La musique populaire au Maroc
La musique marocaine est aussi riche que diverse, que ce soit dans l’espace ou dans le temps. Elle puise ses racines dans une histoire pluriséculaire et s’étend sur les différentes régions du royaume, d’où elle se nourrit des spécificités, des coutumes et du passé de chacun.
S’il est difficile de cerner toute la musique populaire marocaine, il est bon de se concentrer sur 5 grandes familles, de la musique amazigh à la musique arabe, en passant par la musique arabo-judéo andalouse, sans oublier la musique soufie et spirituelle, ainsi que la musique du Sahara.
La musique amazigh : Du Rif au Souss
La musique amazigh puise sa force dans la grandeur de l’âme et de l’esprit. La musique, les rythmes, les chants et les danses sont des symboles souvent d’une histoire qu’on souhaite transmettre de générations en générations
Au Nord, la musique du Rif est la musique de la dignité, de la grandeur et de l’amour de la patrie. Les rythmes profonds et marqués, subliment des chants individuels et collectifs où la danse est comme un combat, une lutte. Une des danses guerrières s’appelle Aarfa, qui a donné naissance à la Reggada apparue dans les années 80, la fameuse danse avec les épaules. Ceux qui font le bonheur de cette musique sont les musiciens à succès : Cheikh Amarouch, Cheikh Mabrouk, Cheikh Mounchif, Hafid El Guercifi ou encore Cheikh Najim.
Plus loin, dans le Haut-Atlas occidental, l’Anti-Atlas et le Souss, on trouve les Rways avec une musique plus subtile et poétique, qui chante l’amour, la beauté de la nature ou le respect de Dieu, mais aussi adaptée aux préoccupations de l’époque, parmi lesquelles la volonté d’indépendance, les bouleversements sociaux, la douleur de l’émigré éloigné de sa terre natale ou encore les nouvelles aspirations de la jeunesse.
« L’art des Rrways, ces poètes et chanteurs itinérants qui, jadis, se formaient en troupes et parcouraient les campagnes, constitue l’une des grandes richesses musicales du royaume. Il s’avère aussi être l’une des composantes majeures de l’identité amazigh, mais aussi plus largement, de l’identité plurielle qui est celle du Maroc », précise Brahim El Mazned, activiste culturel.
Les artistes qui ont marqué cet art sont probablement la Rraysa Rkia Talbensirt, diva et légende vivante qui compte plus de 50 ans de carrière et plus de 400 chansons. On peut citer également les Rways Lahcen Idhmou et Ahmed Oumast. Si cette musique populaire s'est construite dans l'oralité, les années 80-90 ont été marquées par la naissance des labels qui ont commencé à l'enregistrer et distribuer des cassettes.
Un groupe crée en 2008 se veut ambassadeur de la musique amazigh, Ribab Fusion, qui redonne une deuxième vie aux musiques populaires et à la tradition orale des villages. Le ribab au centre de la formation, Bouhssine Foulane, fait voyager les traditions à travers des chansons telles que « Tamont », « Tissoura », « Tagrawla », « Les foulani », « Azemz », « Inahana », « Marhaba » et « Alak ».
La musique arabe : la Aita, ce blues marocain
Si la musique amazigh est majoritairement une musique et une danse d’hommes même si l’histoire a prouvé que les Rwayssates ont une place importante dans la culture, la Aita, elle, est portée par des femmes et des féministes. Selon l’anthologie de la Aita, cet art est une fusion entre l’art arabe rapporté par les tribus d’Orient et la tradition amazigh, mais il est difficile d’en dater la naissance avec précision.
Elle est une « q’cida » (poésie) d’essence bédouine, si l’on se réfère à la langue qu’elle véhicule, que l’on peut, dans certains cas, rattacher à des tribus marocaines d’origine arabe, notamment les Banû Hilal ou les BanûSouleim. En général, il s’agit d’une voix lead, de chœurs, d’un oud , d’un violon et de petites percussions. La pionnière de cet art ancestral est une résistante.
Kherboucha est un personnage de légende populaire, originaire de la région de Safi qui a défié le Caïd Aissa Ben Omar et en a payé de sa vie. Dans ses chansons, Kherboucha dénonce l’abus de pouvoir et défend les droits de sa tribu. Sa musique deviendra une sorte de complainte, qui donne toute son âme à l’Aita.
Les artistes qui ont marqué cet art, sont profondément habités par l’âme de Kharboucha comme Fatna Bent Lhoucine, Khadija Margoum, Khadija Bedaouia, Bouchaib El Bidaoui ou encore Ouled El Bouazzaoui. Hajja Hamdaouia a apporté de la modernité à ce style en y intégrant un grand orchestre. De ce châabi rural est né un châabi citadin, plus festif et « commercial » ; du chgouri avec des artistes comme Houcine Slaoui, Pinhas Cohen ou Haïm Botbol, au style Ghiwane avec des ambassadeurs tels que Jil Jilala, Larsad, ou encore Nass El Ghiwane et Lemchaheb.
La nouvelle génération est bien représentée par le groupe Mazagan, porté par la voix et la vision de Issam Kamal. Le groupe rock chaabi a donné naissance à trois albums : La tradition qui coule (2005), Doukkala Airlines (2008) et Tajine Electrik (2011).
La musique arabo-judéo andalouse
Qu’il s’agisse de Al Ala, le gharnati, le melhuon ou la musique judéo marocaine, la musique andalouse puise dans l’histoire commune entre le Maroc et l’Espagne, et de la proximité longtemps entretenue avec ce le pays voisin.
La fuite des Morisques en 1600 vers le Maroc, marque la genèse du brassage culturel. Fès, capitale à l’époque, foyer d’accueils des andalous juifs et musulmans, ainsi que des villes comme Tétouan, sont reconstruites par les refugiés de Grenade et les fortes populations espagnoles et portugaises. De nombreuses familles marocaines revendiquent leurs racines andalouses et ceci se lit à travers l’héritage musical, évidemment.
Al Ala est une musique savante qui puise ses origines dans la musique classique occidentale. Différente de la musique arabe par le quart de ton, elle est fidèle à des codes très précis transmis de maître à élève. L’orchestre est composé de chanteurs et musiciens menés par un chef, qui donne le ton au chant et à la musique. Les artistes les plus connus du genre sont Omar Métiouni et Cheikh Ahmed Zitouni.
Le gharnati, lui, propose un style un peu plus intimiste qui donne la part belle au chant solo, il est originaire de la ville de Grenade (Espagne). Les artistes plus connus de ce genre musical sont Amina Alaoui dont les albums Alcantara (1998) et Gharnati Soul (2005) frisent le parfait. Parmi les tenants du genre, Ahmed Thantaoui qui se distingue par des monchids (ornements de voix spécifiques) propres à lui.
« En Espagne comme au Maroc, les juifs ont été les ardents mainteneurs de la musique andalouse et les gardiens zélés de ses vielles traditions » avait expliqué l’histoirien Haim Zafani. Une communauté qui a su donner de l’ampleur à ce genre, attaché à ses racines moresques. Ceux qui ont marqué l’histoire de cette musique restent feu Marcel Botbol et son frère Haim, Zohra El Fassia et son « Hak a mama » mythique, ou encore Sami El Maghribi.
La jeune scène est rafraîchissante avec ses voix qui perpétuent la tradition, comme celle d'Abir El Abed ou Sana Marahati. Il y a aussi ceux qui apportent du sang neuf tel un vent jazz, comme dans l’univers bien trempé de Nabyla Maan.
L’art tagnaouite
Un des patrimoines musicaux les plus importants, classé patrimoine immatériel de l’UNESCO depuis 2019, est l’art tagnaouite, qui est le symbole des racines africaines de la musique marocaine.
Musique d’esclaves dont le rythme provient du bruit des chaînes d’hommes longtemps considérés comme sous hommes, la musique gnaoua est aussi spirituelle qu’organique.
Les anciens esclaves du Sénégal, Soudan et du Ghana se sont mélangés à la population locale et ont crée des confréries où l’on voue un culte à Dieu et aux saints, à travers la musique et la danse. Une sorte de transe afro –arabo – berbère. Avec leurs petites percussions appelées les Qraqeb et le guembri (ancêtre de la basse), la musique est mystico-religieuse.
Elle guérit, transporte selon 7 couleurs et 7 saints, que des mâalems chantent et jouent. Un maâlem est un maitre de cet art, un chef d’orchestre qui montre la voie avec sa voix. N’est reconnu maâlem qu’un musicien ayant réussi son apprentissage et validé par ses pairs.
Longtemps oubliés, c’est le Festival Gnaoua et Musiques du monde qui leur rendra leurs lettres de noblesse avec ses nombreuses éditions. Grâce à sa prédisposition à se marier avec le jazz et les autres rythmes du monde, la musique gnaoua fascine à l’international.
Ses principaux ambassadeurs sont feu Maâlem Mahmoud Guinéa et son album mythique « Colors of the night », Abdelkrim Merchane, la famille Backbou, Hamid El Kasri auteur de l’album Youbadi, enregistré avec le batteur algérien Karim Zyad, qui est un voyage à la fois spirituel et personnel.
Musique du Sahara
La musique sahraouie, tendance tribale du Sud, est la musique des touaregs, des nomades et du sable ; elle est à la fois envoûtante et marquante. On l'appelle la musique du Sahara puisqu'en elle, les dunes semblent préserver leur musique originale. Avec beaucoup de grâce, de poésie et un rythme aussi endiablé qu’unique, les chants hassanies et tourags sont une sorte de culte rendu à la vie du désert.
Ils chantent leur amour du lieu, leur respect à la nature et les problèmes qu’ils vivent tel que le manque d’eau et la sécheresse. Mélange subtile de musique arabe et africaine, la musique sahraouie se caractérise par des rythmes provenant de percussions, tam-tams et tambours spécifiques de la région. Le chef d’orchestre est appelé Igyou, il mixe les sons avec grâce, poésie et maîtrise.
La danse est omniprésente dans la culture sahraouie. Elle peut prendre le nom d'arguiss, kiira ou mialfa, selon qu’elle soit exécutée de façon mixte par les hommes seulement, ou par les femmes. Il s’agit soit de l’affrontement de deux sahraouis sur des rythmes de musique où ils s’adonnent à cœur joie à un jeu de jambes original, sinon un jeu de voile sensuel avec les mains et les doigts.
Les ambassadeurs actuels de cette musique, qui ont su lui donner une dimension internationale sont sûrement Oum et ses deux derniers albums Zarabi et Daba, en hommage au Sud, au sable et au désert. Il y a également le groupe Génération Taraglate, qui offre un beau mélange de rock et de rythmes blues touareg, avec des titres phares comme « Yogi Yamahssar » et « Hyatti ». Le Festival Taraglate à M’hamid El Ghizlane, met en avant ce beau genre musical, en présentant des groupes du monde entier qui s'en inspirent.
Bibliographie :
« Anthologie de la Aita », Brahim El Mazned – Atlas Azawan- 2018
Expressions musicales Amazigh en mutation –El Khatir Aboulkacem, Hammou Belghazi, Mohamed Oubenal, Mbark Wanaim, Anis Fariji, Fouad Saa – Institut Royale de la musique Amazigh – 2019
Darna.com, communauté originaires du Maroc
Histoire de la musique arabo-andalouse, Christian Poché- 2001
Festival Gnaoua et Musiques du Monde
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Édité par Lamine BA
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