Brève histoire de la musique populaire en RDC
Les étapes clés de la musique populaire congolaise en RDC sont analysées ici ; de sa relation symbiotique avec la politique locale jusqu’à la globalisation de la Rumba Congolaise.
Ce texte donne un aperçu de l’histoire de la musique populaire dans la République Démocratique du Congo (RDC). Apres une analyse de l’influence de la politique, en particulier le rôle de la musique dans la ‘Révolution Culturelle’ de Mobutu ; il explore ensuite l’émergence de la Rumba sur la scène mondiale.
La Musique Populaire sous l’influence de Mobutu
Le développement de la musique Congolaise moderne, peut être partiellement attribué à Mobutu Sese Seko (1930-1997) qui prit le pouvoir en 1965 pour devenir le deuxième président du pays. Cette date marque la naissance de la Deuxième République, rebaptisée Zaïre en 1972. Contrairement à l’administration coloniale, le nouveau régime s’est concentré sur la reconstruction de la politique nationale et économique, le progrès social et la réunification du pays divisé par les guerres civiles et ethniques depuis l’Indépendance du 30 Juin 1960.Le début de la Seconde République a inauguré une ère d’éveil culturel qui a nourri et renforcé l’unité nationale.
Cette époque a créé un nouveau sentiment de patriotisme dans la population, incarné par les slogans idéologiques du parti unique, le Mouvement Populaire de la Révolution (MPR), défini par son président fondateur – Mobutu comme une famille organisée politiquement. Les gens furent endoctrinés par l'idéologie culturelle du « recours à l’authenticité » prononcée par le président Mobutu en 1971. L'idéologie reflète la volonté de Mobutu de restaurer les valeurs culturelles et l'estime personnelle du peuple ainsi que de réaliser l'unité nationale. Cette politique avait de fortes implications pour plusieurs domaines de la société, la politique, l’économie, les arts, le sport et la musique. Le pays a commencé à prospérer dans certains domaines, en particulier après la visite de Mobutu au président Mao Zedong en Chine en 1974. Cette année-là, l'équipe nationale de football, surnommée les Léopards, remporte la Coupe d'Afrique des Nations et se qualifie pour la Coupe du Monde en Allemagne. La même année, le combat de boxe historique « Rumble In The Jungle » entre Mohammed Ali et George Foreman se tient à Kinshasa.
Le réveil du patriotisme de la population, qui a marqué cette révolution culturelle, a été repris dans les paroles des chansons qui décrivaient les réalités politiques de l'époque (1965-1975). Les musiciens ont adopté la nouvelle idéologie et se sont mis à documenter et glorifier les réalisations du nouveau régime. La musique urbaine est devenue un instrument important de diffusion des idées politiques à travers le pays. Pour Mobutu, l’un des rôles joués par les musiciens populaires était de soutenir son autorité et son pouvoir. La musique était un outil essentiel pour le succès et la survie de sa révolution culturelle. La première décennie de la Seconde République fut une période de développements sans précédent, y compris une augmentation rapide du nombre de jeunes musiciens, en particulier dans les groupes de folklore qui ont révolutionné la musique locale en incorporant des mélodies traditionnelles, des rythmes, des harmonies et des mouvements de danse dans leurs compositions.
Afin de comprendre l'importance de ce changement, il faut tenir compte de certains phénomènes sociaux au-delà de la scène musicale. Par exemple, le système éducatif hérité de la période coloniale, et tel que mis en œuvre dans les écoles congolaises, est à l’origine de certains problèmes sociaux de la nation. À cause du système de quotas, aggravé par la croissance incontrôlée de la population dans les centres urbains et l'absence d'une politique gouvernementale claire dans le domaine de l'éducation, plus d'une génération n’ont pas eu la possibilité d'acquérir une éducation au-delà de l'école primaire. Les rares options disponibles pour les garçons incluaient : devenir un laboureur faiblement rémunéré, vivre dans les rues comme un « shegue » (enfant des rues) ou un « kuluna » (bandit) ou devenir un joueur de football ou un soldat. Les femmes avaient le choix quant à elles entre se marier, devenir la concubine d'un homme politique ou homme d'affaires riches, ou vivre dans la rue et se prostituer. La musique a donc offert d’autres moyens d’avoir du succès et de s’enrichir.
La Rumba congolaise
L’analyse de la rumba congolaise révèle que ce genre, qui est devenu populaire en RDC, est différent de la la musique cubaine également appelée rumba. La « rumba » congolaise est plutôt une variante de la musique de plusieurs tribus africaines et de la danse appelée « Maringa ». Le nom rumba a été maintenu en RDC par l'industrie du disque pour des raisons commerciales. Les propriétaires des studios d'enregistrement ont réinterprété le terme en intégrant de nouveaux rythmes de Maringa, mais en gardant le nom.
L’une des variations de la rumba congolaise est appelée « soukous » (un nom probablement dérivé du verbe français « secouer »). Ce terme a commencé à être utilisé comme un terme générique pour désigner le style de danse urbaine congolaise qui ressemble au « mutwashi », la danse traditionnelle Luba. Le soukous est apparu au milieu des années 60 et marque la première étape de l'évolution de cette rumba zaïroise. D'autres variantes de rumba, s’inspirant également des mouvements de danses traditionnelles, ont ensuite été introduites à Kinshasa. En 1971, le chanteur Lita Bembo et son Stukas Ensemble introduit la danse « ekonda saccadé » qui reflète la forte influence de la culture Mongo. Cinq ans plus tard, une autre variante de la rumba congolaise, appelée « mokonyonyon », a été introduite par le chanteur Shungu Wembadio (mieux connu sous le nom de Papa Wemba) et son ensemble Viva la Musica. Les mouvements de la danse de mokonyonyon s’inspirent des mouvements de danse du bassin des Tetela, l'origine ethnique du chanteur. Ce ne sont que quelques-unes des variantes de la rumba congolaise contenant des éléments de danses traditionnelles qui ont dominé les premières décennies de la Deuxième République.
Mobutu s'est appuyé sur la productivité des musiciens populaires pour servir la révolution. Les paroles des chansons écrites au cours de cette période (1965-1975) contenaient des éléments traduisant la fierté nationale et soulignent les philosophies culturelles et politiques prononcées par le Président Mobutu dans ses nombreux discours. Par exemple la chanson «République du Zaïre», composée en 1970 par Jean Munsi (également connu sous le nom Kwamy) et interprétée par Franco Lwambo Makiadi et le TP OK Jazz, invite la population à soutenir Mobutu dans ses actions, en particulier dans le choix de « Zaïre » comme nouveau nom du pays. Le refrain de la chanson est divisé en deux segments. Pour exprimer sa fierté pour le pays, Kwamy décrit le cours du fleuve Congo en ces termes, traduit en Français:
Le Fleuve Zaïre a commencé au Katanga, Kivu et Haut- Zaïre
De l’Equateur est passé au Bandundu
Du Bandundu est passé à Kinshasa
Kinshasa l’a envoyé au Bas-Zaïre
Du Bas-Zaïre à l'océan
La deuxième partie de la chanson énumère les nombreux monuments nationaux, soulignant le sentiment de fierté que Mobutu a tenté d'inculquer à son peuple. Plusieurs sites sont mentionnés, comme le centre présidentiel de conférence et de villégiature (Nsele), un projet de mine d’or (Kilo-Moto), l'un des plus grands barrages électriques d’Afrique (Inga), un navire-hôpital pour assister les personnes malades dans les régions éloignées (Bateau ya Hopitalo) et le Grand Tam-tam d'Afrique, statue d'un joueur de tam-tam érigée à l'entrée du parc des expositions où eu lieu la Foire Internationale de Kinshasa de 1969. La chanson se termine par un appel d'admiration pour le leader : «Nous sommes particulièrement heureux que vous nous avez donné Mobutu ».
Une autre chanson puissante de cette période est « Belela Authenticité nakatiya Congrès » (« Déclarez authenticité dans le congrès ») écrite par Franco Luambo Makiadi et son TP OK Jazz en 1970. La chanson fait appel à un sentiment d’appartenance au pays dans le but de promouvoir l'identité nationale. Parlant de la chanson dans une interview, Franco a souligné qu'il est un musicien qui s’intéresse à la politique de son pays, tout comme un journaliste écrit sur la politique sans être appelé un politicien. Dans la chanson, après avoir attiré l'attention sur l'essence de la révolution, le compositeur conclut fièrement la chanson avec des louanges à Mobutu, l’évoquant comme un chef de famille et en mettant l'accent sur la notion d'appartenance en ces termes, à nouveau traduit en Français :
Dans un pays étranger,
Si un étranger devrait me demander: « Qui suis-je ?
Fièrement, à ma façon,
Je vais lui dire :
Je suis zaïrois.
Mon parti politique est MPR.
Mon chef est Mobutu Sese Seko
Le message de cette chanson est que l'identité d’une personne est définie par le pays (Zaïre), la famille (MPR) et le père (Mobutu).
Plusieurs projets autres artistiques ont été réalisés sous la supervision directe du bureau du président. Par exemple, l'Institut des Musées Nationaux publia le livre « Art de l’Afrique noire au pays du fleuve Zaïre » (édité par Frère Joseph Cornet). L’institut a également racheté des costumes et tambours appartenant aux rois Kuba et datant du 17ème siècle. Ces objets d’art ont été exposés en 1973 lors du congrès tenu à Kinshasa par l’Association Internationale des Critiques d’Art. Dans le domaine de la musique urbaine, l'appel du président a inspiré plusieurs projets d'intérêt national, tels que la fondation de l’Union des Musiciens Zaïrois (UMUZA) en 1971, la publication en 1974 de l'Anthologie de la musique zaïroise moderne et la création du Prix National de Musique (rebaptisé Prix Grand Kalle en 1984, en l'honneur du regretté musicien Joseph Athanase Tshamala Kabasele, connu comme « le Grand Kallé »).
La musique congolaise s’exporte mondialement
L’effondrement de l'industrie musicale dans le pays, en raison de facteurs politiques et économiques, a provoqué l’exode massif des musiciens congolais vers les autres capitales africaines et européennes, où beaucoup ont été forcés de travailler comme musiciens de studio. Les tournées des groupes et artistes solos ont contribué à la diffusion de la musique congolaise urbaine dans le reste du continent africain et la diaspora. Les musiciens congolais se sont produits par exemple au Kenya, en Tanzanie, en Ouganda, en Zambie, ainsi qu’en Sierra Leone, au Libéria, en Europe et en Asie. Décrivant la scène musicale du Kenya, le musicologue Doug Paterson écrit en 1994: « Les musiciens congolais sont populaires au Kenya depuis la fin des années 1950. Mais ce n’est qu’au milieu des années 70, après le succès de la Soul américaine, que la musique du Zaïre (RDC) a commencé à régner dans les boîtes de nuit de la ville. »
Le groupe congolais qui a le plus contribué à la renommée mondiale de la musique congolaise est le quatuor Ry-Co Jazz (Rythme Congolais). Le groupe a été formé en 1958 par Henry Bowane, l'un des plus grands musiciens de Kinshasa. Ry-Co Jazz se produisait à Bangui, capitale de la République centrafricaine, pour les spectacles de Noël et de Nouvel An. Les membres de Ry-Co Jazz était des musiciens originaires des deux Congo: les chanteurs Freddy Nkounkou et Mbilia Casino, le guitariste Pierre Ndinga, le bassiste Panda Gracia, le clarinettiste Fidel Bateke et Pierrot, le joueur de congas. Pendant les 14 années de son existence (1958-1972), Ry-Co Jazz a tenu des concerts dans des bars et clubs dans toute l'Afrique de l'Ouest, dans les Caraïbes et en France. Pendant leur séjour sur l'île de la Guadeloupe, Ry-Co Jazz a enregistré des chansons avec le producteur Henri Debs et cela a permis à la musique congolaise de se répandre dans les Caraïbes.
À la fin des années 80, un grand nombre de musiciens congolais vivaient en Europe, et utilisaient dans leurs groupes des musiciens locaux qu’ils formaient à jouer dans le style congolais. On peu citer par exemple les groupes qui ont voyagé et enregistré avec des musiciens congolais basés à Paris, tels que Kanda Bongo Man et les chanteuses Tshala Mwana et Yondo Sister. En 1984, un groupe de musiciens japonais a vécu à Kinshasa et y a appris la musique urbaine congolaise. Leur exemple démontre la mondialisation de la musique congolaise. Les guitaristes congolais sont très recherchés par les groupes de musique internationaux, soit pour ajouter une touche congolaise à leur musique ou pour enseigner aux musiciens locaux l'art de jouer la guitare à la congolaise. Sans doute l'exemple le plus significatif à cet égard est Diblo Dibala, qui a participé en 1994 à l’album Fogarate de l’artiste originaire de la République Dominicaine Juan Luis Guerra et de son célèbre groupe Cuatro Cuarenta (4-40).
Par Kazadi Wa Mukuna
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