. Le lecteur apprendra qu’avant l’indépendance et les années qui ont suivi, il existait plusieurs maisons de productions, studios d’enregistrements tenus en grande partie par des commerçants étrangers, notamment Grecs, et par des Belges. En 1955, une société locale de production de disques avait la capacité de produire deux millions de disques par an.
The pressing plant called MACODIS (Manufacture Congolaise du Disque) was located in Limete and had a capacity of two million records a year, Africa’s second largest record production facility after South Africa…. The plant pressed records for Loningisa, Esengo and the other local studios.
L’auteur explique que la société MACODIS (Manufacture Congolaise du Disque) située à Limete, à l’est de Kinshasa, produisait jusqu’à deux millions de disques par an. La deuxième plus grande production en Afrique après l’Afrique du Sud.
Et à l’époque - comme aujourd’hui en 2018 - Kinshasa bouillonnait de restaurants, bars, salles de spectacles où l’on pouvait voir jouer les artistes tels que les fameux Vis-à-vis, OK Bar, le Quist ; à Brazzaville, le mythique Chez Faignond était le temple de la musique. On apprend même que le grand Manu Dibango a été gérant d’établissements à Kinshasa dans les années 70.
L’annuaire de référence de la rumba
Rumba on the River est un who’s who de la musique congolaise : À travers ces 400 pages, tous ceux et celles – qui ont marqué la musique congolaise de façon durable notamment Zaiko Langa Langa, Mpongo Love décédée à 33 ans, Abeti Masikini sont repris dans ce livre. On y apprend aussi qu'en juin 1974, Abeti Masikini - avait joué dans une des plus grandes salles des États-Unies, le Carnegie Hall, New York.
Des précurseurs comme Wendo, Kabasele alias le Grand Kallé, Dr Nico et ses doigts magiques pour la guitare, le doyen Lutumba Simaro qui vient de prendre sa retraite musicale, aux derniers nés tels que Wenge Musica.
L’auteur Gary Stewart ressort également les palabres, les tensions, les séparations et les réconciliations qui sont une marque de fabrique des musiciens congolais.
L’auteur mentionne également les producteurs, ceux qui ont accompagné et collaboré avec les artistes congolais, tels que le Sénégalais Ibrahima Sylla, le Togolais Gerard Akueson (manager et producteur d’Abeti Masikini), le gabonais Ngoss, ou encore l’Ivoirien David Ouattara Moumouni qui fut le premier à produire Kanda Bongo Man. Ceux-ci et bien d’autres ont leur place dans cet ouvrage.
Rumba on the river est un livre qui vous permet, à la lumière de ce qu’écrit l’auteur, de comprendre en profondeur la musique congolaise. En lisant cet ouvrage, vous n’apprécierez plus la musique congolaise de la même manière. Rumba on the River est dans la catégorie des livres et ouvrages qui donnent noblesse à la culture congolaise.
Post-scriptum : No French ?
Cependant à la différence du livre de David Van Reybrouck (Congo.Une Histoire), il n’y a pas de version française de Rumba on the River. Début avril j’écrivais à l’auteur pour lui demander si l’ouvrage était publié en français, voici sa réponse :
Thank you for the kind words. I have tried from time to time to interest a French publisher in a French version of the book, so far without success. Translating a book from one language to another is a very expensive process, and publishers seem to feel that they will be unable to recover their investment. However, I continue to try and hope that someday a French edition will be produced.
L’auteur dit qu’il avait essayé d’intéresser un éditeur pour la traduction de l’ouvrage en français. La traduction d’un ouvrage coûte très cher et les éditeurs ne peuvent pas couvrir toutes les charges. Néanmoins, il croit que le livre sera un jour traduit en français.
Quel dommage pour cet ouvrage dont toute l’Afrique francophone aurait pu en bénéficier.
Retrouvez Rumba on the River sur les bibliothèques et les boutiques en ligne.
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