6 questions à Randy Kalay, expert en propriété intellectuelle installé à Kinshasa
Animateur culturel, juriste et expert en propriété certifié OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle), Randy Kalay a animé une conférence dans le cadre de la journée mondiale de la propriété intellectuelle célébrée le 26 avril dernier. Il revient sur cette journée et nous fait part de ses commentaires concernant cet événement.
Le 26 avril, le monde a célébré la journée de la propriété intellectuelle instituée par l’OMPI en 2000. Le thème de cette année est « La propriété intellectuelle et les jeunes : innover pour un avenir meilleur ». Comment l'expliquez-vous ?
Le monde compte environ 1,8 milliard des jeunes de moins de 24 ans, dont 80% vivent dans les pays en voie de développement. Les jeunes représentent l’avenir. Leur regard neuf, leur curiosité est source de créativité, d'ingéniosité et incite donc à l'innovation. Cette soif de réussir moulé dans cette innovation, est susceptible de leur construire un avenir meilleur. Alors, cette journée mondiale de la propriété Intellectuelle est une interpellation aux jeunes en vue de comprendre que, grâce à la propriété intellectuelle, ils peuvent accéder à certains outils essentiels à la réalisation de leurs ambitions, créer de la valeur dans les industries culturelles et créatives, générer des revenus, créer des emplois et avoir un impact positif sur leur environnement. C'est aussi une façon de prendre en considération les actifs immatériels dans des entreprises tenues par les jeunes.
À Kinshasa, cette journée a été marquée par l'organisation d'une conférence-débat que vous avez animé. Les questions sur les droits d'auteur ont été également discutées. Quel lien faites-vous entre la propriété intellectuelle et le droit d'auteur ?
En effet, le droit d'auteur fait partie de la propriété intellectuelle. C'est le droit que l'on a sur les œuvres littéraires, artistiques et scientifiques, pour ne citer que celles-là. On peut y inclure aussi les applications dans les NTIC (Nouvelles technologies de l'information et de la communication). La propriété intellectuelle s'occupe du droit d'auteur et droits connexes ainsi que de la propriété industrielle (les marques, les brevets, les indications géographiques, les dénominations commerciales, les dessins ou modèles industriels, la concurrence déloyale).
La propriété artistique, un domaine de la propriété intellectuelle, s'applique essentiellement aux œuvres de l'esprit. Pourquoi et comment un auteur-compositeur peut-il protéger sa création ?
Avec la propriété artistique, il faut noter que la création d'une œuvre vaut sa protection. Il n'y a en principe pas de formalités administratives requises pour faire enregistrer une œuvre artistique. Cependant, il est important qu'elle soit exprimée et fixée sur un support quelconque (CD, Clé USB…,) pour l'administration de la preuve de paternité sur l'œuvre, et pour éviter son appropriation et son exploitation sans autorisation du titulaire. Pour plus de prudence, l'auteur-compositeur peut aussi adhérer à une société de gestion collective ad hoc.
Internet a permis aux artistes de distribuer leurs musiques à l'échelle mondiale. Mais ils s'inquiètent aussi du piratage de leurs œuvres et manquent souvent les moyens de les protéger. La protection des œuvres a-t-elle des limites à l'heure du digital ?
Bien sûr que oui. Avec le digital, le marché s'est élargi et les actifs immatériels (œuvres de l'esprit) sont facilement transférables. Les infrastructures numériques offrent des grandes marges d'exploitation des œuvres de l'esprit, on constate également qu'elles nuisent aux intérêts de leurs titulaires. C'est un des inconvénients de l'Internet face aux œuvres de l'esprit.
Les artistes ont continuellement décrié la mégestion de la Socoda, la principale société congolaise de gestion des droits d'auteur. Certains proposent même la création d'autres sociétés de gestion collective. Pensez-vous que cela pourrait résoudre cette question ?
Il est vrai que cette réaction des artistes congolais traduit leur déception face à l'inefficacité de la Socoda dans la collecte, le suivi et la répartition des revenus liés aux droits d'auteur en faveur des artistes. La Socoda n'est pas dotée de moyens adéquats pour faire ce grand travail. L'idéal serait de renforcer les capacités professionnelles des employés de cette société, de lui doter des moyens adéquats pour faire ce travail et surtout de la mettre dans le créneau de la numérisation. Il est étonnant que la Socoda, à l'heure actuelle, ne puisse recourir au numérique pour mieux faire son travail. À mon avis, on pourrait l’éclater en département, s'occupant chacun de la gestion collective selon les catégories de ses affiliés.
La création d'autres sociétés de gestion collective est louable, mais comportent beaucoup de risques. Le domaine de la gestion collective est généralement réservé aux sociétés ayant de gros capitaux, possédant un grand répertoire d'œuvres et couvrant un large espace géographique. C'est vrai qu'elles défendent les intérêts de leurs clients, elles veulent aussi gagner plus d'argent. La crainte est que cette multiplication de sociétés de gestion collective engendre plus tard des conflits judiciaires avec leurs membres ou des preneurs de licence. La solution pour moi serait de scinder la Socoda en département et ainsi la rendre plus efficace.
Au-delà de la propriété intellectuelle et du droit d'auteur, vous avez récemment évoqué dans la presse locale, les questions liées à la politique culturelle. Pourquoi le pays doit l'avoir, et que ce que cela pourrait apporter au secteur culturel ?
La politique culturelle est une boussole qui dirige le développement du secteur culturel, qui, sans politique, est voué à l échec. Le domaine culturel est, de nature, géniteur de beaucoup d'opportunités, capables de booster la croissance économique de notre pays. Cette politique culturelle doit donc se focaliser sur l’innovation, la redéfinition des rôles des acteurs publics et privés intervenant dans le secteur culturel, la révision du cadre légal et réglementaire de la propriété intellectuelle à la lumière des instruments juridiques internationaux ainsi que la position à prendre par rapport à la coopération internationale culturelle.
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