La politique culturelle en Centrafrique
Par Auguste Saint-Clair Gbogbo
Fort de ses 623 000 km2 de superficie et de ses cinq millions d’habitants, la République centrafricaine regorge un potentiel culturel très riche et diversifié mais qui demeure encore inexploité.
Ces ressources restent muettes (inactives), faute d’être suffisamment inventoriées, organisées, structurées, mobilisées et valorisées et d’absence de moyens et d’infrastructures propices à la création, à la production et à la diffusion des œuvres de ses acteurs culturels nationaux pourtant talentueux, très actifs et initiateurs.
Malheureusement, de tout temps, la culture n’a jamais été la priorité pour les politiques centrafricains.
L'existence d'un document-cadre de politique culturelle
Depuis les indépendances, c’est en 1973 que le Président de l’époque Jean-Bedel Bokassa met en place un Haut-Commissariat en charge des Arts et la Culture avec des directives de promotion du secteur. La mise en œuvre a permis la création de l’Ecole Nationale des Arts et plus tard la création par ordonnance du Bureau Centrafricain des Droits d’Auteur (BUCADA) en 2005 qui finalement n’a été qu’un mort-né.
L’examen minutieux de la situation du pays secteur par secteur suite à la crise qu’il a connu entre 2003 et 2005 a montré qu’il y a de multiples problèmes à résoudre et de nombreux défis à relever entre autres la question de la prise en compte de la dimension culturelle dans la politique globale de développement du pays.
C’est ainsi qu’on va assister à la mise en chantier d’un certain nombre de projets culturels, de la redéfinition du cadre juridique et institutionnel du secteur de la culture se traduisant par la promulgation de la Loi portant charte culturelle en République centrafricaine (2006), la tenue du Forum culturel centrafricain du 07 au 17 novembre 2006 ayant débouché sur l’élaboration des documents du cadre stratégique sectoriel dont « le Document d’orientation de la politique culturelle » défini dans son contexte en ces termes :
« La République Centrafricaine ne pouvant être en marge de ce courant mondial fait d’échanges et de dialogue interculturel dans la diversité, entend désormais à travers le présent document se doter d’une orientation de sa politique en matière culturelle ».
Des acteurs indiqués ont en effet participé à cette assise entre autres des responsables publics de la culture et des opérateurs culturels relevant de la société civile, individuels et associatifs, citadins et ruraux, qui s’inscrivent au cœur du processus actuel d’enracinement des stratégies de développement socio-économique durable sur la base des richesses, des réalisations et des potentialités culturelles nationales.
Ce forum s’est d’ailleurs tenu dans les conditions requises et suivant la méthodologie et processus proposés dans le « Guide pour la promulgation et l’évaluation des politiques culturelles nationales en Afrique » édité par l’Observatoire des Politiques Culturelles en Afrique (OCPA).
Dans la mise œuvre jusqu’à la tenue de l’assise nationale, le projet a bénéficié de l’appui technique et financier de l’UNESCO, l’Observatoire de la Politique Culturelle en Afrique (OCPA) ainsi que du Centre Régional de Recherche et de Documentation sur les Traditions Orales et pour le Développement des Langues Africaines (CERDOTOLA).
L’expertise reconnue de ces institutions internationales en la matière ont nettement aidé à l’élaboration d’un document fiable de 80 pages qui prend en compte toutes les considérations nécessaires et s’inscrit dans la perspective d’un développement durable.
Dans son contenu, de manière explicite, le document a abordé sous forme de défis les différentes composantes que sont l’environnement juridique, la recherche, la sauvegarde, la protection et la valorisation du patrimoine national (culturel, naturel et mixte, matériel et immatériel), la redynamisation de l’administration et de l’action culturelle, la promotion des équipements et infrastructures culturels à travers le pays, la promotion de la diversité culturelle dans la création et la diffusion artistique, le renforcement de la coopération culturelle, la recherche du financement croisé pour le développement de la culture… tout ce qu’il faut pour booster le chantier culturel centrafricain.
La mise en œuvre pose problème
Seulement, la procédure d’officialisation du document n’a pas été respectée du fait qu’à la suite de cette consultation nationale, les textes n’ont pas été soumis à l’adoption par l’Assemblée Nationale, la promulgation par le Chef de l’Etat et au bout du fil la transmission selon les procédures en vigueur à l’UNESCO.
Ce patinage a ouvert la voie à une navigation à vau-l’eau : la nomination par complaisance ou suivant les quotas de répartition politique de personnalités sans culture à la tête de ce département, des cadres véreux peu sinon mal formés constamment en guerre avec les artistes et opérateurs culturels privés et j’en passe, tout un paradoxe qui rend difficile et bien compliquée le développement du chantier culturel national.
Ignorance, incompétence ou absence de volonté manifeste? Voilà autant d’interrogations qu’on pourrait se poser. Heureusement, ceci ne change en rien la détermination des acteurs culturels nationaux qui se battent jour et nuit pour faire comprendre aux politiques la place de la culture dans le développement d’un pays comme la Centrafrique encore en proie à de crises internes qui fragilisent totalement l’économie nationale.
Pourtant la conclusion dudit document a précisé que : « La mise en œuvre efficiente et intégrale de cette politique culturelle résidera dans la détermination des autorités à mobiliser et à persuader les partenaires au développement autour de la culture ».
Cette absence ou simplement l’incapacité de transformer ces lignes en activités puis en chiffres faisant appel à des financements pour la mise en œuvre d’actions concrètes a totalement manqué aux ministres qui se sont succédés à la tête du département ainsi que les cadres concernés qui déjà ne maitrisent pas les mécanismes de validation des textes officiels.
Pour conséquences, le patrimoine culturel matériel et immatériel est abandonné à lui-même à l’exemple du Musée national en ruine depuis plusieurs années ; les artistes et créateurs croupissent dans la misère faute de paiement des droits d’auteur et droits voisins, de statut de l’artiste ; les opérateurs culturels et autres promoteurs sont sans protection juridique (la licence) et peinent à tenir des évènements digne ce nom car les subventions de l’Etat sont devenues une aubaine pour les cadres du département pire encore il n’existe pas de loi sur le sponsoring et le mécénat devant obliger les entreprises et autres partenaires sociaux à financer la Culture… tout ce qui précède constituent par ricochet un manque à gagner terrible pour l’Etat.
L’apport de la culture dans la recherche de solutions à la crise centrafricaine, l’intervention des artistes, les œuvres et autres productions artistiques ayant aidé à la conscientisation des populations sont autant d’indices qui devaient du moins interpeler l’attention des autorités à réfléchir au mieux sur la nécessité d’avoir une politique culturelle digne de ce nom applicable pour une contribution plus efficiente.
Il ne fait aucun doute aujourd’hui que la culture est et reste un levier important pour le développement, un puissant moyen de négociation sociale et de la recherche permanente de solutions aux problèmes qui ont divisé les Centrafricains pendant ces dures périodes de crises, dont les stigmates restent vivaces dans l’esprit de certains individus ou groupes sociaux et plus particulièrement des jeunes qui représentent plus de 60% de la population.
Comments
Log in or register to post comments