Copyrights, redevances et piratage au Maroc : Une question de survie pour les artistes
Depuis 2017, année à partir de laquelle le BDMA (Bureau Marocain des Auteurs[i]) s’est détaché de la SACEM, le répertoire marocain s’est enrichi et le nombre des artistes affiliés ainsi que les revenus générés ont augmenté. Pourtant, il semble qu’à peine 10%” des droits des créateurs seraient, à l’heure actuelle, satisfaits.
Des lois régulièrement ajustées, pour quels effets ?
Un cadre juridique a été mis en place par l’Empire chérifien, pour la zone alors sous protectorat français, dès le 23 juin 1916[ii], par le dahir[iii] relatif à la protection des œuvres littéraires et artistiques, fait à Rabat, ajusté en 1927. Le BMDA, créée en 1965, société civile sous tutelle du ministère de la Culture et de la Communication, regroupe toutes les disciplines artistiques.
La loi fut révisée en 1970, année à partir de laquelle le BMDA fut affilié à la SACEM par une convention ayant pour effet de le rendre invisible aux yeux des instances internationales, ainsi que, quasiment, pour les artistes locaux, la plupart inscrits à la SACEM. En 1972, la loi de la « marocanisation » imposa des droits de douane sur les importations de vinyles, en augmenta considérablement le coût de production. La musique se diffusa plutôt sur cassettes, plus faciles à dupliquer…
Ainsi commença la longue histoire du piratage, appauvrissant les artistes et les maisons d’éditions dont beaucoup abandonnèrent la partie. À partir de 2000, plusieurs dahirs ont été émis contre la contrefaçon et le piratage mais, parallèlement, les copies sur CD et le téléchargement illégal se répandaient. La situation des artistes ne s’améliora que légèrement.
La Convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005 ne fut ratifiée par le Maroc qu’en 2013, actée par le dahir de 2014, qui, entre autres, prolongea les Droits patrimoniaux de 50 à 70 ans.
De la « Marocanisation » à la mondialisation
Après qu’en octobre 2017, le BDMA aie rompu la convention de coopération « non équitable » qui le liait à la SACEM, le répertoire d’auteurs ainsi reconstitué, le BDMA s’est lié à la plate-forme mondiale SUISA (coopérative des auteurs et éditeurs de musique) en Suisse, et par conséquent, au CIS-NET de la CISAC[iv] (Confédération Internationale des Sociétés d'Auteurs et Compositeurs).
Ces sociétés facilitent l'octroi de licences d'exploitation et améliorent la répartition des revenus en regroupant via une base de données (Works Information Data base) toutes les œuvres musicales utilisées (droits d'exécution publique et des droits mécaniques). Selon le modèle du WIPO (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle), le processus de répartition des droits a dès lors été entièrement digitalisé.
Le dépôt légal s’effectue désormais auprès du BDMA via le site web, par un formulaire accompagné des enregistrements sonores, partitions, textes de chansons (après commercialisation de 6 mois), et du contrat de production. Sur ce site web, qui propose au téléchargement les textes officiels relatifs aux droits d’auteur, s’effectuent aussi les déclarations des exploitants.
Un cadre juridique aux conséquences positives mais insuffisantes
En juillet 2017, dans la foulée de la « marocanisation », le Maroc devint le 4e pays d’Afrique à instaurer la redevance pour copie privée, taxant la technologie et l’électronique dès l’importation[v].
Le fabricant local ou importateur paye selon la quantité d’appareils et supports qui permettent la copie, même pour usage privé. Cette taxe, qui entre dans les entrées du BDMA, fait partie des recettes distribuées aux artistes.
Le volume des redevances et le nombre de bénéficiaires augmenta alors radicalement : en 2017, sur un montant global de plus de 1,133 millions DH distribués entre 1.541 auteurs, 166.335 DH furent répartis entre 1.446 musiciens.
En 2018, sur les plus de 8,845 MDH répartis entre 5.456 auteurs, 6,39 MDH pour 5.259 musiciens ont été attribués ! La hausse continua, pour arriver, en 2019, à un montant global quasiment triplé (25.886.746 MDH) pour un nombre d’artistes légèrement moindre (4.479), et un répertoire de 38.230 œuvres !
Au classement africain des perceptions de droits d’auteur, le Maroc passe ainsi de 26e sur 30 en 2016, à 3e en 2019, après l’Algérie et l’Afrique du Sud. Pourtant, au niveau international, le Maroc n’est que 49e sur 127 ! Ce qui est d’ailleurs inquiétant pour les artistes du continent.
La lutte contre le piratage par internet : un combat inégal
Malgré les efforts législatifs constatés depuis 2000, la gestion des droits d’auteur au Maroc semble ne pas évoluer assez vite compte tenu du contexte technologique. Dans les faits, beaucoup d’exploitants ne payent ni taxes ni redevance, et le piratage par internet fait fureur.
Le dahir du 14 novembre 2019[vi] ajuste le droit de suite au partage de contenu sur Internet, qui menace tant le Droit d’auteur, en terme de revenus, que le Droit Moral. Selon la loi, l’utilisation d’une œuvre est toujours conditionnée par l’autorisation de l’auteur ou ses ayants-droits. La popularisation d’Internet a largement entamé cette autorité inaliénable.
Des musiques sont utilisées sans que rien ne soit demandé à personne, sur des montages vidéo, mis en ligne, et même « monétisés ». You Tube repère assez efficacement les musiques frauduleusement utilisées. Mais pour que l’algorithme fonctionne, l’œuvre doit être déposée auprès d’un organisme de gestion affilié aux organismes internationaux.
Dans ce magma, ceux qui s’en sortent le mieux sont soit les artistes qui ont signé avec un maison d’édition, soit les indépendants qui suivent de près les technologies, comme le milieu du hip-hop. Mais le combat, en particulier contre la diffusion et le téléchargement illégal via internet, qui appauvrit les artistes tout en enrichissant la Toile, est loin d’être gagné.
Au final, c’est à l’artiste de veiller au plus près sur l’utilisation de son travail sur le web, ce qui passe par le référencement, la mise en ligne légale, de son travail. La visibilité est une protection. Reste aussi à sensibiliser le public….Les revenus des artistes sont tellement entamés par le piratage que beaucoup ne conçoivent plus comme revenus possibles que les concerts, offrant pour certains leurs musiques en téléchargement.
L’amélioration du système de rétribution des artistes passera-t-elle par l’union ?
La gestion sous régionale des droits d’auteur est envisagée depuis le congrès de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), en juillet 2019 à Rabat, présidé par le Maroc. Le projet de création d’un guichet unique de gestion des droits d’exploitation numérique a alors été confié au BMDA.
D’après Issam Kamal, son Directeur, cette idée s’inspire du « Latin Authors[vii] » liant l’Argentine à ses pays voisins, pour les rémunérations du numériques. Dans les fait existe l’ADAL (Alliance Audiovisuelle d’Amérique Latine), récemment formée, mais pas des structure omni-disciplinaires. Les droits d’auteurs sont assez complexes selon les disciplines, et la musique nécessite une telle attention, que ce domaine est la plupart du temps géré à part.
Le BDMA, regroupe lui, pour rappel, toutes les disciplines. Est-ce une des raisons des dysfonctionnements dénoncés jusqu’à présent par les musiciens locaux ? Aux dernières nouvelles, le Collectif des Artistes Marocains pour les Droits d’Auteurs (CAMDA), qui rassemble près d’un millier d’artistes, dont les rappeurs Fnaïre, H-Kayne, Don Bigg et Sy Mehdi, protestent, déclarant ne rien percevoir du BMDA alors que leurs clips font « des millions de vues sur You Tube »...
Peut-être pour en renforcer l’efficacité, le BMDA est devenu le Comité de Gestion Collective des Droits d'Auteur (dahir du 14 novembre 2019[viii]), institution publique dont le conseil d'administration est présidé par le Ministre de la Culture. La crise provoquée en 2020 par la pandémie de Covid-19 semble avoir mis un frein à ce processus, qui n’est pas encore visible sur son site web.
De l’urgence de s’adapter à la crise
La crise sanitaire et économique de 2020 frappe durement les artistes du monde entier, suite à l’annulation de tous les évènements publics depuis mars dernier. Même après la crise et son cortège de récession économique mondiale, festivals et concerts tarderont à reprendre le rythme d’avant. Cela devrait provoquer une réflexion de fond sur le mode de rémunération des artistes, pour qui les concerts étaient devenus la seule planche de salut un peu solide.
Comment repenser leur statut, sécuriser la diffusion ? Quelles stratégies de financement développer ? Des initiatives proposent des plateformes permettant aux auteurs d’être rémunérés directement par le public[ix]. L’interaction public-artiste est incontestablement à développer… L’avenir des artistes était fragile, au Maroc comme ailleurs. Il l’est encore plus maintenant.
Adresse utile
Syndicat Marocain des professions musicales
Av. Bir Anezarane , imm. Afoulki, 3°ét. n°10, Dcheira- Inezgane- Tel : 212 5 28 27 37 89
[i] https://bmda.ma/
[ii] https://www.wipo.int/edocs/pubdocs/fr/copyright/120/wipo_pub_120_1917_01.pdf
[iii] décret
[iv] https://fr.cisac.org- L'Université CISAC est aussi source d'informations sur le droit d'auteur/copyright.
[v] protocole d’entente entre le ministère de la Culture et l’Administration des douanes
[vi] loi 25.19
[vii]auteurs latins
[viii] loi 25.19
[ix] Spotify avec Artist Fundraising Pick (collecte de fonds), ou en Afrique du Sud, la plateforme BUSQR.
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Édité par Lamine BA
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