Twice As Tall de Burna Boy : l'album qui tisse et métisse des liens, des générations et des cultures
Une audace introvertie, déchargée de la nécessité de contenter les obsessions exotiques qui entourent les attentes autour de la musique nigériane. Un relent d’engagement qui absorbe des perceptions réalistes pour cracher et faire crépiter des rêveries d’équité si actuelles. Et une musique teintée d’un imaginaire de constellation tentant de convoquer entre l’ici et l’ailleurs, une intersection expansive, communicative, accessible et libératrice. Voici comment Twice As Tall, le nouvel album de Burna Boy raconte avec assurance, les désirs intérieurs, d’un talent iconique en quête de sa propre originalité.
Une Imposante Cover autosuggestive
C'est à une odyssée spatiotemporelle que nous convie le graphiste qui a transposé en image la vision de Burna Boy sur la couverture de cet album. Elle se décline comme une plongée lointaine dans son africanité, avec une volonté nuancée du retour aux origines. Ainsi, il y revisite des figurines légendaires, en s’appuyant sur un tropicalisme porté par la démesure. De ce fait, de multiples détails à la fois fantaisistes et mythiques s’y déploient. De sorte à y discerner, un univers marqué aussi bien par l'imagerie bling-bling et populaire de sa personnalité, que par une certaine idée mythologique du continent.
[…] Cette cover est détonante autant qu’elle se veut étonnante
Au-delà de l'indéniable pétillance pleine d’ignition de cette cover, on y perçoit une représentation fantasque de l’identité, un travail de mémoire qui immortalise et mêlent cultures, traditions et références urbaines. En cela, cette cover est détonante autant qu’elle se veut étonnante. Et elle fascine par sa liberté de pensée, sa fonction culturelle et sa fraîcheur contemporaine.
Délicatement transgressive et intentionnellement portée vers l'exubérance, Burna Boy y dévoile une espièglerie rhétorique. Celle-ci interroge notre rapport à l’acceptation de soi malgré les tribulations qui nous définissent quotidiennement. Comme si l’artiste se veut dépositaire d’une africanité polyphonique, tout en exprimant d'impénétrables mystères.
Et si la grandeur, c’était d’être extraverti tout en étant ancré à sa souche, tout en re-possédant sa source tel qu’on est ? La posture quasiment perchée de Burna Boy sous-entend que notre regard sur nous, notre hauteur d’estime d’appartenir à la diversité du berceau culturel de l’humanité, est une urgence obligeante, précieuse, digne sans être surannée.
D'une fausse légèreté, cette cover est un trompe-l'œil fait de finesse parce qu'elle appelle à une lecture attentive de ses infimes éléments de composition. Est-ce pour signifier que l'imaginaire dévoile le réel caché sous le prisme de la fascination ou l'inverse ?
Quoi qu’il en soit, on pourrait être amené à penser qu’il cherche à refléter ou décrypter une société en pleine mutation, écorchée entre la solennité de certaines traditions et le chemin de l'émancipation (matérialisé ici par la chaussée goudronnée). Son angle d’expression révèle celui d'une jeunesse en proie à un conflit de personnalités par rapport à son époque.
À la différence, qu’il semble s’inspirer de ces contrastes pour détourner les tourments de celle-ci, en retranscrivant avec tact, le volcan d'éveil qui se déploie de plus en plus dans la société africaine comme diasporique.
[…] Le discours qu’il véhicule […] est porté par un ton quelque peu décoiffant, optimiste, pop et syncrétique.
En définitive, le discours qu’il véhicule à travers cette cover annonce et dépeint d’emblée, un univers aussi prolifique que bouillonnant, aussi conscient qu'intelligible, aussi stylisé que créatif. Le tout porté par un ton quelque peu décoiffant, optimiste, pop et syncrétique.
Une direction artistique recherchée et fusionnelle
Il conviendrait d’invoquer Wole Soyinka, pour transcrire l’état d’esprit qui se perçoit à travers la démarche créative de Twice As Tall : « Le tigre ne proclame pas sa tigritude. Il bondit ».
Avec ses godasses ironiques, qui décrédibilise la séculaire raillerie bestiaire des détracteurs racistes et complexés (cf cover). « Il bondit ». Directement vers le cœur (des mélomanes ?). Pour le toucher, et le prendre.
« Il bondit ». Avec des invités de poigne, semblables à des esprits tutélaires, réunis méthodiquement autour d’un idéal discursif pour partager leur part de savoir émotif. Le tigre bondit. Avec une meute riche de sa multitude d’unicité. Le tigre bondit. Avec aplomb. Comme guidé par une divinité. Il bondit. Avec une versatilité toujours aussi moderne et enracinée. Avec la densité de sa quête fervente de spiritualité.
Le tigre a bondi. Sans écœurement qui s’éternise malgré les pincements qui deviennent socle de motivation. Sans prétention d’autosuffisance autocentrée. Sans amas de discours sur ce qu’il aurait fallu et ce qui devrait être. Il bondit et c’est tout. En assumant ses aspirations permanentes de brassage, sa dévotion à une ambition communautaire presque initiatique et faite d’unité, de cohésion interne.
Peu osent entreprendre le délicat voyage vers les sentiers de traverse qui pourrait les pousser à déconstruire leurs acquis et leurs prérequis. Surtout quand ils franchissent un niveau de notoriété symbolique. Pourtant c’est ce à quoi semble s’évertuer Burna Boy sur Twice As Tall. En échappant aux cases qui auraient pu lui être prédestinées. En se détachant de son habitude ultra-festive bien que l’intention enjouée soit omniprésente. A croire que sur cet album, Burna Boy tient à nous pousser à la réflexion plus qu’à la parade dansée.
C’est donc réellement ce à quoi s’évertue Burna Boy sur Twice As Tall. En réinvestissant ses propres tentations pour l’obscurité, ou le gangstar feeling, afin de s’affiner, et probablement de se faire consensuel.
De fait, il se pourrait donc qu’on soit en train d’assister à la structuration factuelle d’un engagement musical authentique.
Et comme le tigre a bondi, vous n’aurez pas à chercher l’Afrique dans cet album, que vous l’aurez trouvé. Car comme Wole Soyinka, il ne s’agit pas pour Burna Boy, de la proclamer mais d’œuvrer à ce qu’elle s’affirme sans devoir le faire ou y prétendre.
Quel que soit donc le mood : hip-hop ou jamaïcain (avec Naughty By Nature), groove ou pop (avec Chris Martin), saturnien ou lumineux ; l’Afrique est bien là. Elle est dans les garnitures rythmiques, dans l’intonation, dans le diptyque linguistique, dans la préoccupation socio-identitaire et même dans le raccord avec la cause actuelle de la place des Noirs dans le monde.
Elle s’immisce et possède chaque titre sans chercher à être dans un exhibitionnisme excessif. Pourtant c’est elle qui prédomine. Elle impose même à chaque invité une certaine forme de présence différente, intense, sincère, personnelle. Et elle ne hurle pas, elle se déploie en tant que marque insidieuse mais en restant indélébile car elle s’entend dans tout.
Des onomatopées, jusqu’aux envolées emphatiques et lyriques (d’un Youssou N’dour par exemple). Des derniers battements de certains titres, jusqu’aux chœurs accompagnateurs sur d’autres. Des shakers, jusqu’aux choix des instruments, jusqu’aux roulements, jusqu’aux kicks, jusqu’au souffle de saxophone, jusqu’aux nappes spatiales, jusqu’à la constance lancinante ou redondante des synthétiseurs (aussi bien de Timbaland que de Mike Dean), jusqu’aux grossissements de voix (avec Sauti Sol), jusqu’à la texture vocale, jusqu’à la tension des percussions, etc. Autrement dit, il faut écouter les méandres de Twice As Tall pour rencontrer le travail de performance sonore qui s’y trouve.
[…] La direction artistique […] a œuvré à construire un album […] qui tisse les liens entre les êtres, les générations, et les cultures.
Comme quoi, la direction artistique a œuvré à construire un album puisant dans les richesses insoupçonnées des influences naija tout en étant orientée vers un universalisme subtile qui tisse les liens entre les êtres, les générations, et les cultures.
La pluralité qui redéfinira le regard mondial sur la musique Nigériane actuelle
Le travail de Burna Boy sur « Twice As Tall » est une exploration de la musique nigériane comme vecteur de rencontre et de métamorphose.
L’immersion qu’il propose s’appuie sur différents matériaux à partir desquels il crée des passerelles expérimentales. En cela, la présence de P. Diddy en tant que producteur exécutif, est un atout stratégique. En termes de mindset, de fabrication subversive de sons à paysages hybrides, de relationnel mis en branle, de positionnement et de projection extracontinental.
Ce qui permet sans doute à Burna Boy de se penser en tant que bâtisseur de transversalité. De plus, l’architecture épurée de son afro-fusion sur « Twice As Tall », l’atmosphère onctueuse qui se défait de l’exotisme absolu, la musicalité d’une sobriété pourtant sophistiquée ; favorise une déterritorialisation de l’artiste et de sa musique.
Ce qui pourrait favoriser le fait que désormais, l’écoute américaine, britannique et du monde vis-à-vis de la musique nigériane actuelle, se dépassionne, et se défasse des stéréotypes. Car Twice As Tall suggère par la musique, par les rencontres d'entités humaines, par des paroles divinatoires, par l’effort de reconquête de la mémoire collective ; une nécessité de réadaptation de notre lien anthropologique, socio-culturel, psychanalytique avec l’Afrique contemporaine.
[…] L'africanité chez Burna Boy […] est dans le souffle de l’âme sonore, vocal, linguistique, référentiel, transposé […] Ainsi, […] il se considère être […] plus en phase avec lui-même : un être cosmopolite et insatiable.
D’autant plus que l’africanité chez Burna Boy, n’est pas dans la prédominance permanente d’éléments prédéfinis, mais dans le souffle de l’âme sonore, vocal, linguistique, référentiel, transposé en filigrane mais de manière si significative dans le son produit. De sorte à refonder la couleur globale des univers musicaux de son projet artistiquement mixte. Et c’est sans doute ainsi, qu’il se considère être devenu deux fois plus grand, c’est-à-dire deux fois plus en phase avec lui-même : un être cosmopolite et insatiable.
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