Senny Camara, la muse africaine qui pince les cordes
De passage au Sénégal pour un concert dans la ville de Saint-Louis, mais aussi pour le tournage d’un clip, la musicienne Senny Camara qui est actuellement en résidence à Kenu, le « lab’Oratoire des imaginaires » ouvert par le musicien Alibeta, a reçu notre équipe dans une ambiance décontractée, pour un entretien exclusif.
Bonjour Senny, voudrais-tu te présenter en quelques mots et définir ta musique ?
Bonjour Jean, je suis Senny Camara, chanteuse et musicienne. Je vis en France et j’ai commencé la musique au Sénégal, mon pays natal. Je suis une ancienne étudiante du conservatoire de Dakar (Sénégal) et ma passion pour le son a des racines très profondes.
En effet, j’ai grandi dans le petit village de Tattaguine à environ 130 kilomètres de Dakar, aux côtés de ma grand-mère sérère qui était follement amoureuse des rythmes traditionnels et de la nature. C’est elle qui m’a communiqué le goût de la musique. J’ai aussi la culture mandingue dans les veines, car mon père appartient à ce grand groupe ethnique.
Je me définis comme une apprentie koriste, mais surtout comme une curieuse qui s’intéresse à plusieurs instruments à cordes à la fois, notamment à la harpe celtique et à la guitare que j’étudie en conservatoire en Europe depuis plus de 5 ans.
Je dois admettre que j’ai un lien plus spécial avec la kora, l’instrument que j’adore et auquel je me suis initiée en écoutant des artistes aux talents immenses, notamment le couple Mahawa Kouyaté et Soundioulou Cissokho. Mais je ne suis pas encore très autonome dans la pratique de cet instrument et quand je suis sur scène, je suis toujours accompagnée d’autres musiciens…
Ma musique est un vrai patchwork, un assemblage d’éléments épars ; on y trouve un peu de blues, de folk et de musique traditionnelle.
Être une femme qui joue de la kora, c’est assez exceptionnel. Comment le vis-tu ?
C’est vrai qu’elles ne sont pas aux devants de la scène, mais il y a beaucoup de femmes qui jouent de la kora. D’ailleurs quand je commençais au conservatoire, il y avait plus de femmes que d’hommes dans ma classe.
Mais je pense que ce n’est jamais évident pour une femme de faire carrière ; entre les obligations familiales, le rôle de mère et d’éducatrice, ainsi que tout ce que cela implique, il est bien commun qu’une femme, même pleine d’ambitions, soit obligée de décrocher.
C’est cela qui explique, je le pense, qu’il y ait très peu de femmes koristes au niveau professionnel. Mais moi je suis déterminée et je ne compte pas lâcher !
Il y a quelques mois, en mars plus précisément, tu donnais un concert en France avec Ignacio Maria Gomez, un artiste qui vient de l’autre bout du monde, de l’Argentine. Comment la fusion a-t-elle opéré ?
C’est un grand artiste que j’aime beaucoup, sa voix me touche particulièrement, elle est douce et mélodieuse. Ignacio est lui aussi passionné par les musiques d’Afrique et cela a été le noeud de notre complicité artistique.
On s’est rencontré un jour et on a tout de suite voulu travailler ensemble ; nous avons beaucoup de projets, mais le temps fait défaut. Nous devons gérer nos carrières individuelles et cela ne nous laisse que très peu de temps.
Néanmoins, nous avons joué en mars dernier aux Bibliothèques de Paris (France) et nous avons aussi enregistré un concert qui sera mis en ligne très prochainement. Nous préparons beaucoup de choses ensemble.
Senny, ta participation récente au projet « l’Afrique à chanter » est une des grandes lignes de ton actualité musicale. Voudrais-tu nous en parler ?
L’Afrique à chanter est un projet initié conjointement par le ministère français de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports et par la Radio France, dans le cadre la Saison Africa 2020.
L’idée était de créer un petit opus, pour permettre à la jeunesse française de découvrir des langues et des sagesses africaines. Nous étions donc 6 artistes convoqués et il nous a été demandé de proposer des chansons pour le projet.
J’ai pour ma part fourni deux compositions originales et deux reprises, soit 4 œuvres en tout.
J’ai dû adapter ces morceaux à un public âgé entre 7 et 15 ans, selon la consigne des organisateurs. Cela m’a fait énormément plaisir de travailler pour des enfants.
Depuis un moment, tu es membre du groupe O’Sisters, comment vis-tu cette expérience ?
O’sisters est un surtout un collectif d’artistes musiciennes, qui se réunit pour créer et réfléchir sur des sujets de différentes natures : l’environnement, l’éducation de la jeunesse, les conditions de la femme dans la société…
C’est un projet initié par une DJ expérimentée, Missill, dont j'admire la belle carrière. Je n’avais encore aucun rapport avec la musique électronique quand elle m’a contactée pour me joindre à son initiative, j’ai tout de suite dit oui, sans doute poussée par mon inaltérable soif de découverte.
Elle m’a envoyé une piste en électro que j’ai écoutée et à mon tour, je lui ai renvoyé quelques lignes de kora et tout de suite, la connexion s’est créée.
Nous avons travaillé et sorti ensemble un EP titré Moussolou, qui est disponible sur toutes les plateformes légales de musique. Nous avons même tourné des clips ici au Sénégal.
Parlant d’EP, il y en a un qui nous intéresse particulièrement pour cet entretien, Boolo…
(Rires) Boolo est un mot wolof (langue du Sénégal) qui désigne l’unité. Il s’agit d’un projet musical personnel, dans lequel je m’interroge sur les fondements du vivre ensemble.
Factuellement, nous vivons déjà ensemble ; nous partageons la même planète et la même terre, mais pourquoi est-il si difficile de cohabiter ?
Le respect, l’écoute et l’amour pour l’autre, sont des valeurs que je présente dans cet opus, comme les garanties d’une société plus humaine.
L'œuvre de 5 titres, j’ai l’ai produite moi-même, mais la distribution est assurée par le label Helico Music avec lequel je travaille désormais (Ignacio en est pensionnaire aussi).
Je suis d’ailleurs au Sénégal en ce moment, pour la préparation d’un album qui paraîtra en 2022, mais aussi pour la réalisation du clip d’un des titres de cet EP, dans lequel je parle d’immigration clandestine.
Senny, tu es une vraie amoureuse des rythmes de ton terroir ; crois-tu qu’on devrait les promouvoir un peu plus à l’international ?
Il y a déjà un travail immense qui est abattu au Sénégal pour la promotion de nos cultures locales, mais on peut toujours mieux faire.
En effet, nous devons exploiter encore plus cette grande richesse laissée par nos peuples (sérère, diola, etc). Il y a tellement de rythmes, c’est riche et varié.
Personnellement, quand je veux avoir de nouvelles inspirations, je fouille dans le répertoire traditionnel, dans les rythmes de l’ethnie sérère de ma mère et dans la culture mandingue de mon père. Cela nourrit vraiment mes créations.
J’ai particulièrement apprécié, quand j’étais étudiante au conservatoire de Dakar, que l’on nous impose des sessions de musiques traditionnelles. Nous avions l’occasion de toucher à des instruments comme la kora, le balafon ou encore le n’goni. Il est important de préserver ces cultures et de les transmettre aux jeunes générations.
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