Sources commentées des origines de l'éducation musicale formelle en Afrique de l'Ouest francophone
L’éducation musicale est consubstantielle à l’existence d’une vie musicale. Elle postule du fait de la présence même de communautés s’adonnant à la pratique musicale, dans ses formes socio culturelles de perpétuation, notables en familles (castes), en corporations (griots), ou de manière libre et indépendante. Les faits de l’histoire de la musique en Afrique de l’ouest et l’observance de leurs réserves de permanences contemporaines le confirment.
Venant après celle autochtone, l’introduction de la scolarisation formelle en musique a été le fait historique de l’administration scolaire coloniale de l’Afrique occidentale française (AOF[1]).
Les origines de l’éducation musicale formelle dans les pays francophones de l’Afrique de l’ouest représentent donc un exercice de recherche axé sur une situation relevant de l’histoire coloniale, mais aussi sur un fait de sociétés comportant une dimension extra et intra musicologique : histoire sociale, alliance esthetico culturelle, politique éducative post coloniale, réévaluation de la pensée musicale et des codes artistiques, rapport de coexistence des musiques importées et celles autochtones.
[1] Benin, Burkina Faso, Cote d’ivoire, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger et Sénégal.
Revue de la littérature sur l’éducation musicale formelle
Le recensement de productions d’études concernant les origines de l’éducation musicale formelle en Afrique de l’ouest francophone présente des fondements sérieux de sources et de travaux d’experts exploitant l’éducation musicale. Lesdites productions sont constituées d’aspects centraux et périphériques au sujet, de l’ordre de quatre (04) catégories :
La catégorie éducation musicale AOF, comporte des littératures évoquant la pratique de l’éducation musicale au sein desdites colonies.
La cartophilie coloniale abonde de scènes de musique comportant pour l’éducation, des images de pratiques de sociétés musicales à Dakar (Création du Conservatoire de Musique en 1946) et à Saint Louis du Sénégal (Tacher 2011 et Symphonie de Saint-Louis 1923), d’élèves d’école mixte et leur confirmation au sein des missions religieuses chrétiennes (Mbunga 1965, Pasler 2013).
Dans l’étude sur la place de l’éducation musicale dans le système éducatif sénégalais et les réflexions argumentées pour sa promotion (Bangoura 2000, pp. 5-7), est présentée l’exploitation d’archives et de témoignages spécifiques aux premières traces d’administration de Camille Guy, Gouverneur Général et de Georges Hardy, Conseiller technique du Gouverneur et Inspecteur de l’éducation. Ces mêmes archives indiquaient des pratiques éducatives (apprentissages et résultats) datant des années 1930 et 1940, qui concernaient deux (02) établissements des villes de Dakar et de Saint-Louis.
Les interrogations et perspectives sur la pratique de l’éducation musicale au Sénégal (Ndiaye 2015, p. 63) marquée par le paradoxe du désamour éprouvé par les apprenants malgré leur passion pour la musique, proposent un rappel historique de constat de la discipline dans l’enseignement secondaire coloniale. Y sont notés : la faible fréquence de tenue des cours par des professeurs de disciplines autres, mais ayant des notions musicologiques et, l’usage de la discipline comme matière d’agrément et de détente environnementale (audition de musique) par certains enseignants, tandis que d’autres présentaient des notions de théorie musicale.
Hormis le Sénégal, l’éducation musicale en Côte d’ivoire a également fait l’objet d’une monographie (Koffi 2006 pp. 13 et 14) projetant l’adéquation de son formalisme (intellectualisme) aux caractéristiques traditionnelles de la musique ivoirienne. L’école de Côte d’ivoire y étant considérée comme héritage de celle coloniale française, avec une traduction intellectuelle de la musique, par opposition à l’oralité naturelle observée de manière empirique sur la société pré coloniale, coloniale et post coloniale ivoirienne.
En sus de l’enseignement général, l’éducation musicale en AOF était également présente dans le programme de formation professionnelle et technique, comme celui destiné aux futures instructrices issues des différents territoires de la colonie. Le Tableau de répartition des enseignements à l’école normale de Rufisque en 1938 (Barthelemy 2003 p.376 et Arrêté no 2403/E du 21 juillet 1938 instituant une École normale de jeunes filles de l’AOF, publié au Journal officiel de l’AOF le 30 juillet 1938) indiquent, entre autres disciplines, quatre heures (4 H) hebdomadaires de cours de chant et de musique associés au dessin, tout au long des quatre (4) années de formation requises pour les normaliennes.
La catégorie éducation musicale, métropole, rapport colonies, analyse des textes de décisions adoptées par la métropole, sous la IIIe République de Jules Ferry, en entrevoyant la logique de leur prolongement (application) dans l’espace outre mer de l’Empire.
Sur ce point, des directives identiques peuvent servir d’illustration comme l’analogie entre le certificat d’études primaires élémentaire institué en métropole par la loi du 28 mars 1882 (Article 13 Arrêté organisant le service de l’enseignement dans les colonies et territoires de l’AOF, in Conseil du Gouvernement général de l’AOF 1903) ; la prise en compte du genre dans l’éducation musicale (Alten 2005 et Titre V, Article 54, Arrêté organisant le service de l’enseignement dans les colonies et territoires de l’AOF, in Conseil du Gouvernement général de l’AOF 1903) ou encore les applications de citoyenneté attribuées au chant scolaire (Alten 1997 et Pasler 2015).
La catégorie politique éducation AOF, ordre colonial et administration, évoque l’historique et le cadre général de l’organisation du système scolaire en AOF. La sélection de sa littérature a obéit au lien périphérique entre l’administration coloniale spécifique à l’enseignement et l’éducation musicale, quelle que soit son appellation institutionnelle (chant et/ou musique), en tant que discipline.
La période historique couverte par cette étude (1900-1960) représente dans l’histoire de la France, celle politique correspondant aux dernières décennies de la IIIe République et grandement à la IVe, avec notamment la promulgation de lois laïques transversales aux domaines d’interventions publiques. Cependant, l’historique de l’enseignement en AOF (Autra 1956) a l’intelligence de présenter l’intérêt d’un rappel de la phase de l’extension de l’enseignement en AOF, en lien exclusif avec la IIIe République (1870 - 1940).
Ce contexte historique transitionnel représente une phase décisive dans l’organisation générale de l’enseignement en AOF, avec la promulgation de textes législatifs et la survenance d’événements importants, pour situer la place de l’éducation musicale : charte de1903, Arrêté du 1er mai 1924 portant sur la réorganisation de l’enseignement et fixant les programmes, l’adoption des types et cadres environnementaux d’établissement et la hiérarchisation des enseignements. déclinant la mise en place d’un système éducatif en personnel, schéma et organisation de l’administration scolaire.
Ce dispositif entendait aussi traduire une philosophie de la gouvernance, à travers l’éducation, dans le rapport entre le colonisateur et les populations autochtones. Cette réflexion administrative a fixé des bases doctrinales entre l’arrêté organisant le service de l’enseignement dans les colonies et territoires de l’AOF, signé le 24 novembre 1903 à Saint-Louis par le Gouverneur Ernest Roume, et la position des conférenciers de Brazzaville en 1944, prônant la réorganisation du système scolaire (Gamble 2010).
C’est ainsi que : « les notions d’assimilation, d’association ou d’adaptation ont donc tenu dans les discours sur l’enseignement colonial une place centrale. Les congrès coloniaux, organisés à la faveur des expositions internationales de 1889, 1900, 1931 et 1937 le montrent. Ces rencontres, sont consacrées en partie aux objectifs, aux formes et aux moyens de l’enseignement colonial. Les principaux rapports qui y sont présentés éclairent non seulement les bases doctrinales des politiques scolaires, mais aussi le fonctionnement des idéologies, la manière dont elles évoluent en s’adaptant à de nouveaux contextes » (Fall 2002 p. 26, Didier 1932, Eizlini 2012, Labouret 1953, Little 2005 et positions idéologiques de Charton 1934 et Hardy 1917).
La situation de l’éducation musicale dans le schéma et l’organisation de l’administration scolaire coloniale portera indubitablement l’esprit de cette philosophie de gouvernance, à travers l’adoption d’une place précise à la discipline : type et cadre environnemental d’enseignement et volume horaire (Conseil du Gouvernement général de l’AOF 1903 et Barthelemy 2003).
Il est également important de compléter à cette littérature de gouvernance, les productions abordant les écoles coraniques (Beyries annexé par Désiré-Vuillemin 1962), et les orphelinats métis. En effet, à la suite des expérimentations antérieures à 1900 (Ricou 2008, p.188), l’enseignement de l’arabe dans les écoles de village et celles régionales en pays musulmans a fait l’objet de décisions institutionnelles (Article 9, Arrêté organisant les service de l’enseignement dans les colonies et territoires de l’AOF, in Gouvernement général de l’AOF 1903) même si elles ont été de fortunes diverses aux yeux de l’administration dans son rapport aux populations des territoires majoritairement musulmans. Les écoles coraniques ou medersas ont été catégorisées en tant qu’établissement d’enseignement spécial avec les orphelinats métis (Guillaume 1941).
A la suite de la catégorie ordre colonial, administration et politique éducation AOF, celle enseignement AOF, organisation curricula, constitue la littérature de prolongement conséquente abordant la connaissance de la matérialisation des politiques éducatives.
Tout comme pour sa précédente, elle est périphérique et complémentaire à la musique, en ce sens qu’elle présente un contenu abordant l’historique et la pratique de l’enseignement général en AOF (Fall 1997), par des interrogations sur le personnel (Eizlini 2012) et par des monographies spécifiques à des colonies : Sénégal, (Bayet 1972), Soudan, actuel Mali, (Bouche 1966) et Mauritanie (Berland 1949).
Y sont abordés, entre autres informations générales : le point de départ d’établissement des écoles, le mode de recrutement du personnel, le dispositif logistique et pédagogique, les profils des différentes générations du personnel. Toute une série d’éléments d’information généraux non nominatifs, mais inductifs sur l’éducation musicale.
Analyse des Sources
L’analyse de la littérature sur le sujet accorde des appréciations de degrés différents selon la catégorie et la proximité des contenus d’avec l’éducation musicale.
La catégorie « éducation musicale AOF » est de source première et centrale. Elle offre par contre des informations superficielles, non approfondies et pas systémiques. Les connaissances sur le sujet ne sont donc pas complètes.
En termes informatifs, cette catégorie s’oppose aux études également centrales « éducation musicale, métropole, rapport colonies », qui concernent la métropole et devant, en application au contexte historique (principe de continuité géographique de la République), être mesurées en colonie. Les informations sur l’éducation musicale y sont donc fournies et prennent en compte divers aspects du système éducatif : acteurs administratifs, acteurs opérationnels (enseignants et élèves), programmes et curricula etc.
Cependant, l’analyse en termes de contenus, du rapport de la catégorie « éducation musicale AOF » à l’aune de celle sur « éducation musicale, métropole, rapport colonies », indique qu’il existe un déficit d’informations centrales de mêmes ordres sur l’éducation musicale en AOF dans la période coloniale.
Ce paradoxe est également perceptible à travers les relations entre la catégorie « éducation musicale AOF », les littératures périphériques « politique éducation AOF, ordre colonial et administration » et « enseignement AOF, organisation curricula ».
En effet, la première littérature périphérique, en envisageant toutes les disciplines, présente une série d’extraits de textes légiférant le service de l’enseignement colonial, tout en indiquant ses moyens organisationnels. La seconde la matérialise et l’illustre. Cependant cette littérature d’application ne présente pas de situations d’enseignement informatives sur l’éducation musicale, tant bien même que des enseignements (nature et niveaux), indiqués par le législateur, en soient concernés.
Cet ensemble d’illustrations et d’écrits indique que l’éducation musicale formelle, adoptée dans les pays ouest africains francophones, est un fait de l’histoire. L’entreprise de sa présentation en tant qu’objet d’étude scientifique est à envisager en vue de mesurer l’héritage de la discipline et d’apprécier ses contextes d’intégration et de reforme comme programmes dans les différents systèmes éducatifs des pays ouest africains francophones.
Références bibliographiques
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