Les défis auxquels font face les archives de musique africaine
Par Diane Thram
Les archives musicales en Afrique contiennent des collections d’enregistrements et d’instruments qui constituent un héritage qu’il est impératif de conserver, de répandre et de rapatrier (sous forme numérique) vers leurs communautés d’origine. Les problèmes auxquels sont confrontée l’archivage de la musique sont notamment la durabilité, la déontologie dans la recherche et les méthodes de classement face aux réalités de la numérisation, de l’internet, des méthodes de rapatriement et du rôle émergeant des archives musicales. Au-delà de simples dépôts, il convient d’en faire de véritables lieux d’activisme et d’engagement communautaire.
Désormais, les lieux d’archivage ne sont plus de simples dépôts destinés aux seuls érudits, au 21ème siècle, à l’heure de la numérisation, de l’accès à internet et de la distribution en ligne, les archives prennent une dimension mondiale. Cependant, le défi de la numérisation reste à relever pour nombre d’institutions en Afrique. On ne peut citer comme exemples que La Bibliothèque Nationale de la Musique Africaine (ILAM) à l’Université de Rhodes, et les Archives de la Musique Sud-africaine (SAMAP) à l’Université du KwaZulu- Natal, car les fonds et l’expertise destinés à ce domaine sont insuffisants. Il existe des problèmes de déontologie concernant la recherche, l’accès aux archives et leur utilisation, leur possible exploitation commerciale et leur rapatriement, en plus des difficultés liés à une maintenance et un fonctionnement efficaces. Dans ce qui suit, je parlerai de mon expérience depuis 2006 en qualité de directrice de la Bibliothèque Musicale Internationale (ILAM).
Les défis actuels en matière d’archives musicales
Le fait de numériser les œuvres, de créer des catalogues de l’ILAM accessibles en ligne ne signifie pas que la musique contenue dans ces divers fichiers est jouée ou enseignée à la jeunesse sud-africaine dans les communautés dont elle est issue ou dans les programmes scolaires. Le projet ‘ILAM Music Heritage Project SA’, fondé par le Conseil National des Arts en 2010, a publié deux manuels scolaires de musique illustrés avec de la documentation provenant de l’ILAM.
Ce projet a été inspiré par la vision de Hugh Tracey, le fondateur de l’ILAM. En publiant des manuels scolaires, il voulait donner l’occasion aux élèves de découvrir les différents types de musique africaine contenue dans les archives. A l’époque (les années 50 et 60) et jusqu’à présent, les écoles enseignent majoritairement de la musique occidentale aux dépends de son homologue africaine. A l’époque de Hugh Tracey, cela était dû aux diktats des gouvernements coloniaux. Aujourd’hui, les coupables sont le manque d’expertise et le manque d’équipement dans les salles de classe. Ces lacunes doivent être comblées dans l’optique d’un processus d’archivage de tout l’héritage musical.
Durabilité
L’éternel problème auquel sont confrontés l’ILAM et la plupart des archives musicales est la durabilité. Autrement dit, comment trouver et maintenir des fonds suffisants pour survivre et se développer ? En général, les étapes dans l’archivage de la musique comprennent : la création d’une base de données numérique, la conservation de ces données et leur partage à travers un accès en ligne. La création et la publication de matériels audio-visuels et imprimés, la recherche et les publications qui en découleraient, le travail de proximité, et l’enseignement, ainsi que le rapatriement de projets devraient également faire partie des opérations courantes d’archivage.
Toutes ces activités requièrent des fonds, en particulier dans les pays en voie de développement en Afrique. Cela signifie que les responsables de ces archives doivent trouver des fonds externes pour préserver et partager leurs précieux objets et entamer la grande tâche qui consiste à numériser les enregistrements afin de les renvoyer dans leurs communautés d’origine. Dans le cas de l’ILAM, l’achat d’un serveur de stockage expansible, la classification, la conversion numérique, la création d’une base de données et l’accès en ligne aux collections ont été rendus possibles grâce au financement du gouvernement, et à des dons d’entreprises et des dons internationaux. Des bourses ont permis de couvrir le coût de classification et de numérisation mais pas celui des opérations quotidiennes.
Le besoin de fonds pour les opérations quotidiennes s’est traduit par la création de ‘ILAM Studio Services' (ISS) en 2003 afin de générer un revenu pour les dépenses dues au fonctionnement ponctuel. Les frais fixes sont couverts grâce à l’équipe d’ingénieurs du son de l’ILAM qui offrent un service de numérisation audio-visuelle à des tiers. L’ISS génère aussi des revenus grâce à un studio et un service de duplication de CD pour le grand public. Les publications de l’ILAM et leurs ventes sont une source supplémentaire de revenus, de même que les droits d’auteur et frais d’utilisation des images et des enregistrements de l’ILAM. Malheureusement, les contrats de numérisation sont irréguliers, voire rares, ce qui rend le travail parfois difficile.
Reproduction, vente et rapatriement de l’héritage numérique
L’ILAM est confrontée à divers obstacles depuis 2009, au début des procédures de classification, de numérisation et de partage en ligne. La reproduction d’enregistrements sonores et d’images de la collection de Hugh Tracey pour une vente en ligne et le désir de commencer à rapatrier des copies des éléments déjà archivés ont suscité des interrogations quant aux questions d’éthique entourant toutes ces activités.
Toutes les étapes de l’archivage sont concernées par cette question de déontologie. De la simple évaluation d’une collection à la sûreté des fonds, qu’ils soient émis par des bourses pour la recherche, la publication, les projets de terrain, la scolarisation ou le rapatriement de projets, ou qu’il s’agisse de revenus générés par les ventes. Pour combler le fossé numérique, l’ILAM diffuse ses enregistrements audio-visuels à travers des projets pédagogiques tels qu’un musée ambulant et des manuels destinés à informer le public de l’héritage offert par l’ILAM grâce aux remarquables efforts de Hugh Tracey.
En décembre 2008, dans un effort pour établir des normes de reproduction, de vente et de rapatriement de l’héritage numérique, l’ILAM a organisé un Atelier de l’Héritage Numérique en collaboration avec le Centre d’Etudes Africaines de l’Université du Michigan aux Etats Unis. L’atelier auquel ont participé des représentants des archives, bibliothèques et musées sud-africains et ghanéens, a produit deux documents : ‘Directives pour la reproduction et la vente d’un héritage numérique’ et ‘Directives pour le rapatriement d’un héritage numérique’[i]. Ces directives abordent l’aspect déontologique des archives audio-visuelles par rapport aux difficultés suivantes : le droit d’accès et d’utilisation ; la propriété intellectuelle face à l’exploitation commerciale ; l’impact des recherches et des pratiques d’archivage ; et les méthodes adéquates de rapatriement. De plus, ces directives offrent des critères de déontologie dans des termes simples, sans aucune lourdeur terminologique. Ces diverses recommandations ont reçu des avis positifs à échelle internationale[ii]. L’établissement de normes internationales est soutenu à travers le WIPO, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (WIPO)[iii].
En juillet 2014, l’ILAM a eu l’occasion de lancer son projet d’étude et de rapatriement des enregistrements de Hugh Tracey à l’ILAM. Cela a été rendu possible grâce au soutien de la fondation Abubillah Music[iv] et du projet Singing Wells [v]. Ce projet a eu comme résultat le retour des enregistrements Gogo de Tracey en 1950 lors du festival annuel de Chamiwo en Tanzanie et les disques de 1950 de Zanzibar. Au Kenya, les enregistrements de Kipisigi (Rift Valley) et Luo (région du lac Victoria) ont été rendus à trois hommes âgés de près de 90 ans, qui en 1950 et 1952 ont tous participé à la version originale. Des copies ont été offertes aux familles des musiciens et à leurs communautés d’origine, aux ministères locaux de la culture, à une école primaire, à des musiciens et à des organisations musicales locales.
Un film et un reportage radio sur le retour du célèbre ‘Kipsigis Chemiroca’ sont disponibles via la Radio Publique Nationale. J’encourage les lecteurs de cet article à voir ce film à écouter cet extrait radiophonique afin de comprendre pourquoi les archives musicales ont pour but de restituer les supports numériques à leurs légitimes propriétaires. Cependant, cette œuvre requière des fonds, et le plus grand obstacle demeure le manque de financement pour préserver et diffuser cet héritage inestimable.
[i] Directives publiées dans African Music 9(3), 179-81 ou à télécharger sur le site internet de l’ILAM, www.ru.ac.za/ilam. [ii] En 2009 les Directives ont été présentées à la Première Conférence Internationale des Bibliothèques Numériques et Archives d’Afrique (ICADLA 1, Addis Abeba, Ethiopie), à l’Association Internationale des Archives Sonores et Audio-visuelles (IASA, Athènes, Grèce), et Symposium pour l’Ethnomusicologie, Université de Dar Es Salaam, Tanzanie; en 2010 à la Conférence annuelle pour l’Ethnomusicologie (SEM, Los Angeles); et en 2011 à l’Association Internationale pour l’Etude de la Musique Populaire (IASPM, Grahamstown, Afrique du Sud) et le ‘Symposium International sur l’Ethnomusicologie en Ouganda’, Université de Makerere Kampala, Ouganda. [iii] Pour plus d’informations sur la propriété intellectuelle et les difficultés qui l’entourent, visitez le site du WIPO www.wipo.int/portal/index.html.en. Pour des problèmes d’IP relatives aux archives musicales, voirnA. Seeger, 2001 et A. Seeger et S. Chaudri, eds., Archives for the Future (2004). [iv] www.abubillamusic.com/abubilla-music-foundation/ [v] www.singingwells.org
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