La production de vidéoclips en Érythrée
Les vidéoclips se popularisent en Érythrée au cours de ces dix dernières années avec l’avènement des réseaux sociaux numériques et la diffusion des médias en streaming, qui entrainent la décentralisation du divertissement au détriment de la télévision nationale. Le texte donne un aperçu de l’évolution et de la dynamique actuelle de la production de vidéoclips et de sa consommation en Érythrée.
Les débuts de la production de vidéoclips
Si les années 1960 annoncent une nouvelle ère pour la musique moderne érythréenne, la production de vidéoclips est rare sous le règne éthiopien. Le clip ‘FikreyTelemeni’ du légendaire TekleTesfazghi, membre de Roha Band, retransmis à la télévision nationale, est l'une des premières productions.
À l'aube de l'indépendance, le bureau culturel du mouvement révolutionnaire filme différents concerts live et réalise quelques vidéos musicales avec des visuels de champ de bataille. Après l'indépendance en 1991, la télévision nationale diffuse des concerts des groupes du mouvement révolutionnaire. Ces spectacles, parallèlement distribués sur cassettes VHS, contribueront à forger une nouvelle identité nationale, présentant les différentes cultures, danses et costumes des différents groupes ethniques du pays.
Les médias introduisent le mouvement révolutionnaire et ses idéaux à travers une série de spectacles culturels. Pour ceux qui sont trop jeunes pour comprendre les révolutionnaires et les 30 ans de guerre pour l'indépendance, les programmes télévisés font toute la différence. L'une des chansons les plus populaires est 'Tegadalay" (combattant) deTekleAdhanom (aussi connu sous le nom d’Hiwkot), un chanteur populaire exilé. La chanson fait l’éloge des combattants de la liberté et est régulièrement diffusée avec d'autres concerts filmés en zones libérées.
Au début des années 1990, Eri-TV[i], opérant quelques heures par semaine, diffuse quelques vidéos réalisées dans les palais et les parcs nationaux. Il s'agit essentiellement de chants euphoriques sur le devenir de la nation.
La nécessité de produire plus de vidéos devient de plus en plus évidente, exposant l'absence de sociétés de production musicale indépendantes et les ressources limitées de la seule station de télévision. La notion de déterminisme technologique de Marshall McLuhan, théoricien des médias, est clairement visible en Érythrée, avec la montée en popularité du magnétoscope dans les années 1990 qui ouvre la voie à une nouvelle offre de divertissement. Ce nouveau marché propulse la production de compilations de musique ainsi que des comédies locales, d’une durée d’environ deux heures. Ainsi débute la production commerciale de vidéoclips, non télévisés en Érythrée.
Au fil des années, de nouveaux médias émergent pour combler le vide. Il s'agit notamment de l'EVS, adopté par des professionnels qui reviennent d'exil dans les années 1990. AVIE, l’unité audiovisuelle de la direction générale des affaires culturelles du gouvernement, est une autre maison de production qui produit des vidéoclips de la musique érythréenne, dont beaucoup sont encore diffusés à la télévision nationale plus de 20 ans plus tard.
L’évolution de la production de vidéos
Vers la fin des années 1990 et ce jusqu'au début des années 2000, la production de vidéos est interrompue lorsque le pays s’engage dans ce qui est considéré comme l'une des plus grandes guerres. La production reprend autour de 2005. L’émergence de cinéastes indépendants disposant d’un petit budget en Érythrée est le résultat de l'abordabilité des caméras numériques et outils d'édition, qui dans de nombreux cas, signifie simplement un ordinateur décent. La plupart des vidéos produites au cours de cette période sont une rhétorique nationaliste pour la mobilisation des masses en faveur de la guerre.
Les chanteurs érythréens, dont la principale source de revenus est les performances en boîtes de nuit et lors des mariages, produisent des vidéoclips dans le but de passer à l'antenne sur la télévision nationale. Le temps d’antenne, même sporadique, devient une préoccupation majeure pour les musiciens érythréens.
La numérisation du contenu vidéo et la prolifération des plateformes en ligne telles que YouTube constituent initialement une menace pour les productions existantes, bien que les ventes de films locaux, généralement produits à des fins de promotion, sont vraisemblablement les plus touchées. En fait, de nombreux artistes érythréens voudraient que leurs clips soient téléchargés et partagés librement. Ce phénomène viral prend une tout autre forme en Érythrée, où en raison de la lenteur du débit internet et des difficultés de diffusion en streaming, les cafés Internet fonctionnent comme des supports médias où nouvelles et anciennes versions musicales sont compilées pour le divertissement. Aujourd'hui, avec la prolifération des périphériques de stockage de masse et l'amélioration des techniques de compression, les utilisateurs peuvent maintenant sortir des cafés Internet avec des dizaines d'heures de contenu, les plus populaires étant les vidéoclips et films Tigrinya et amharique (Éthiopien).
Aujourd'hui les vidéoclips sont essentiels au succès des singles et albums. La demande pour les vidéos érythréennes est élevée parmi les publics érythréens dispersés à travers le monde et sur le sol Érythréen.
Depuis 2010, les artistes et producteurs, qui souffrent d’une baisse de revenus occasionnée par le piratage sur YouTube, ont finalement cédé au téléchargement de leurs œuvres sur YouTube dans le but d'atteindre un plus large public et d'obtenir des recettes publicitaires. Cela a conduit à la disparition progressive des DVD amateurs. Les plates-formes en ligne populaires comme LYE.tv et Halenga, qui diffusent du contenu local et régional, contre paiement qui est partagé entre les artistes, remplacent progressivement la fonction du distributeur.
Les récentes améliorations apportées à la qualité de la production des vidéos érythréennes ne peuvent passer inaperçues. En 2011, le Festival National des Arts Expo reconnait cet aspect en récompensant la meilleure réalisation, vidéo et édition [ii]. C’est ainsi que Siye Video Production, Amir Graphics et Yonan Production Vidéo sont primés [iii].
Un autre développement récent dans le paysage de la production de vidéoclips en Érythréeest l'émergence des vidéos du gospel Tewahdo (orthodoxe). Ce genre, originaire de l’Éthiopie, est encore assez nouveau en Érythrée car exclusivement interprété en langue liturgique Geez, et a rarement quitté l'enceinte de l'église. Aujourd'hui, cependant, le gospel Tewahdo se popularise.
Les réalisateurs et producteurs les plus connus en Érythrée sont notamment, Daniel Abraham, Merhawi Meles, TesfitAmanuel, EriwoodEntertainment [iv], Halenga Records[v] et Yonas Solomun.
Awet Seyoum, EsseyTesfagabir et Solomun Tsehaye sont quelques-uns des cinéastes Érythréens résidant en Europe. Ces derniers produisent également des vidéoclips, principalement pour les artistes érythréens qui ont migré vers l'Europe.
Défis
Les vidéoclips érythréens sont généralement réalisés avec un petit budget (autour de 400 dollars) avec des équipements semi-professionnels, au mieux. Le cycle typique de la production de vidéos en Érythrée commence par l'acquisition d'un permis du Bureau de la censure du Ministère de l'information. Les artistes choisissent ensuite leurs réalisateurs (qui sont souvent les paroliers des chansons elles-mêmes), ainsi qu'un caméraman, un éditeur et des danseurs.
Dans le contexte érythréen, la fonction du réalisateur est principalement logistique : chargé d’obtenir l'autorisation des maisons, hôtels, bars ou clubs pour le tournage et gérer le budget de production.
L’autre tâche importante est de trouver ‘la bonne fille’. Trouver des modèles attrayants pour les vidéos détermine souvent si une vidéo sera un succès ou pas. Les Érythréens ont en effet une vision particulière de la beauté comme le démontrent les commentaires sur YouTube.
Bien que la production de vidéoclips en Érythrée soit généralement à petit budget, le succès d’un morceau en dépend.
L'un des principaux défis reste sans doute le public plutôt restreint constitué de ceux qui parlent et comprennent la langue locale. Couplé à un accès limité à l'Internet, les vidéoclips ne peuvent atteindre les millions de vues.
[ii] www.shaebia.org/index.php?option=com_content&view=article&id=190:eritrean-festival-2011-at-national-level-concludes-with-great-fanfare&catid=35:local-a-intl-news&Itemid=41
[iii] https://www.facebook.com/Yonan-video-production-113805848656918/info?_rdr&tab=page_info
[iv] https://www.facebook.com/AlexsandersTumzghipage
[v] https://www.facebook.com/halengarecords
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