Chronique de film : Mali Blues
La musique est-elle autorisée par l’Islam ? Dans le nord du Mali, certains répondent « non ». Cette frange minoritaire a conquis assez de pouvoir et de terres pour imposer ses convictions en persécutant tous les musiciens. Mali Blues fait un zoom sur les douleurs, les craintes et les espoirs des chanteurs persécutés pour des raisons religieuses ou non.
Ahmed Ag Kaedi est une des victimes, une expédition punitive a fait irruption dans son domicile. Les haut-parleurs qu’Ahmed raccordait à ses guitares ont été brisés. Les guitares ont échappé à la destruction parce qu’elles se trouvaient avec Ahmed au moment où les extrémistes religieux ont pris d’assaut la maison familiale où logeait l’artiste.
Les parents d’Ahmed Ag Kaedi ont compris l’ampleur de la menace et transmis le message. Le chanteur a été obligé de fuir le nord du Mali pour éviter d’être tué lors de la prochaine visite des brigades anti-musiciens. Ahmed vit douloureusement son exil à Bamako. Les grands espaces et le désert manquent au chanteur touareg. Selon Ahmed, Bamako est une ville trop bruyante pour les personnes nées dans le désert où l’on peut vivre 20 jours seul. Ahmed Ag Kaedi ne parvient pas à comprendre que des extrémistes religieux soient prêts à tuer simplement à cause d’un concert où des hommes et des femmes dansent ensemble.
Comme pour faire un clin d’œil désapprobateur à ce refus de la mixité, c’est avec la chanteuse Fatoumata Diawara, qu’Ahmed Ag Kaedi déplore la violence et l’intolérance érigées en règle de vie au nord du Mali. Puis les deux artistes jouent à la guitare. Leur duo égrène des notes imbibées de tristesse et d’espoir : le Mali retrouvera son unité, les intolérants seront vaincus.
Ce sont des groupes d’intérêts obscurs et étrangers à l’Afrique qui entrainent et arment ces extrémistes accuse Cheick Chérif Ousmane Madani Haidara. Le guide religieux est formel, les occupants qui sèment la terreur dans le nord du Mali n’ont rien compris à l’Islam car cette religion n’interdit pas la musique. Mieux, l’Islam est une religion de paix. Pendant son sermon dans une mosquée protégée par des vigiles et des policiers, Cheick Chérif Ousmane Madani Haidara prie pour que Dieu guide tous les musulmans et musulmanes réunis dans le lieu de culte afin qu’ils pratiquent le vrai Islam, synonyme de paix.
« Je ne reconnais plus mon pays » lâche Bassekou Kouyaté. L’artiste issu d’une longue lignée de griots estime que ces artistes peuvent contribuer à calmer les troubles régnant au nord du Mali. « En tant que maîtres de la parole, les griots ont leur mot à dire » le gouvernement doit créer des espaces d’échanges pour que le peuple malien entende ces appels à l’apaisement et au retour à l’orthodoxie islamique qui s’oppose à l’intolérance.
« Ce gouvernement est trop occupé à se remplir les poches » dénonce Master Soumy. Le rappeur est catégorique : le chef de l’État malien a échangé le riz pouvant nourrir le peuple contre un avion présidentiel. Ce refrain d’une chanson scandé à tue-tête est une invitation à la prise de conscience et pourquoi pas, à l’élection de gouvernants plus soucieux des intérêts des 17 millions d’habitants du Mali.
Mali Blues est un documentaire musical dans lequel des musiciens parlent de leur art, de leurs blessures superficielles et secrètes. Côté art, Bassekou Kouyaté explique les origines maliennes du blues. Autre information : le Ngoni, la petite guitare traditionnelle malienne est l’ancêtre du banjo. Côté douleur, Fatoumata Diawara évoque son combat contre l’excision, une de ses douleurs secrètes mais profondes.
Mali Blues montre aussi le blues psychologique, la grosse dépression dont souffre le Mali, l’épuisement psychique d’un pays amputé d’une partie de sa liberté, de sa souveraineté. Pour soigner ce blues, ce vague à l’âme, rien de tel que la musique blues teintée d’influences locales. Les chants et danses ouvrent et ferment le documentaire de 90 minutes réalisé par Gregor Lutz.
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