Shayden : « J’ai créé Lili Women Festival pour redonner sa place à la femme artiste ivoirienne »
À quelques jours du Lili Women Festival, Music In Africa s’est entretenu avec Shayden, auteure, compositrice et interprète ivoirienne, mais surtout fondatrice de cette manifestation 100 % féminine qui aura lieu les 11, 12 et 13 mai prochains à L’Institut Français de Côte d’Ivoire (Abidjan).
Sa vision pour le festival, son ambition de « redonner sa place à la femme artiste ivoirienne », la programmation et les nouveautés de la 5e édition du Lili Women, Shayden se confie sur ces différents points, et en prime, elle livre son analyse sur l'efficacité des tremplins musicaux pour les talents en herbe d'Afrique. Entretien.
Bonjour Shayden peux-tu te présenter brièvement, nous parler de tes débuts dans la musique et de ton style musical ?
Mon nom d’artiste est Shayden (Gueye Ornella Rosie à l’état-civil) ; je suis chanteuse de façon professionnelle depuis 2013.
Je baigne dans la musique depuis toujours car dès ma tendre enfance, j'étais entourée par de vrais amoureux de cet art, notamment mes parents. Ma défunte mère a longtemps chanté et elle a grandement contribué à forger mon catalogue et ma sensibilité musicale. Elle écoutait vraiment de tout, avec ses goûts musicaux variés et éclectiques. C’est donc dans ce contexte, et par amour, qu'est née ma passion pour la musique. La soul et le rnb sont les styles que je pratique le plus.
Dans quelques jours, la 2e édition du festival Lili Women Festival va débuter. Comment t’est venue l’idée de créer cet événement ?
L’idée de ce festival m’est venue lors de ma participation à The Voice Afrique Francophone (TVAF), en 2016. Je me suis rendue compte qu’il y avait une grande diversité et énormément de potentiel au niveau des voix ivoiriennes. J’ai rencontré pas mal d’artistes que je ne connaissais pas, alors qu’on vivait dans le même pays. Il a fallu que j’aille à The Voice pour les découvrir.
Je me suis demandée pourquoi nous avions autant de belles voix qui restent méconnues dans notre pays et pourtant, elles n’avaient aucune visibilité ? Pourquoi fallait-il que je fasse plusieurs kilomètres pour rencontrer des chanteuses de soul ivoiriennes comme moi, et de surcroît à l'occasion d'un télé-crochet loin de la Côte d'Ivoire ?
Pourquoi un festival 100 % féminin et que comptes-tu réaliser à travers cette plateforme ?
Dès mon retour en Côte d’Ivoire après The Voice, j’ai lancé des recherches sur l’industrie musicale ivoirienne. J’ai constaté que les femmes étaient peu représentées sur la scène locale et dans les événements. En 2017, Josey était quasiment la seule à tenir la dragée haute devant une concurrence fortement masculine. En dehors d'elle, il n’y avait aucune autre femme...
Pourtant, la Côte d’Ivoire a toujours été considérée comme une plaque tournante de la musique africaine et nous avons eu par le passé, de grandes chanteuses, des voix fortes telles qu’Aïcha Koné, Monique Séka, Nayanka Bell... elles sont si nombreuses que je ne saurais toutes les citer...
J’ai donc vu la nécessité de créer une plateforme pour redonner la place à la femme artiste ivoirienne.
L’objectif du festival est donc de les rassembler, de montrer qu’au delà des stéréotypes, les femmes peuvent travailler ensemble et créer une belle synergie sur la scène locale. J’ai également voulu leur donner les outils afin de pérenniser leurs carrières en se professionnalisant ; mais surtout, par ce festival, j’ai voulu donner de la visibilité aux artistes débutantes en les mettant sous les feux des projecteurs.
Parle-nous de cette édition 2023...À quoi doit s’attendre le public ? Comment sélectionnes-tu les artistes qui participent au show ?
On sélectionne les artistes par un appel à candidatures annuel publié sur nos différents réseaux sociaux, un an avant le festival. Un jury de professionnels examine alors les candidatures reçues et sélectionne les artistes. À partir de ce moment-là, elles sont intégrées dans toute la machine du festival jusqu'aux prestations. Cette année, nous avons 8 artistes : Reine Ablaa, Jackie, Emy, Vivi Makado, Lerie Sankofa, mais aussi l'Encre des Étoiles qui est une slameuse et qui apporte une grande nouveauté à cette édition avec son art… [Korée et Kossua]
On va accueillir des femmes qui viennent de genres, de disciplines et d’univers très différents et variés, même si cela reste essentiellement de la musique. Même au niveau des voix, elles ont toutes des identités sonores différentes. On aura donc, du rap, de la soul, du slam, du gospel, du rnb…Cette édition sera vraiment plus riche que les précédentes.
L’autre nouveauté cette année, c’est la mise en place de programmes de formation. On a prévu de nombreux ateliers pour les Lili Women. On espère vraiment dans le long terme, mettre en place une académie qui va former les femmes aux différents métiers de l’industrie de la musique…
Elles rejoindront ces petites mains que ne l’on ne voit pas toujours mais qui sont indispensables à la réussite d’un concert, celles qui sont derrières pour que d'autres brillent devant ; je parle là des ingénieurs de son, des régisseurs, etc. Ces métiers sont souvent relégués au second plan parce qu’ils sont considérés moins glamour, pourtant, ils sont indispensables à la réussite des spectacles et festivals.
Nous espérons dans le futur avoir des partenaires et des soutiens financiers pour pouvoir payer des formateurs et mener à bien ce projet. Néanmoins, nous avons déjà jeté les bases.
C’est quand même un accomplissement majeur d’avoir pu tenir 5 ans. Beaucoup de festivals disparaissent après une ou deux éditions. As-tu des soutiens d’organismes gouvernementaux, d’institutions culturelles ou d’autres mécènes ?
Pour le moment, je ne bénéficie d’aucun soutien au niveau gouvernemental, je n’ai pas encore eu cette opportunité. L’Institut Français nous accompagne depuis l’édition 2021. Le Goethe-Institut a aussi rejoint l'aventure depuis la 2e édition, et il nous offre un soutien logistique conséquent : les salles pour les formations, etc.
Malheureusement, nous n’avons pas vraiment de soutien financier pour le moment, car nous avons justement choisi une niche d’artistes débutants, des noms qui ne sont pas nécessairement des grosses têtes d’affiche…
Au stade où nous sommes, je dirais que le festival dépend entièrement de moi. Ça peut paraître prétentieux de le formuler comme cela, mais c’est la vérité. J’aurais d'ailleurs aimé que ce ne soit pas le cas, car ce n'est pas évident de supporter tout cela, toute seule. Mais je quand on a une vision, on s’accroche ! Je suis convaincue que cela finira par payer tôt ou tard !
Ce qui m’encourage aussi, c’est voir l’impact que le festival a dans la carrière des artistes. Je peux prendre l’exemple d’une artiste comme Sarah Liz, qui a vu les opportunités professionnelles se multiplier pour elle, depuis son passage au festival.
Lors de ta participation à The Voice, dans ta vidéo de présentation, tu disais que l'émission pourrait être un déclic pour valider et faire accepter ton choix de carrière à tes proches. Est-ce que cela a été le cas ?
Je dirais oui ! Ma mère par exemple, m’a beaucoup soutenue et accompagnée dès le lancement du festival. C’est elle qui s’occupait des artistes, quand il fallait leur donner à manger, etc.
Elle prenait soin des participantes comme de ses propres enfants, hélas elle est décédée en janvier dernier et je dois avouer que j’ai un peu de mal à organiser cette édition-ci, car je dois presque tout faire toute seule. Aujourd’hui, ma famille, surtout mes sœurs, comprennent et me soutiennent dans ce que je fais, mais elles sont des fois un peu inquiètes pour moi. Elles se disent que c’est finalement un métier ingrat, car elles voient comment je me sacrifie, je mets ma carrière entre parenthèses, pour soutenir et pousser le festival...
En effet, depuis quelques années, j’ai dû mettre ma propre carrière en standby, car c'est financièrement exigeant de mener les deux activités en même temps. Les fonds qui devraient servir à me promouvoir moi-même, je les utilise pour promouvoir d’autres artistes à travers le festival.
Mais comme je le dis souvent, la musique est un sacerdoce. Je ne regrette pas mes choix. Je suis fière de ce que je fais. Lorsque tu fais les choses avec passion, que tu respectes ton art, ton travail, les personnes en face de toi n’ont pas d’autres choix que de le respecter aussi. Comme on dit en Côte d’Ivoire, « Comme tu te vends, c’est comme ça qu’on t’achète ! »
Quelles sont les leçons que tu as apprises à TVAF et qui t’aident dans l’accompagnement des participantes du festival ?
Je dirais l’une des principales leçons apprises c’est : « formez-vous ! »
Ce n’est pas parce qu’on est artiste que tout doit être lunaire, improvisé. Les artistes en général n’aiment pas écrire, mais il faut apprendre à planifier, écrire ses objectifs sur papier, avoir un plan de développement de carrière sur 2 ou 5 ans. Se demander « quels sont les leviers financiers auxquels j’ai accès ? »
De nos jours, la formation ne se limite pas à une salle de classe ; nous sommes dans l’ère du digital. Notre génération a tous les outils aujourd’hui pour se former continuellement. Il n’y a donc aucune excuse pour se complaire dans la médiocrité et l'amateurisme pur.
Il faut également avoir l’humilité de s’approcher des gens qui peuvent vous accompagner car on ne peut pas tout faire seul.
Pour finir, la foi ! Je crois beaucoup en Dieu, et je n’aurais pas pu surmonter toutes les épreuves que j’ai connues sans ma foi en Dieu. En somme, je dirais donc : « croyez en Dieu, croyez en vous, et surtout, formez-vous ! »
Shayden, est-ce que les émissions telles que TVAF permettent selon toi, de réellement lancer sa carrière en Afrique ?
Personnellement, je ne suis pas spécialement fan de ce type de concours. D’ailleurs, c’est un peu par hasard que je me suis retrouvée à The Voice, car je ne me suis pas inscrite moi-même (rires).
Plus sérieusement, je pense que ces émissions permettent de se faire connaître d'un certain type de public, ceux qui regardent ces shows. Mais, malheureusement, la Côte d’Ivoire (comme de nombreux pays africains), n’a pas encore les structures nécessaires pour permettre aux candidats, fraîchement sortis du télé-crochet, de tout suite démarrer les choses et entrer dans un système pouvant accélérer leurs carrières.
En Afrique, surtout dans la partie francophone du continent, il y a tellement de choses à construire pour avoir une industrie structurée et performante. Je dirais donc, d’un point de vue personnel, que le bon côté de ces émissions est de pouvoir se mesurer aux autres, de réaliser qu’il y a des milliers de talents autour de soi. Cela aide à comprendre qu'il faut travailler dur car le talent seul ne fait pas tout.
Sinon, je reste sceptique quant à l’impact durable de ces émissions. Quand je revois le parcours de mes collègues ivoiriens et ceux d'ailleurs passés par TVAF, je compte sur le bout des doigts, ceux qui ont réellement pu démarrer une carrière professionnelle après le télé-crochet.
Le Lili Women Festival débute aujourd’hui à l’Institut Français de Côte d’Ivoire et il sera diffusé en live sur ses réseaux. Vous pouvez obtenir plus d’informations sur l’événement en visitant la page Facebook dédiée.
Commentaires
s'identifier or register to post comments