Mauritanie – Une industrie musicale naissante
Depuis quelques années, initiant un certain nombre d’actions, les artistes tentent de construire une industrie musicale dans un pays où l’État ne développe aucune politique culturelle. Avec le soutien de représentations étrangères ou de sponsors privés, ces derniers enfilent toutes les casquettes, s’investissant à la fois dans la production, la promotion, la distribution, la détection et la diffusion pour tenter de faire vivre leur passion.
Une production informelle
Pendant très longtemps, Il n’y a pas eu à proprement parler d’industrie musicale en Mauritanie.
Traditionnellement, la musique s’organise à travers des circuits communautaires. Les griots maures ou iggawins, soninké ou peuls, se produisent dans les cérémonies traditionnelles et familiales qui constituent leur principal moyen de subsistance.
Les artistes arabo-berbères assurent majoritairement l’animation de cérémonies officielles dont la fête nationale, les soirées privées ou les rares festivals financés par l’État comme le Festival des Arts et de la Culture.
Pour la production musicale, Il n’y a aucun soutien de l’État. Certains musiciens obtiennent ponctuellement des aides, des enveloppes données par des hommes politiques qu’ils connaissent ou par des hommes d’affaires.
Pour pallier ce manque de soutien de l’État, les artistes tentent donc de s’organiser par leur propres moyens, assurant eux-mêmes la production de leurs disques qu’ils enregistrent sur des home-studios et dont le mastering est assuré dans les studios de Dakar (Sénégal), Casablanca (Maroc), Tunis (Tunisie) ou Paris (France).
La plupart des jeunes artistes se débrouillent pour trouver quelques sous auprès de la famille, gravent leur album, impriment eux-mêmes leurs jaquettes et vendent leurs CDs de manière informelle.
Un groupe comme Harmattan de Lamine Kane, ancien batteur de Malouma et directeur de NMA, a obtenu un soutien de l’Institut Français de Mauritanie (IFM) mais l’album n’est jamais sorti. Le CD est avant tout une carte de visite pour être programmé dans les festivals et les lieux de spectacles.
Responsable de Zaza Productions à la fois structure de production, tourneur et organisateur de festival, le rappeur Monza s’est lancé dans l’aventure depuis 2004.
Zaza Productions offre aux 3000 groupes de rap en Mauritanie, l'accès à un home studio équipé des logiciels Protools et Cubase, donc la possibilité d’enregistrer leurs titres au pays. La compilation l’Art de la Rime qui a lancé en 2004, 7 artistes, leur a permis d’émerger sur la scène nationale, régionale et quelques uns d’entre eux sont programmés sur des festivals en Europe. La devise de Zaza Productions est « produire en Mauritanie ».
Parmi le large éventail d’artistes que compte la Mauritanie, seulement 700 sont officiellement reconnus, par le président de l’Union des Artistes Musiciens de Mauritanie, M. Ould, Hembara, qui n’inclut pas les artistes hip hop.
Dans ce contexte très informel, les productions mauritaniennes sont peu nombreuses (4 à 5 par an) et absentes des applications mobiles ou des plateformes de téléchargement. Il n’y a pas de plateforme de téléchargement de musique mauritanienne et les opérateurs de téléphonie mobile n’ont pas encore compris l’enjeu de cette nouvelle économie. Cependant un projet est actuellement à l’étude chez Matel, le principal opérateur de téléphonie mobile du pays.
Seuls les rappeurs semblent avoir saisi l’enjeu du numérique. La distribution de la musique se fait de manière informelle, les gens téléchargent sur leurs téléphones portables et vendent 1 giga de son à 2€. Mais le hip hop est présent sur les plateformes. Le label de Monza a opté pour la distribution numérique. Il était sous contrat avec la plateforme Believe depuis 2007 et vient tout juste de signer avec Orchard.
Plusieurs artistes mauritaniens comme Moudou Ould Mattalla, Dimi Mint Abba, Khalifa Oul Eide, Daby Touré, Saidou Ba et Dioba, lauréate du concours Visa pour la Création (prix de l’Institut Français) sont présent sur la plateforme Deezer.
Seuls les rares artistes internationaux profitent d’enregistrements de qualité grâce à la signature avec des labels étrangers.
Ainsi, la chanteuse Malouma fut produite dans les années 2000 par le label français Marabi Music de Christian Mousset. Pour l’occasion, l'établissement s’était déplacé en 2003 dans la capitale mauritanienne avec toute son équipe dont l’arrangeur et directeur artistique Camel Zekri pour enregistrer dans le studio de 32 pistes Afrimedia aujourd’hui fermé.
La chanteuse Aïcha Mint Chighaly fut enregistrée par Inedit, le label de la Maison des Cultures du Monde située à Paris (France) et le guitariste Moudou Ould Mattalla par le label Buda Music.
Deux artistes mauritaniens furent sous contrat avec des labels anglais : Dimi Mint Abba produite dans les années 1990 par World Circuit et Daby Touré, fils et neveu des Touré Kunda, signé par le label du rocker anglais Peter Gabriel, Real World. Noura Mint Seymali, belle fille de Dimi Mint Abba, qui travaille actuellement avec le label allemand de Hambourg Glitterbeat, a enregistré à plusieurs reprises à New York (USA) et tourne dans le monde entier. Mais cette poignée d’artistes est une exception.
La promotion à travers les réseaux sociaux
Hormis les rares artistes internationaux qui par leur statut bénéficient d’une couverture médiatique internationale, le travail de promotion est lui aussi l’objet d’un investissement de l’artiste. Celle-ci est assurée par le biais des medias classiques, télévision, radios, journaux. L’Institut français organise quelques sorties officielles d’albums. Mais les jeunes artistes ont saisi l’intérêt des réseaux sociaux qui leur permettent d’assurer une promotion à moindre frais.
L’accès aux canaux nationaux n’est pas donné. Alors, ils sont présents sur les réseaux sociaux et notamment sur YouTube. Les jeunes créent également leurs propres médias et sont présents sur la chaine privée TV Sahel. Une radio sur internet, Urban Radio 222 vient d'être mis en ligne. DJ Bax Camara, un Mauritanien de la diaspora installé aux USA, a lancé une radio en ligne, raprim.com, présente sur la plateforme tunein.
Une diffusion très diversifiée selon les styles musicaux
La Mauritanie manque encore cruellement de lieux de diffusion et les réseaux de diffusion internationaux sont très variés selon les styles. Les artistes arabo-berbères comme Noura Mint Seymali, Veyrouz, Malouma, passent dans les réseaux privés (griots, baptêmes, mariages, etc…) ainsi que les évènements officiels. À l’international, ils ont leurs propres circuits de diffusion et se produisent notamment dans les pays arabes et en Europe.
Ainsi, le chanteur et joueur de tidinit Cheikh Ould Labyad a joué en Inde, au Japon, à Dubaï, au Maroc et en Allemagne, en compagnie d’un orchestre Philharmonique. Veyrouz Mint Seymali a été invitée en Algérie. Dimi Mint Abba se produisait régulièrement dans les fêtes privées du roi du Maroc Hassan II.
Les musiques de Mauritanie sont des musiques communautaires et donc la musique n’est pas considéré comme un métier. Très peu de musiciens sont professionnels. Pour jouer, l’artiste se produit régulièrement dans les petits restaurants de la capitale où des concerts sont organisés les week-end (Rotana, Coq d’Or, Parisien), dans les hôtels (Hôtels Wissal et Monotel), mais également à l’Institut Français qui bénéficie d’une sono de qualité et accueille de nombreux groupes.
L’IFM programme notamment la fête de la musique qui réunit 100 musiciens sur scène, et 800 personnes issues de la pratique musicale. Des plateaux d’artistes sont régulièrement organisés comme les concerts cafétéria. L’IFM co-organise également avec l’Association El Vajer, l’Ambassade d’Espagne et des États Unis, le Nouakchott Jazz Plus Festival, mais aussi le Festival Culture Métisse organisé par NMA.
Ce festival, qui se tient en octobre chaque année, attire environ 5 à 6000 personnes sur 3 jours est soutenu par le SCAC, l’Ambassade de France, l’ambassade américaine et l’ambassade d’Espagne. Nouakchott Jazz Plus Festival bénéficie également du sponsoring de l’opérateur de téléphonie Matel.
La scène hip hop : un réseau dynamique
D’autres lieux ouvrent leurs portes aux artistes sans véritable politique de programmation comme la Maison des jeunes de Nouakchott qui met à disposition son espace trois à quatre fois par mois.
De temps à autre, les artistes sont invités pour animer un cocktail à l’ambassade américaine ou à l’ambassade d’Espagne. Un des grands rendez vous de la capitale mauritanienne est sans aucun doute le Festival de hip hop Assalamalekoum initié par le rappeur et producteur Monza qui se tient en mars, attire entre 10000 et 12000 personnes, parfois plus, et a fait venir de l’étranger des artistes comme Youssoupha, Didier Awadi et le groupe américain Onyx.
La structure fait à cette occasion de la détection avec Assalamalekoum Découvertes et de la formation aux métiers de la musique. Le hip hop mauritanien a également monté ses propres circuits de diffusion internationale à travers un réseau qui réunit les scènes hip hop de 6 pays (Mauritanie, Maroc, Mali, Sénégal, Guinée, Cap-Vert), et a monté le collectif Jokko pour promouvoir le rap féminin.
Cet opérateur culturel très dynamique bénéficie pour ces multiples activités de nombreux soutiens comme la Région Ile de France, l’Union Européenne, l’Institut Français, la fondation suisse Pro-Helvetia, la Fondation sur le Niger, le CKU (Danish Center for Culture and Development) et la municipalité de Nouakchott).
Si la capitale concentre la majorité des manifestations, les régions ne sont pas en reste et quelques lieux accueillent les artistes comme les Alliances Françaises, sans oublier la maison des jeunes de Nouadhibou et la salle Ndille de Rosso qui propose une scène en plein air.
Initié par le gouvernement canadien, le Nomad Festival est une manifestation miroir de celle organisée à Montréal. Alliant musique et aide humanitaire dans les régions, financée par le gouvernement canadien et soutenu par de nombreux organismes (Radio Canada international, Institut du patrimoine de l'UQAM,fondation La Khaima , Royal Air Maroc, etc…), ce festival itinérant qui existe depuis 2010 attire selon l’organisateur, M. Atigh, conteur et gérant du restaurant la Khaina à Montréal, 6 à 7000 personnes. Il organise des rencontres de musiciens canadiens lauréats du prix des musiques du monde de Radio Canada avec des artistes mauritaniens, à l'occasion de concerts organisés autour de projets de développement.
Les jeunes rappeurs quant à eux ont leurs propres circuits même si le résultat reste souvent amateurs. Quelques promoteurs de hip hop organisent dans les régions leurs propres évènements, précise Monza. Cheikh Babi programme chaque année en avril le festival de Kaedi Dimbe qui attire 1500 personnes et MDP (Mountaga Developpement Production) organise des évènements à Zouerate .
Des programmations conjointes sont organisées entre les Instituts Français de Nouakchott et de Saint-Louis (Sénégal), dont un plateau d’artistes mauritaniens prévu pour fin 2019.
Dernière innovation de la scène mauritanienne : l’apparition d’un nouveau festival, le festival Wif (Women Independence Festival Wif(e), une initiative de Assalamalekoum Cultures, du réseau Arterial, de l’artiste plasticienne Amy Sow, qui se propose comme un moyen de valoriser la création féminine, et le projet à venir monté par l’équipe de Monza : l’ouverture d’un centre culturel 100% écologique dans la capitale. Un premier container est arrivé en novembre 2018 avec du matériel son qui permet d’organiser des tournées itinérantes dans les quartiers.
Exprimant le désir de développer une scène musicale encore balbutiante, les acteurs culturels ont encore un long chemin à parcourir face à un secteur encore largement désorganisé et un public présent, enthousiaste mais aux faibles ressources économiques.
Le soutien des opérateurs étrangers et la mise en place de coopérations régionales avec des pays inspirants comme le Sénégal et le Maroc, représentent aujourd’hui les opportunités à saisir pour créer les véritables conditions d’une industrie.
Références
https://edutheque.philharmoniedeparis.fr/0798621-musiques-mauritanie-contexte-culturel.aspx
https://edutheque.philharmoniedeparis.fr/0800583-musiques-mauritanie-tidinit.aspx
https://www.musicinafrica.net/fr/magazine/retour-sur-la-11e-edition-du-festival-assalamalekoum
https://www.musicinafrica.net/fr/magazine/women-independence-festival-les-femmes-celebrees
http://afrikayna.com/portfolio/jokko-fam-residence-de-creation-musicale/
Interviews
- Itv Lamine Kane
- Itv Oumou Sy
- Itv Monza
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Édité par Lamine BA
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