Gombo salsa, l'histoire de la salsa au Bénin
De Gnonnas Pedro à Jospinto la salsa est consubstantielle de l'ADN du Bénin. Retour sur une culture qui marque l'émulation entre Afrique et Caraïbes...
Bénin, terre de Vaudou, terre de Santeria
La salsa a toujours eu une place à part au Bénin, ce pays coincé entre le Togo et le géant anglophone nigérian. Dans la sous-région, au Sénégal, en Guinée Conakry ou en Côte d'Ivoire cette musique n'est plus au premier plan aujourd'hui, considérée par une bonne partie de la jeunesse comme « une musique de vieux ».
Mais au Bénin, elle garde un enracinement profond intrinsèquement lié à l'Histoire de ce berceau de la culture vaudoue. « La salsa est un mélange entre les rythmes des Orishas originaires des Yorubas et la musique occidentale. » résume le salsero béninois Michel Pinheiro. « On a ajouté le piano et les cuivres au tambour des Yorubas. C'est ce qui a donné la salsa. Naturellement, en tant qu'africain je m'y retrouve ! »
Les cérémonies vaudoues sont caractérisées par des polyrythmies avec force incantations des esprits au son du tambour, des cloches et des hochets. Des éléments que l'on retrouve dans le son cubain, lié à la Santeria, c'est à dire le culte des Orishas, les demi-dieux humains évoqués dans la culture Yoruba, importée dans la Caraïbe à travers l'esclavage.
« Le vaudou est notre identité. » rappelle Vincent Ahehehinnou, le chanteur du Tout-Puissant orchestre Poly-rythmo de Cotonou. « Aujourd'hui de par le monde le vaudou a apporté énormément à la musique. Les cloches, les castagnettes, les tam tams, les tumbas ont été créés dans les couvents. Ensuite cette culture s'est modernisée. »
Les caliente années 60-70
En 1960, la République du Dahomey accède à l'Indépendance. S'ensuit une succession de coups d'état. En 1975, Matthieu Kérékou instaure la République populaire du Bénin. Comme le Mali, l'Angola ou du Congo-Brazzaville son régime s'inspire - jusqu'à la caricature - du marxisme léninisme soviétique. Porto-Novo devient la capitale. Et le Cuba de Fidel Castro, qui se déhanche au son de la guaracha est alors le modèle à suivre.
Dans les années 70 des groupes béninois comme le Tout Puissant Orchestre Poly-rythmo de Cotonou ont su incarner avec brio cette vague afro-latine. Un des pionniers de ce genre au pays du Vaudou est le regretté Gnonnas Pedro, décédé en 2004, qui a aussi joué avec cet orchestre mythique.
Cette musique salsa, comme la rumba congolaise, est un aller et retour perpétuel entre l'Afrique et la Caraïbe revenant tel un boomerang sur le continent dans les années 60. Dès cette décennie rumba, salsa et pachanga irriguent les rues de Cotonou et Porto Novo avec des groupes aux noms bien sentis: El Rego y sus commandos, Ignacio Blazio osho y orchestra Las Ondas et bien sûr Gnonnas Pedro y sus Panchos.
A la même époque les stars de la salsa comme le dominicain Johnny Pacheco et les cubains de l'Orquesta Aragon font des tournées à guichets fermés dans la région. Avec l'afro beat et le funk, la salsa fait aussi partie de la matrice du Tout-Puissant orchestre Poly-rythmo de Cotonou. Son chanteur en titre Vincent Ahehehinnou raconte l'émergence du groupe à la fin des années 60 : « On ne s'attendait pas à devenir musiciens au départ. Nous étions tous des collégiens passionnés. On jouait dans des compétitions inter-collèges au sein de groupes scolaires.On était fascinés par la vague yéyé Johnny Halliday, Françoise Hardy, Jacques Dutronc, Richard Anthony... On a commencé à interpréter leurs chansons en autodidactes, sur le tas. On s'est servis de ces interprétations pour créer quelque chose de complètement différent. Nous faisons tous les rythmes. C'est ce qui fait de nous les Poly-rythmo ! On a adapté les rythmes de chez nous au funk pour faire quelque chose de particulier, le son du Poly-rythmo qu'on appelle le Voodoo Funk. »
Le groupe fondé par le regretté Clément Mélomé est aujourd'hui adulé par les collectionneurs de disques vinyles et par le groupe rock écossais Franz Ferdinand qui a joué avec eux. « Notre aventure a commencé en 1966, parmi les nombreux groupes de l'époque. » explique Vincent Ahehehinnou. « Dix ans plus tard, on avait enregistré plus de quatre-cents disques ! La demande était forte. En 1969 on a eu un premier succès « Gbeti ma djro » qui a fait le tour du monde.
Le programme radio la Voix de l'Amérique l'a relayé dans le monde entier. Le succès s'est collé à nous. Ça veut dire que ce que nous faisions était bon ! Alors on a continué. On a connu de bons et de mauvais moments et aujourd'hui on rend grâce ! » Grâce à l'aide d'une jeune journaliste française Elodie Maillot le TP a pu tourner à nouveau dans le monde entier avec l'album Cotonou club -Strut records 2011-, avec la participation de leur « petite sœur » Angélique Kidjo.
Le gombo-salsa de Gnonnas
Gnonnas Pedro, de son vrai nom Gnonnas Sousou Pierre Kwasivi, est un pur produit des Indépendances et du vent de liberté artistique qui souffle à l'époque. Le « son » cubain, (prononcer sonne en espagnol) fait alors fureur dans toute l'Afrique. Gnonnas s'impose comme un grand salsero avec deux tubes: « Von o von non » et « Yri yri boum », une reprise d'un standard cubain popularisé par Bény Moré et Célia Cruz
Le chanteur Gnonnas Pedro reprend le style agbadja de sa région de Lokossa et le fusionne avec les rythmes latins. Cela donne un style.... le « gombo-salsa » ! En 1996, à la mort de Pape Serigne Seck, Gnonnas Pedro rejoint Africando, cette « Fania panafricaine » créée par Boncana Maiga. L'haïtien Shoubou, le burkinabé Amadou Ballaké, le guinéen Sékouba Bambino, le sénégalais Médoune Diallo de l'Orchestra Baobab ou encore Ronnie Baro de l'Orchestra Broadway ont fait partie des voix de ce pont entre Afrique et Caraïbes. Le dernier album en date d'Africando Viva Africando - Syllart productions/Sterns music- date de 2013.
La relève des années 90 et 2000
Cette tradition béninoise de la salsa perdure aujourd'hui. Fondée en 1994, la fanfare du Gangbe brass band est dans le prolongement du TP orchestre Poly-rythmo. Elle mêle allègrement funk, afro beat et salsa dans un joyeux patchwork. En 2015, ce très bon groupe de scène a sorti l'album Go slow to lagos - Buda musiques. Citons également le chanteur Jospinto. Créateur de l'association Agogbe des amateurs de salsa, cet ancien déclarant en douane a eu la lourde tâche de remplacer Gnonnas Pedro dans Africando. Il lui rend hommage sur le titre « Es para ti Gnonnas » de l'album Viva Africando. Jospinto chante en Fon, en Yoruba, en Goun et en Mina, les principales langues du pays.
Michel Pinheiro, un ex tromboniste de Tiken Jah Fakoly, originaire de Pobé, une ville du plateau de Louémé, a fondé l' African salsa orchestra en 2014. Michel s'est formé dans les hôtels d'Abidjan dans les années 90, il se souvient : « Notre répertoire était varié : Chocolate, Papaito, Coupé Cloué d'Haiti, Kassav, Moni Bilé, Hotel California... Ensuite il tourne avec Tiken Jah Fakoly, sans délaisser la salsa : « Quand j'allais dans les boums au pays, c'était sur la salsa que je me levais pour aller danser. C'est comme si j'entrais en transe. » En 2009 à Cotonou, il sort Bénin en forme de carte postale du pays, de la porte de non-retour des esclaves à Ouidah jusqu'au village lacustre de Ganvié. Son dernier album, autoproduit sorti en 2013 s'appelle Voyage.
Quel futur ?
Malgré son dynamisme musical évident le Bénin n'échappe pas au phénomène mondial de diminution des orchestres au profit des DJ : «Les jeunes sont trop influencés par les musiques programmées sur des machines. Cela va avec la tendance actuelle qui est de pré-fabriquer les artistes. Avant, pour enregistrer un album, l'artiste faisait des concerts, jouait dans des bals.
Aujourd'hui on sort de nulle part, on fait un album et c'est après qu'on fait une carrière. La salsa est une musique très complexe. Ne vient pas en faire qui veut ! Et puis il n'y a plus de producteur. Quand j'ai proposé mes premières maquettes à Abidjan on m'a dit: « C'est une musique de vieux ! Il faut faire du zouglou ! » Il faut inciter les jeunes à jouer de la salsa.
Quand tu joues la salsa au Bénin les jeunes et les vieux se lèvent pour danser. Quand un artiste sort un album, il y a toujours un titre qui tend vers la salsa. Les gens aiment. Seule l'audace manque ! » Pour l'avenir, Michel rêve d'un festival de salsa en Afrique qui ferait un pont entre l'Amérique latine et l'Afrique, avec des artistes cubains, vénézuéliens... A suivre !
Quelques liens :Jospinto Simedjito https://www.youtube.com/watch?v=8KiEVHXewVM7 Michel Pinheiro Bénin https://www.youtube.com/watch?v=4mcXlz8gAdg Gangbe Brass Band live Ermitage 2015 https://www.youtube.com/watch?v=_5DkVe0h3_I
Interview réalisées par l'auteur en 2012 et 2013 à Paris A lire L'épopée de la musique africaine de Florent Mazzoleni-Hors collection 2013
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