Musique et religion au Congo-Brazzaville
Par Anthony Mouyoungui
Musique et religion ont toujours fait bon ménage au Congo. L’on ne peut concevoir le sacré sans musique ; la louange et l’adoration se font en musique. Aussi, dans chaque lieu de culte, existent des groupes d’animation composés de chantres. Pendant des années, la musique religieuse n’était jouée que dans les lieux appropriés, les églises autorisées (Catholique Salutiste, Kimbanguiste ou Evangélique).
Mais, avec la libéralisation du culte en 1991, les églises dites de réveil sont nées et la musique est sortie du cadre étroit des lieux de culte traditionnels pour atteindre les habitations et les plein-airs lors des campagnes d’évangélisation. La production discographique, quasi inexistante jusque-là, s’est développée au point de devancer parfois celle de la musique profane. Ainsi, à travers des années, le nombre d’artistes et groupes chrétiens a plus que doublé, les événements (concerts, festivals,…) sont nés pour satisfaire le public de plus en plus demandeur et fidèle.
Les Kimbanguistes et les Salutistes, précurseurs de ce mouvement
Au Congo, la musique (ou le chant) existe depuis la nuit des temps dans toutes les pratiques mystico-religieuses (initiations, rituels mystiques, sorcellerie…). Avec l’abandon progressif des pratiques magico-religieuses ancestrales pour des raisons de christianisation, la musique religieuse a pris une place importante dans nos us et coutumes. Au début, la musique religieuse s'exerce d'abord au sein des chorales catholiques et protestantes, des fanfares salutistes et kimbanguistes. Des orchestres tels que les Vagabonds du Ciel ou la chorale Les Amis du Ciel de l’Armée du Salut jouent un rôle primordial dans la formation des musiciens chrétiens du Congo.
L’Eglise Catholique
Au début des années 1940, la chorale Saint-François d’Assises est créée à Bacongo, dans le IIe arrondissement de Brazzaville. Le 1er novembre 1949, à l’occasion de la bénédiction solennelle de la Basilique Sainte-Anne à Poto-Poto, la chorale des Petits Chanteurs de la Croix d’Ébène devient la chorale des Piroguiers. Créée par le Père Charles Lecomte cette dernière devient une véritable institution dès l’inauguration de la Basilique avec une représentation faite par 250 choristes en direct sur les ondes de Radio-Brazzaville. En 1959, la chorale Tanga ni Tanga (je veux chanter en langue lari) est créée à l’initiative de Bruno Bacongo aidé par le révérend père Armand Flamand à Saint-Pierre-Claver de Bacongo. Cinq ans plus tard, avec l’admission des filles en son sein, ce groupe devient la première chorale catholique mixte de la ville.
Eglise Evangélique du Congo
Du côté de l’Eglise Evangélique du Congo, outre les chorales, un genre nouveau voit le jour : les Kilombos. En 1947, le Pasteur Daniel Ndoudou demande à Alphonse Kimbolo, père de Gérard et Clotaire Kimbolo, artistes du célèbre groupe Ballet les Anges à Brazzaville, de regrouper des jeunes. Il créa un groupe de jeunes appelé Kilombo entre 1948 et 1949. Le genre musical le plus représentatif de l’EEC venait de naître et le Kilombo Mayangui est le premier d’une longue liste. La légende dit même que le mot Kilombo ne serait qu’une altération du nom de son créateur. ‘’Le Kilombo est un groupe de chants traditionnels typique des églises protestantes congolaises. Né de la richesse culturelle d'un peuple de chanteurs et de danseurs, il est en grande majorité constitué de femmes aux profils variés : paysannes, commerçantes, fonctionnaires de l'état, élèves, mères au foyer, etc.’’ écrit Ruth-Annie Coyault dans son blog kilombo-chants-et-théologie.
Dans les années 1970, Les Perles, aujourd’hui devenus Palata, puisent dans le répertoire traditionnel, les éléments qu'ils mettent au service d'un vocal largement inspiré du gospel américain. C’est une mini révolution. Ils vont entraîner dans leurs sillages plusieurs groupes parmi lesquels Spiritual Singers, Ntsamina, Wola Faith, BZS Singers, Ecoma Gospel ou Les Bons Bergers de Pointe-Noire, des décennies plus tard.
Le visage actuel
Entre temps, la Conférence Nationale Souveraine s’est ténue et la liberté de culte a été inscrite dans la constitution de la toute nouvelle République du Congo. A cet effet, des églises dites de réveil, en opposition aux églises anciennes (Catholique, Evangélique, Armée du Salut et Kimbanguiste) considérées comme mortes, naissent partout. ‘’La nouvelle ferveur religieuse ou chrétienne, sur les deux rives du fleuve Congo, observée au début des années 1980 avec l'apparition des églises de réveil, a abouti à la constitution de groupes musicaux d'essence chrétienne calquée sur le modèle profane. Chorales au départ, elles se transforment progressivement en véritables orchestres. Ces nouveaux artistes musiciens se disent et se font appeler musiciens-chrétiens ou ‘’chrétiens-musiciens’’, et se disent non religieux, parce que, ne faisant pas partie des vieilles religions, mais plutôt des églises de réveil’’ explique Jeannot Ne Nzau dans le journal Le Potentiel (Kinshasa).
Le paysage est le même que l’on soit en RDC ou au Congo. D’ailleurs ce sont les musiciens de la RDC qui vont influencer, d’une certaine façon, les artistes-chrétiens de Brazzaville. C’est à cette période que l’on commence à mettre sur le marché des œuvres discographiques chrétiennes. A Brazzaville, Pilo Sound, maison de production et studio d’enregistrement, devient la plaque tournante de la chanson religieuse congolaise avec un groupe phare dénommé ‘’Kembo Kembo’’. A Pointe-Noire, Mathias Ngoumba au travers de son label Ecurie Padiex lance tour à tour les albums des chorales Les Pacifiques de la paroisse Saint-François, les Nkulussi (Eglise Evangélique) en 1990, ‘’Colombe de la Paix’’ de l’église Lassyste en 1992 et du groupe Raymond Mboko en 1993.
Après la vague des groupes exclusivement suivit celle des individualités et des groupes parfois indépendants des églises. C’est le cas de : Sila N’Lemvo, ex Ecodi de Matoumbou, Arsène Ngouelé, Carine Fleur Edouard, Irène Makosso, Belle Agniélé, Clémence Avounou, Archimède Bissouaka, Ophélia Cynthia Gely, Jean-Sylvain Akouala. Il existe également des artistes qui ont commencé par la musique profane avant de répondre à l’appel de Dieu (Philippe Sita ou Pembey Sheiro).
L’appui des médias
Dans leur promotion, les artistes-musiciens chrétiens bénéficient énormément du soutien des médias. Pendant des années, ils se sont contentés des plages spéciales dans les médias généralistes (Chorus sur Radio-Congo ou Sonorités gospel sur Ponton FM) avant de constituer l’essentiel de la programmation des médias chrétiens. Le paysage médiatique du Congo s’est enrichi des médias confessionnels aussi bien à Brazzaville qu’à Pointe-Noire : Radio Sangu ya Mboté (RSM), Radio Maria, Radio Magnificat, Radio Voix Evangélique (RVE), Radio Centenaire, Radio OPH ou Canal 7. Des évènements ont vu le jour pour permettre aux artistes de se produire et de rencontrer le public : Célébration Emmanuel tous les mois de décembre à Pointe-Noire depuis 2007 et RAMC (Rencontres des Arts et Musiques Chrétiens) à Brazzaville depuis 2011.
Quel avenir ?
La musique chrétienne a encore de beaux jours au Congo. Dans sa configuration actuelle, qui date du début des années 1990, elle a énormément évolué. Les artistes et tous les professionnels qui travaillent autour y sont de beaucoup. Elle a su s’affranchir de la tutelle des églises tout en proclamant la Bonne Nouvelle. ‘’Louez-le avec le tambourin et avec des danses ! Louez-le avec les instruments à cordes et la flûte !’’ Peut-on lire dans les Psaumes 150 :4. Le lien, très étroit, qui unit la musique à la religion n’est pas prêt de rompre. Seulement, dans son évolution, elle est restée très proche de la musique profane (arrangements, danses,…). Ce qui, bien entendu, fait grincer les dents d’une partie du public. L’autre reproche est la qualité artistique de certains produits proposés. C’est à ce niveau que son avenir se jouera. Outre la louange et l’adoration, les mélomanes chrétiens ont aussi besoin d’écouter de la musique de qualité.
Par ailleurs, l’on ne doit pas perdre de vue que cette catégorie de musique souffre des mêmes maux que la musique en général: absence de vrais labels de production, piraterie, inexistence d’un marché organisé.
Sources :
- " Historique et évolution de la musique religieuse au Congo démocratique" de Jeannot Nzau paru dans Le Potentiel et repris par le site http://godieu.com/;
- http://kilombo-chants-et-theologie.blogspot.fr/ Blog ténu par Ruth-Annie Coyault ;
- http://godieu.com/musigodieu/musique_religieuse_congo.html;
- http://www.adiac-congo.com;
- lasemaineafricaine.net ;
- paroisse-saintpierreclaver.org ;
- Personnes ressources (animateurs de radio et télé, artistes et entourage artiste)
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