Sénégal : Après la fête de la musique, quid des droits d’auteur ?
Les musiciens font rayonner le pays de la Téranga à travers le monde, mais peinent à vivre de leur art. Il suffirait pourtant de rendre effective la redevance pour copie privée censée rapporter des milliards de francs CFA au pays, mais dont l’entrée en vigueur tarde sans raison apparente.
À l’instar de nombreux pays à travers le monde, le Sénégal a célébré ce 21 juin la fête de la musique, une manifestation imaginée par l’emblématique ministre de la Culture de François Mitterrand, Jack Lang. Plus que le cinéma, la littérature, le tieboudiène ou encore le foot, c’est la musique qui fait le plus rayonner le pays la Téranga.
De Baaba Maal – auteur de l’hymne tambouriné du blockbuster hollywoodien « Black Panther » – à Doudou Ndiaye Rose en passant par Akon, Wasis Diop, Youssou N'Dour, Ismaël Lô, Omar Pène ou encore Thione Seck, Coumba Gawlo et Daara J Family…, elles sont nombreuses les voix célèbres qui ont permis au reste du monde de situer le Sénégal sur une carte.
Garantir des revenus aux créateurs
Et qui dit création artistique dit aussi droit d’auteur. En principe. Jusqu’en 2013, les droits d’auteurs étaient gérés par une entité publique, le Bureau sénégalais du droit d’auteur (BSDA). Il avait tutelle sur les œuvres, lesquelles « appartenaient » alors à l’État. C’est l’État qui décidait quel pourcentage des redevances perçues il reversait aux auteurs. De même, il déterminait, unilatéralement, quelles sommes l’audiovisuel public devait attribuer à ces auteurs. Rien de bien réjouissant donc pour ces derniers.
Le remplacement du BSDA par la Sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins (Sodav), en 2013 donc, leur promettait de nouvelles et belles perspectives, la loi reconnaissant non seulement la propriété des auteurs et leur tutelle sur leurs propres œuvres, mais aussi une nouvelle catégorie de bénéficiaires de droits d’auteur, les interprètes et les producteurs. Les droits d’auteur devaient d’une part garantir des revenus aux créateurs d’œuvres de leur vivant ainsi qu’à leurs ayant-droits après leur disparition – ce qui permettait de préserver leur dignité -, de l’autre, les redevances qui en découleraient devaient financer et consolider l’industrie culturelle, dans ce pays où les musiciens représentent 80 % des membres de la Sodav, et la musique, 90 % des redevances.
Immobilisme et querelles stériles
Sauf que, plus de treize années après, les décrets d’application de la dite loi ne sont toujours pas pris. Résultat, la redevance pour copie privée, qui est aussi la mesure la plus significative – et potentiellement la plus profitable aux auteurs -, n’est toujours pas instaurée. Issue de taxes appliquées à l’entrée du territoire sur tous les appareils permettant la copie d’une œuvre, tels les smartphones, les clés USB, les disques durs externes, les laptops et autres ordinateurs, ladite redevance était supposée rapporter au Sénégal des milliards de francs CFA, répartis entre auteurs/éditeurs, interprètes et producteurs.
Difficile de comprendre que la Sodav, pourtant dirigée par la productrice musicale Ngoné Ndour Kouyaté, ne soit pas encore parvenue à faire triompher les droits des artistes. L’organisme s’illustre en revanche par son immobilisme et dans de stériles querelles avec l’État, et cristallise la colère de nombreux membres, frustrés que les répartitions semestrielles ne leur rapportent que des miettes.
Sommes ridicules
Et on se retrouve dans la situation ubuesque où le BBDA du Burkina Faso, très peu réputé pour la qualité de ses œuvres musicales, perçoit plus de redevances que la Sodav sénégalaise. En théorie, la RTS doit verser à la Sodav quelque 25 millions de francs CFA annuels. Ce qu’elle n’a jamais fait. En réalité, elle perpétue consciencieusement une dette héritée du défunt BSDA. Alors qu’il y a quinze ans, l’audiovisuel public camerounais versait déjà 300 millions de francs CFA annuels à la société de droit d’auteur locale, la RTI ivoirienne, 200 millions de FCFA par an.
Et la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 dont nous sortons à peine n’a rien arrangé : entre mars 2020 et mars 2021, les musiciens sénégalais ont particulièrement souffert de l’interdiction des spectacles vivants, dont les concerts de musique. L’État a distribué, en deux fois, 5,5 milliards de francs CFA au titre de « l’aide Covid » aux créateurs. Ils se sont retrouvés avec la somme ridicule de …127 500 francs CFA chacun.
Nashville africain
J’ai participé à la rédaction de l’actuelle loi de 2008 sur le droit d’auteur et les droits voisins, dont l’élaboration a été financée par la Banque mondiale. L’ambition était de faire du Sénégal le « Nashville africain de la musique ». Aucun des projets annexés à cette loi n’a été réalisé. Défaite de la musique, mais aussi défaite des arts : la Sodav, contre toute logique – et au nom du consensus mou -, réunit les représentants de toutes les disciplines artistiques. En octobre 2019, la Sodav, devant le ministre de tutelle, posait en grande pompe avec les artistes visuels : il venait de leur allouer la ridicule somme de 20 millions de FCFA.
En janvier 2007, j’étais exclu de la Coalition interprofessionnelle des producteurs et éditeurs phonographiques du Sénégal (CIPEPS), organisation professionnelle phare (ou loupiote ?) des producteurs musicaux, que j’ai fait entrer au Conseil national du patronat du Sénégal, en 2006. Mon tort ? Avoir souhaité que les bénéficiaires du droit d’auteur et des droits voisins réclament le paiement de leurs redevances par toutes les voies légales, y compris la publicité négative des contrevenants ou récalcitrants, et des actions en justice contre les structures publiques et l’État du Sénégal s’il le faut.
L’histoire prouve que je n’avais pas tort. Pourvu que le renouvellement des membres du conseil d’administration de la Sodav qui s’annonce soit un prélude à la mise sur orbite de la redevance pour copie privée au Sénégal. Et que vive la musique, enfin !
Cet article a été initialement publié sur Jeune Afrique le 21 juin 2021.
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