Soul Bang's : « Je n'en reviens pas, j'ai collaboré avec Stevie Wonder ! »
Le stade Général Lassana Conté de Conakry (Guinée) avec ses 50 000 places, a été le théâtre le 1er octobre dernier, d'un événement mémorable : le concert des 10 ans de carrière du chanteur Soul Bang's !
Une décennie à produire des oeuvres de qualité, à glaner des distinctions et à briller à l'international, malgré un contexte local bien difficile, où la musique est encore loin d'être une priorité malgré un public qui répond toujours en masse comme ce fut le cas pour l’anniversaire du jeune chanteur guinéen. Dans cet entretien, Souleymane Bangoura aka Soul Bang's revient sur son parcours et ses réalisations les plus incroyables.
Une interview réalisée par Lamine BA et transcrite par Jean de Dieu Boukanga.
Bonjour Soul, tu viens de sortir un tout nouvel album titré Evolution 2, bien des années après le premier de la saga. Que représente cet opus pour toi ?
Bonjour Lamine ; oui le volume 2 d’Evolution paraît quasiment 10 ans après Evolution 1, qui avait été publié en 2012. Et juste à titre de rappel, le tout premier album de ma discographie (Dimedi) est sorti en 2011, année que je considère comme celle du lancement officiel de mes activités musicales.
Evolution 2 marque donc ma dixième année de carrière qu’on devait normalement célébrer l’an dernier ; mais la fête fut annulée en raison des troubles socio-politiques que traversait mon pays, la Guinée.
L’opus est disponible intégralement en ligne et j’ai décidé de l’associer à une action caritative que je mène avec mon épouse, à travers la fondation Soul Bang’s & Manamba Kanté. Nous avons identifié 200 enfants qui n’ont pas les moyens d’être scolarisés et qui ont besoin d’être soutenus.
En tant que fondation, notre rôle est de plaider auprès de institutions, mécènes et personnes de bonne volonté, pour qu’ils viennent en aide aux personnes défavorisées de nos communautés, mais nous devons nous aussi être les premiers à contribuer à cet élan caritatif.
C’est pour cela que j’ai décidé de sortir 200 CDs d’Evolution 2, qui sont en vente pour le prix de 400 euros (3 millions de Franc guinéen) chacun. Un disque acheté, permet de couvrir la scolarité annuelle d’un enfant, fournitures et prise en charge comprises.
Evolution 2 a été enregistré entre la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Sénégal et les États-Unis, et il est disponible en ce moment sur toutes les plateformes de streaming.
Je considère cet album comme un buffet bien varié, où chacun peut trouver la saveur qu’il recherche. C’est la suite logique du volume 1, et elle a été produite en intégrant des éléments liés aux préférences de mes fans.
Collaborer avec des compositeurs talentueux comme Decosther Junior Ogou, Jah Live ou encore Akatche sur ce projet, a été un énorme plaisir pour moi.
J’ai également travaillé avec d’autres artistes sur les tracks de l’album ; déjà ma tendre épouse Manamba Kanté sur le morceau « C’est nous deux » ; c’est la toute première fois qu’elle figure sur un des mes disques...
Aussi mon collègue congolais Innoss’B qui m'a fait le plaisir de poser sa voix sur « Gnohouzo », ainsi que la star malienne Sidiki Diabaté qui est intervenue sur le morceau « Dary », dont le clip a été récemment rendu disponible sur YouTube.
J’ai également collaboré avec des talents du rap guinéen, notamment le groupe Dépotoir, Straiker et Le Mélangeur, tous réunis sur une même chanson,« Khouï ». Cette collaboration était pour moi une façon de contribuer au développement de leurs carrières.
Avec Evolution, je voulais rappeler qu’il est important de soutenir les autres dans leur évolution, quand on a la chance d’être à un niveau un peu plus avancé. Beaucoup ont du talent et n’attendent que d’être mis en confiance et accompagnés.
Moi par exemple, pour cette production toujours, j’ai eu l’immense privilège de collaborer avec Stevie Wonder, ce qui est, il faut le dire, un véritable exploit !
Pour ce qui concerne les rythmes proposés, Evolution 2 brasse des influences variées ; on y retrouve déjà le rnb que j’ai toujours pratiqué, mais aussi ce style bien singulier que j’ai adopté et baptisé moi-même cosmobeats; il associe la musique mandingue à des sons urbains d’Afrique australe – une sorte d’amapiano mandingue.
Voilà l’essentiel de ce que je peux dire de mon album.
Ton opus est jonché de collaborations, notamment celui inattendu avec Stevie Wonder. Comment le contact s’est-il créé avec ce grand artiste ?
Je n'en reviens toujours pas, j’ai collaboré avec Stevie…
Tout a commencé après le décès de mon feu beau-père Mory Kanté ; nous étions alors à Paris (France) et un inconnu a appelé pour prendre des nouvelles de la famille.
Quelques jours après ce premier coup de fil, cet homme a rappelé une seconde fois, me demandant si c’était bien moi Soul Bang’s. Il connaissait mon beau-père et a affirmé que c’était un cadeau qu’il soit parti en nous laissant en contact.
Ce monsieur, « tonton Abdoulaye Soumaré », m’a révélé que c’est lui qui a produit le tout premier album de feu Mory Kanté et qu’il travaillait avec Stevie Wonder depuis 1980.
Nous sommes donc restés en contact et un jour, il m’a dit que Stevie voulait collaborer avec un artiste africain. J’ai envoyé mes chansons et la star américaine a validé mon profil.
Plus tard, j’ai écrit et proposé le morceau « I Keren » que tonton Abdoulaye a fortement apprécié ; il m’a dit que Stevie accepterait sûrement de collaborer sur celle-là.
Lors d'une de nos discussions téléphoniques, il a ajouté la star américaine en mode conférence, et j’ai été tout de suite frappé par son sens de l’humour ; il m’a demandé de me dépêcher de lui envoyer les stems de ma chanson – c’était tard dans la nuit.
Mon équipe et moi lui avons expédié le contenu dans les heures qui ont suivi et il nous a fait une incroyable démonstration de son professionnalisme. Dès mon réveil le matin, sa proposition était déjà entièrement prête, avec les lignes sur lesquelles il a joué.
C’est ainsi, grâce à tonton Abdoulaye, que cette collaboration a été possible.
Tu revendiques la paternité d’un style nouveau, le cosmobeats. Qu’est-ce qui le caractérise et jusqu'où comptes-tu le mener ?
Il faut déjà dire que ce n’est pas un style nouveau, il a toujours existé ! Moi, je l’ai juste codifié pour permettre qu’il soit davantage reconnu et accessible à tous.
En Guinée, nous avons une incroyable richesse culturelle, avec des influences variées du point vue musical, culinaire et même vestimentaire.
Nous avons 4 régions naturelles, avec leurs réalités bien différentes : la basse Guinée qui comprend Conakry, la capitale cosmopolite ; la moyenne Guinée qui a abrité une partie de l’ancien royaume du Fouta ; la haute Guinée proche du Mali, qui est un foyer des cultures mandingues ; et la Guinée forestière proche de la Côte d’Ivoire, avec elle aussi ses spécificités culturelles.
Le cosmobeats est un style large et souple qui met en lumière cette pluralité culturelle, en l'habillant dans un son pop contemporain. Vous le retrouvez sur « Faré Bombo M’bai », le morceau qui m’a mené à la victoire au Prix Découvertes RFI en 2016, mais aussi sur quelques pistes de mon nouveau disque Evolution 2.
Plus qu’un simple style de musique, le cosmobeats est surtout une voie ouverte aux artistes ouest-africains, pour leur permettre de s’exprimer sur une rythmique qui soit singulière et qui représente notre identité commune, selon que l’on soit de la Guinée, du Sénégal ou encore du Mali.
Dans Evolution 2, il y a également de l’amapiano, le célèbre son sud-africain qui gagne de plus en plus de terrain autour du globe. Était-il nécessaire pour toi d’en faire ?
Oui, tant qu’il y a un rythme africain en vogue, c’est toujours important de l’accompagner !
Faire de l'amapiano est une manière pour nous de dire aux concepteurs qu’on avec eux, qu’on les soutient et qu’on apprécie ce qu’ils font…
Dans Evolution 2, il y a également d’autres styles africains de ce genre, à l'instar de l’afrobeats.
Je ne me déclarerais certainement pas chanteur d’amapiano, mais j’avoue que j’apprécie beaucoup ce style et c’était un plaisir de le pratiquer pour mon opus.
La Guinée connaît ces derniers temps, un blocus du point de vue politique. Cela impacte-t-il ta musique et ta carrière ?
Ce n’est pas que moi, mais toute la scène guinéenne qui est pénalisée ! Pas tant par la situation politique actuelle, mais déjà par le fait que nos décideurs n’accordent jamais la moindre attention à notre art.
J’allais dire qu’ils ne s’intéressent que peu à la musique, mais ce serait même leur jeter des fleurs, puisqu’ils n’y pensent tout simplement pas…
Ils profitent pourtant de la musique quand ça les arrange ! Face à cela, je pense sincèrement que nous, artistes et acteurs de la filière, devons nous unir et former un bloc pour garantir notre propre sécurité. Personne ne viendra le faire à notre place.
Il règne une réelle injustice en Guinée ; notre condition n’est jamais considérée, sauf quand il faut citer des personnes qui portent valablement l'étendard de la nation.
Nous devons nous unir pour notre industrie et penser ensemble un modèle de développement, et peut-être viendront-ils derrière (les décideurs), comme des médecins après la mort…
Il est sidérant de savoir que dans notre région ouest-africaine, la Guinée a été le premier pays à avoir eu une maison de production et qu’aujourd’hui, elle est toujours à la traîne.
Nous sommes un pays de musique, qui a connu des orchestres comme Mea Jazz et des stars comme Mory Kanté.
Selon l’histoire qui nous a été contée, la Guinée est même un des rares pays dont le salaire des fonctionnaires dépendait à un moment, des revenus générés par la musique.
Si nos décideurs s’en souvenaient vraiment, ils auraient accompagné cet art et créé des conditions favorables à son développement. Hélas…
Notre secteur fait vraiment face à un blocus ; mais je ne suis pas assez fort pour le solutionner. Simple artiste que je suis, je ne peux que parler, dénoncer, proposer, mais c’est aux décideurs de faire avancer les choses – ils en ont tous les moyens.
Mais comme ils ne se préoccupent pas de notre condition, je redis mon désir de voir les artistes se réunir pour travailler ensemble au développement du secteur.
En plus de ta carrière d’artiste Soul Bang’s, tu tiens un label avec ton épouse. Voudrais-tu nous en parler ?
Être un artiste encore en développement et tenir un label pour gérer d’autres carrières, ce n’est vraiment pas aisé !
Je gère effectivement cette structure depuis mes débuts ; elle compte 10 années d’existence comme ma carrière.
Nous avons travaillé avec beaucoup d’artistes, mais en ce moment, nous avons décidé de nous concentrer exclusivement sur les carrières de mon épouse et moi.
Il faut beaucoup trop de moyens pour développer des artistes et les investissements sont souvent risqués. Quand tu te gères ton épouse ou ta propre carrière, et que les choses se passent mal, c’est facile de se parler et de comprendre la situation. Mais quand c’est avec d’autres personnes, tu perds de ton argent et tu dois tout le temps te justifier, au risque d’être souvent incompris.
Pour dire les choses en toute vérité, certains artistes que j’ai gérés au sein du label par le passé me doivent toujours de l’argent, mais j’ai dépassé cela, parce qu’à l’origine, je n’avais pas créé cette structure pour me faire du profit sur les talents, mais seulement les mettre en lumière et leur permettre d’avancer.
Pour le moment, nous sommes focus sur mon épouse et moi, pour atteindre de nouveaux paliers dans nos carrières.
Soul Bang's, as-tu un dernier mot pour boucler cette interview ?
Juste rappeler que mon épouse Manamba Kanté prépare elle aussi un nouvel album, et j’invite notre public à se préparer à accueillir cette production.
J’appelle aussi les mécènes et institutions versées dans les actions sociales, à penser à la fondation Soul Bang’s et Manamba qui cherche en ce moment à scolariser 200 enfants.
Ce serait bien de nous aider pour cela et pourquoi pas se joindre à nous dans cette aventure, pour l’année prochaine, scolariser 10 fois plus d’enfants encore…
Merci !
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