Safouane Pindra : « Le FDCU devrait appuyer davantage de projets de structuration et de formation »
Rencontré en marge de la 19e édition du Festival Yakaar de son association Optimiste Produktion à Rufisque, au Sénégal, Safouane Pindra a partagé à notre rédaction, ses projets, ses ambitions et sa vision de la scène musicale sénégalaise en général et du hip hop en particulier.
Bonjour Safouane. Nous sommes ici au Pôle Yakaar pour une activité culturelle que tu as initiée ces derniers jours et qui s'achêve aujourd'hui. Pourrais-tu nous en parler ?
Bonjour Lamine. Effectivement, mon association et moi avons proposé ces derniers jours à Rufisque, une série d'activités dans le cadre de la 19e édition de notre Festival Yakaar, qui s'est ouvert le 10 juin dernier.
Nous avons pour cela organisé un atelier de formation intitulé « Profession manager », adressé aux jeunes managers émergents du continent.
Le workshop a réuni plus d'une dizaine de participants dont un mauritanien, un togolais, cinq guinéens et neuf sénégalais, qui ont reçu des enseignements sur le management d'artiste, assurés par 4 professionnels chevronnés que sont Luc Mayitoukou que l'on ne présente plus, Daniel Gomes, Nar Gueye et Sarah Battegay.
Il y a également eu le grand concert du festival et une soirée de gala.
Initialement, Optimiste Produktion, mon association, avait prévu deux concerts pour cette 19e édition ; mais notre budget étant limité, nous n'en avons organisé qu'un seul, à l'occasion duquel nous avons décerné des récompenses à des partenaires qui nous ont toujours accompagnés : la Fondation Sococim et L'Institut Français.
Nous avons également primé quelques acteurs du département de rufisque, notamment un artiste et un mécène qui nous apporte régulièrement son soutien.
Le concours tremplin du festival a aussi vu le sacre de 3 jeunes artistes : Big Blus, Young Jazzy et Paco Briz.
Nous avons cette édition, accueilli des amis marseillais du groupe African Corporation, qui ont organisé une résidence. Entre autres invités, la guinéenne, Queen Rima et Souleymane Faye, qui a donné les dernières notes de musique du festival.
Nous avons plus mis l'accent sur la formation des jeunes que sur les moments festifs cette année.
Pourquoi justement le choix de miser sur la formation, quand on sait que généralement, le succès d'un festival repose sur les concerts et les moments de musique ?
Pour la plupart, nos associations culturelles ne vivent que de subventions. Avec les crises qui s'enchaînent, tant sur le continent qu'en occident, il nous est de plus en plus difficile de trouver des bailleurs pour financer des activités de divertissement.
Pour pallier au manque de ressources financières auxquelles nous sommes confrontés, nous misons sur la ressource humaine, d'où la nécessité de former des personnes, qui pourront nous aider demain à étendre nos activités, même avec peu de moyens.
L'idée est d'outiller des acteurs avec qui nous pouvons communiquer un même langage, pour rendre plus dynamique nos échanges et notre marché.
Tu es un promoteur dont les activités ont un impact panafricain. Que vises-tu en étendant tes activités sur différents coins du continent ?
Il faut reconnaître que j'ai eu la chance dans mon parcours de beaucoup voyager. J'ai côtoyé des gens et j'ai appris d'eux qu'en Afrique, on a presque tous les mêmes problèmes.
Je suis ressortissant du Sénégal, un pays où le partage est une culture. Mon désir a toujours été de faire profiter mon expérience à d'autres, afin que tous sur ce continent, nous puissions nous en sortir.
J'ai une vision globale, non pas centré sur moi, mais sur « nous ». Créer un marché dynamique, animé par une saine concurrence, est pour moi, la voie à suivre pour le développement de notre Afrique. Chaque fois que je porte un projet, je ne le pense pas national ou régional, mais international.
Des fois, quand tu vas d'un pays du continent à un autre pour l'organisation d'un événement, tu es confronté dans le pays hôte, au manque de compétence dans un domaine bien particulier comme la régie son par exemple, pour le déploiement de ton programme.
Avec le soutien de l'UNESCO, l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) et le Ministère de la culture du Sénégal, nous avions initié un programme qui a permis la formation de 16 acteurs originaires de différentes régions d'Afrique, cela a été une vraie fierté pour moi.
Quand on parle de toi, on pense tout de suite au hip hop. Tu as été un des premiers producteurs dans ce genre au Sénégal. Que penses-tu de la scène hip hop sénégalaise d'aujourd'hui ?
J'ai longtemps donné une orientation hip hop à mes activités. Mon festival était d'ailleurs entièrement consacré à ce genre, aujourd'hui rangé sous le terme plus englobant de « musiques urbaines ».
Mais pour dire vrai, le hip hop est de moins en moins vendeur au Sénégal. J'ai dû ouvrir le festival à d'autres styles pour lui assurer une survie.
À titre d'exemple, en invitant un artiste comme Tiken Jah Fakoly qui propose un tout autre type de musique, j'ai fait guichets fermés, mais quand j'ai invité Lord Kossity, j'ai vendu deux fois moins de tickets.
Le hip hop sénégalais doit s'améliorer. La plupart des jeunes qui s'y addonnent se font des illusions et ils sont séduits par les majors qui nous vendent des rêves.
Dip Doundou Guiss et Ngaaka Blindé qui savent trouver les bonnes formules à chaque fois, devraient inspirer les autres artistes.
Pour que les choses aillent mieux, il faudrait aussi que nous, acteurs de la scène hip hop locale, puissions nous réunir autour d'une table, pour penser ensemble, un modèle de développement pour notre art. La somme de nos opinons et pensées individuelles, pourrait aboutir à quelque chose de bien.
Je le rappelle, y en a quelques uns qui s'en sortent comme Dip, Canabasse ou encore Elzo Jamdong, mais ils ne sont que l'arbre qui cache la forêt car derrière, beaucoup broient du noir.
Que penses-tu justement des nombreuses structures nées pour promouvoir le hip hop au Sénégal ?
Je citerais en premier le Pôle Yakaar. Nous avons des expaces de formation et de recherche, un studio et nous avons des activités consacrées au hip hop.
Ce n'est pas parce que ça marche moins bien ces temps-ci que nous devons abandonner.
Je le redis encore, ma vision est de créer un environnement favorable au plus grand nombre. Il n'est pas question que quelques uns brillent et que beaucoup d'autres souffrent.
Nous devons créer un marché qui permette à chacun de s'en sortir.
D'aucuns disent que les anciens rappeurs de la scène sénégalaise devraient se recycler, se convertir en producteurs et laisser la place aux plus jeunes. Qu'en dis-tu ?
Je suis totalement contre cette façon de penser. Nous ne sommes pas dans la fonction publique où il faudrait travailler pendant un certain nombre d'années, puis prendre sa retraite.
Si un rappeur sent encore le besoin de vivre sa passion, quel que soit son âge, il peut le faire et y ajouter des activités connexes.
Entrepreneur culturel panafricaniste que tu es, quels sont les pays du continent qui sont selon toi sur une bonne dynamique ?
Je citerais tout de suite des pays anglophones : le Nigeria, le Ghana, l'Ouganda, la Tanzanie, le Kenya, l'Afrique du Sud ou encore le Zimbabwe.
En Afrique francophone, je dirais la Côte d'Ivoire et la Guinée où le marché du spectacle vivant tourne bien. Mais quand tu prends des pays comme le Gabon, le Togo ou encore le Niger, presque rien ne se passe.
Dans les pays arabes au nord du continent, les gouvernements ont su adopter des mesures favorables à l'essor des industries créatives. Des fonds sont alloués à la création et à la mobilité des artistes.
Au Sénégal, la mise en place du Fonds des Cultures Urbaines (FDCU) est également à saluer. À mon avis, on devrait grâce à ce levier, appuyer davantage de projets de structuration et de formation.
À quoi s'attendre pour la prochaine édition du Festival Yakaar ?
Plusieurs projets se développent au Pôle Yakaar et en 2020, on espère avec notre projet phare Afrique Créative, apporter beaucoup de choses à la sphère hip hop sénégalaise. Beaucoup d'emploi devraient être générés dans ce cadre là.
Notre premier rêve c'est qu'en 2020, nous devenions le premier pôle de formation en Afrique.
Pour finir, j'appelle tous les professionnels du secteur à travailler la main dans la main. Nous devons nous unir et faire du lobbying auprès de nos gouvernements et des puissants acteurs économiques de nos pays, pour qu'ils investissent dans la culture.
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