Koura Gosso 2021 : pour se grandir ensemble
Le festival Koura Gosso se tiendra à N’Djaména du 16 au 23 mai, une première après quatre éditions réussies dans la capitale économique du Tchad, Moundou. La programmation a été dévoilée sur les réseaux sociaux en amont de la conférence de presse du vendredi 19 mars 2021. Rencontre avec sa directrice artistique, Netoua.
Si le Tchad compte bien sûr quelques festivals, la culture n’est pas encore pensée comme un levier de développement par les responsables politiques. « Contrairement à d’autre pays du continent, ici, Il faut encore convaincre de l’importance de soutenir les arts et les artistes », explique en préambule la créatrice du festival qui réunit des professionnels étrangers pour favoriser l’accès à l’international de la jeune génération.
Seront représentés entre autres pour cette 5ème édition Mondial Montréal, Visa for Music, Douala Music Art festival, Ndjamvi et Scène d’Ebène.
Il n’y a pas d’école de formation au Tchad permettant aux jeunes créateurs et créatrices de se confronter à d’autres univers artistiques, de se professionnaliser et de travailler à une stratégie de carrière. Il faut donc palier cette absence par l’initiative citoyenne pour tenter grâce au partenariat, à la coopération internationale, de structurer une autre forme d’organisation, d’accompagnement et de sensibilisation.
Car les talents ne manquent pas. C’est pour les faire connaître que Netoua et une équipe majoritairement féminine se sont lancées à Moundou dans l’aventure. Leur ambition ? Créer un espace d’expression pour la scène émergente tchadienne à travers la notoriété grandissante de Koura Gosso. Chaque édition vient renforcer le message et donner raison à ces pionnières qui savent tisser des liens de confiance avec d’autres grands événements internationaux, dans la durée.
Pour faire la promotion du festival, Netoua s’invite dans les rendez-vous qui sont devenus des références comme Visa for Music, dont elle s’inspire pour son propre événement destiné comme c’est le cas au Maroc aux professionnels de la filière des musiques actuelles, mais pas seulement.
Netoua n’est pas une artiste, mais une entrepreneuse qui aime son pays, veut en défendre l’image à l’international. Elle a choisi de se former avec les premières éditions en mobilisant une équipe solide et motivée sur qui elle peut compter. C’est le savoir-faire de cette équipe et sa motivation qui font la qualité de l’administratrice, aime souligner la directrice artistique de Koura Gosso.
Dans quasi tous les domaines professionnels, les femmes africaines doivent lutter pour se faire une place et démontrer la légitimité de leur engagement, l’efficacité de leur organisation. Ce constat persistant alors que tout change à la vitesse des progrès technologiques, de la mondialisation, ne décourage pas Netoua. Il est au contraire le levain de sa détermination, de son sens des réalités et des responsabilités. Elle en tire une force sereine et affirmée.
Devenue promotrice culturelle par conviction, Netoua décrit ainsi les qualités nécessaires pour s’engager dans une démarche de direction artistique. « Il faut avant tout partir du principe que nous avons les mêmes droits que ls hommes et puiser dans les ressources que la nature nous a données, parce que nous sommes nées femmes. La patience et notre capacité d’organisation sont des alliées précieuses. Le reste n’est qu’une question de gestion du quotidien, de résistance à la pression. Allier confiance en soi, ambition et émancipation suffit à lever nombre d’obstacles. »
Grâce à Koura Gosso, plusieurs artistes tchadiens ont déjà pu accéder à d’autres scènes internationales et trouver des réponses à leurs aspirations. Ce tremplin sert aussi de rampe de lancement aux artistes d’autres pays du continent. En 2021, ils sont à nouveau très nombreux à avoir répondu à l’invitation, signe que le festival occupe désormais une place de choix dans le paysage culturel africain.
Pour Obaz, jeune rapeur d’Agadez, comme pour Joël Gandi, slameur d’origine togolaise basé à Niamey, ce festival fait figure de passeport vers un avenir meilleur grâce à un horizon qui pourrait enfin se préciser, malgré le contexte sanitaire. Obaz n’a encore joué sur aucune scène en dehors du Niger.
« C’est la première fois que j’ai affaire à quelqu’un qui se soucie de moi, de l’artiste et de l’acteur culturel que je suis aussi. Je découvre que je peux apporter beaucoup autour de moi, pour toute une communauté ». Joël Gandi, slameur
Obaz est rapeur mais aussi chorégraphe. Il encadre à Agadez une troupe de danseurs composée de quatre femmes, quatre hommes de 18-25 ans. Pour des raisons budgétaires, le groupe Jeunesse Production Chaghat ne fera pas le déplacement, mais Obaz aura l’opportunité de prendre des contacts à N’Djaména avec l’espoir de décrocher des dates à l’étranger pour ces jeunes de culture nomade qui font le choix de se produire sur scène et dans des mariages malgré l’absence de perspectives.
Les multiples rencontres proposées par Koura Gosso dépassent l’idée d’un grand marché où chacun peut trouver ce qu’il vient chercher, mais aussi se laisser surprendre par la nouveauté, la diversité des prestations scéniques. C’est un temps privilégié pour partager des réalités, construire la confiance et sensibiliser largement, qu’il s’agisse d’amener une population vers la culture, voire rassurer les familles dont les enfants aimeraient tenter leur chance, ou de rappeler aux élus au gouvernement leur responsabilité. La réussite de ce secteur d’activité essentiel à la bonne marche d’un pays démocratique implique d’investir dans le développement d’une industrie culturelle, c’est un choix éminemment politique.
Netoua cite en exemple le Sénégal, le Burkina Faso, le Maroc. Elle aimerait que le Tchad mise pareillement sur les artistes pour rayonner à l’international, en prenant conscience que les arts et la culture contribuent aussi bien à l’économie du pays qu’au lien social, à l’espoir que toute réussite suscite chez la jeunesse.
Le festival est aussi l’occasion d’attirer chaque année l’attention sur un problème de société, une urgence, puisqu’il fait office de tribune publique bénéficiant d’une forte médiatisation. Dors et déjà, le festival communique sur la thématique de l’édition 2021 : carton rouge aux violences faites aux femmes.
Dans une société où la vision de la femme reste trop souvent cantonnée aux stéréotypes hérités du passé, le décalage est de plus en plus frappant entre ce que vivent les femmes, ce qu’elles veulent, ce qu’elles apportent à la société, et leurs réelles marges de manœuvre. Voire les injustices et les violences dont elles sont encore trop souvent victimes, dès leur plus jeune âge.
Netoua est le parfait contre-exemple de cet archétype de la femme tchadienne dont on attend qu’elle se marie pour faire des enfants et tenir un foyer. Elle ne laisse personne dicter sa conduite.
Avec enthousiasme, elle poursuit son chemin, confiante dans l’engagement de son équipe salariée et bénévole. Dans un sourire, elle annonce la couleur. « Du 16 au 23 mai, il n’y aura pas de temps mort. Nous allons toutes et tous profiter à fond, comme les artistes et nos autres invités, de cette chance de nous retrouver, de travailler ensemble ».
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