Musique guinéenne : les archives sauvées et numérisées
S’il y a un domaine dans lequel Sékou Touré, le premier président de la Guinée indépendante, fait consensus, voire l’unanimité, c’est bien celui de la Culture.
Comprenant très tôt que la souveraineté politique qui lui était tant chère nécessitait celle culturelle, il avait fait de la renaissance d’une culturelle guinéenne authentique un chantier en tant que tel. Signe du volontarisme qui l’animait, les musiciens, combattants à part entière de la Révolution, avaient été fonctionnarisés, en plus de leur dotation périodique en instruments. Structurant le secteur, il exigeait en retour, que les rythmes, mélodies et textes soient inspirés par la sociologie, l’identité et les valeurs locales.
Ainsi contraints au travail et à une recherche active, les orchestres nationaux et régionaux, les ensembles, ballets, chœurs ainsi que les quelques vedettes individuelles, fruit de cette période d’effervescence musicale légendaire, ont donné naissance à un véritable trésor culturel à travers les milliers de chansons enregistrées dans les studios de La Voix de la révolution et produites, entre autres, par le label Syliphone sur les disques 33,3 et 45 tours.
La rupture tant politique qu’idéologique intervenue dans le cheminement historique de la Guinée, après la mort de Sékou Touré (le 26 mars 1984), s’accompagnant d’une brusque détérioration de la politique culturelle, ce trésor, témoin privilégié d’une période charnière de l’histoire singulière de la Guinée, était pourtant sur le point de se perdre. Très heureusement, en 2008, débute un projet de reconstitution, de récupération et d’archivage numérique des milliers de chansons que l’on commençait à abandonner soit par négligence, soit par souci de ne pas réhabiliter le régime politique auquel elles sont associées.
Financé par le Endangered Archives Programme (EAP) de la British Library, le projet, piloté par Dr. Graeme Counsel, de l’université de Melbourne(Australie), est décliné en trois étapes qui s’étalent de 2008 à 2013. Tout d’abord, en 2008, avant la célébration de la fête anniversaire du cinquantenaire de l’indépendance, sont archivées 750 chansons du catalogue du label Syliphone publiées sur 160 disques vinyle. De cette célébration au 22 décembre (date de la disparition du président Lansana Conté), 69 bobines audio de musique conservées dans les locaux de la RTG-Boulbinet sont archivées au compte de la seconde phase.
En 2009, avant le massacre du stade du 28 septembre et la détérioration du climat sécuritaire, 229 autres bobines sont également archivées sur support numérique. Puis, le projet est momentanément abandonné pour laisser le climat sociopolitique se rétablir. Enfin, au compte de la dernière phase, le contenu de 827 dernières bobines sont numérisées entre septembre 2012 et janvier 2013.
Culminant à quelques 8000 chansons, le vaste et richissime répertoire que l’on peut écouter désormais sur le British Library Sounds site (en cliquant sur « Africa », puis sur l’éléphant, logo du label Syliphone) est un inventaire exhaustif de la musique guinéenne du temps où cette dernière était guidée par le principe du nécessaire « Regard sur le passé ».
En conséquence, on peut réécouter pour les uns et découvrir pour les autres, des tubes qui ont fait la réputation des grands orchestres de l’époque tels : le Syli Orchestre National, Bembeya Jazz, Keletigui et ses Tambourinis, Balla et ses Balladins, Horoya Band, Super Boiro Band ou encore les Amazones de Guinée.
De même, les répertoires des orchestres régionaux (Kebendo Jazz, Kolima Jazz, Manden Kono, Nimba Jazz, Syli Authentic, etc.), des Ballets et Ensembles instrumentaux (Ballets Africains, Ensemble instrumental national, etc.), de groupes ayant émergé au lendemain de la mort de Sékou Touré (Super Flambeau, Atlantic Mélodie, Koubia Jazz, etc.) ainsi que des vedettes dont le talent intrinsèque a forgé une personnalité de vedette (Fodé Conté, Sory Kandia Kouyaté, Farba Tela, M’Bady Kouyaté, Binta Laaly Sow, Manfila Dabadou Kanté, Manfila Soba Kanté, Ilou Dyohèrè, etc.).
Pour les férus de musique authentique, les jeunes artistes guinéens en quête d’inspiration et de repères, et la nouvelle génération de journalistes et animateurs culturels, dont une des missions est de promouvoir et valoriser la culture guinéenne, les archives désormais sauvegardées et rendues disponibles par la British Library est une inestimable mine d’or.
D’autant que toutes les composantes ethnico-culturelles (ainsi que les œuvres résultant des rapports que la Guinée avait entretenus avec d’autres peuples à travers le monde) y sont représentées. Il n’y a plus donc qu’à piocher.
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