5 questions à Sofiane Saidi, le prince du raï 2.0
Le raï est le genre musical algérien le plus médiatisé á l’échelle internationale, il a été inscrit sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO en 2022. A cette occasion, Music in Africa vous propose une interview avec le chanteur et producteur Sofiane Saidi, une des icônes contemporaines du raï au parcours atypique. Celui qu’on surnomme le Prince du raï 2.0 .
Le raï consacré Musique de l’humanité, depuis quelques mois, quel est ton ressenti ?
A mon sens, le raï était déjà consacré. L’adhésion qui l’a suscité en Algérie, depuis sa création, le moment où il est devenu un style musical á part entière (et s’est détaché du bédoui), c’est á dire, depuis les années 70’ avec l’introduction d’instruments modernes par Zergui, Lotfi Atar et d’autres. Bien que les détenteurs et détentrices de ce genre ont été dénigrés, jugés á cause du caractère sulfureux du raï, il explose dans les années 80’, notamment, en France où la diaspora crée une médiation nord-sud. En 1986, il a son premier festival á Bobigny. Il s’épanouit également á Lyon qui devient une plaque tournante du raï. Cette « validation » vient aussi, après que les artistes évoluant dans d’autres registres s’y intéressent comme Safy Boutela et Rachid Taha pour ne citer qu’eux.
Quelles seraient les retombées directes d’une telle démarche ?
Le classement en soit reste chose positive, et traduit la volonté d’archiver, de répertorier et de transmettre ce patrimoine immatériel, mais ce qu’il faut faire, á mon sens, est de mettre l'artiste au cœur de cette dynamique. Il y a, notamment, la question des droits d'auteurs qui est omnipotente face á ce big no mans land juridique concernant le statut de l’artiste et la propriété intellectuelle en Algérie, il faut agir vite.
Bref, il appartient, désormais, á l’Humanité.
Parle-nous de tes débuts...
C’est avec l’influence des nouvelles techs des années 90’, je me mets á faire de la musique, d’abord, á la maison puis á l’école, á Sidi Bel Abbes, ma ville natale, l’un des fiefs du raï. Mais c’est en France que ma carrière débute réellement. Avec la diaspora algérienne, nous créons un micro climat à Paris, et j’ai vite compris que le melting pot de la capitale allait enrichir ma musique, j’y ai découvre le new waves, les rave parties, la vie underground parisienne, Bowie etc.
Je fus et je demeure une éponge, toujours á l’affut. C’est ma façon de m’intégrer et m’adapter. De la rencontre avec Naab, Jungle Tripop né une mixtape puis l’album Salam alikum (Universal, 1998). J’enchaine : la Norvège, l’Angleterre et puis, de retour en France, un des fondateurs de Radio Nova me contacte, je collabore avec TransGlobal Underground, ou encore Natacha Atlas. Mon passage à Bristol me marqua aussi beaucoup, j’y découvre Massive attaque en concert et j’ai comme une révélation. Le raï devient ma signature que je cherche á combiner avec d’autres musiques du monde.
Le raï, une industrie en devenir….
L'industrie du raï peine, á l'instar de toutes les musiques, á se développer en Algérie. Malgré son potentiel, elle reste une friche et ses détenteurs évoluent souvent dans l’informel. Personnellement, je trouve que ceux qui essaient de faire bouger les choses en Algérie sont très courageux. Je suis très admiratif face á leurs résilience face á un climat anxiogène.
Je suis de la génération, de « l’Entre deux » et témoin de l’évolution du genre, ces vingt dernières années. Aujourd'hui, je constate que pas seulement en Afrique du nord mais dans l'Afrique de manière générale, l’approche de la consommation de la musique change, mute et évolue, notamment avec la numérisation. L’exemple du chanteur nigérian 1da Banton, avec son Ep No Wahala est édifiant.
Je suis de plus en plus sollicité pour travailler sur des musiques de films, alors qu'avant, le rock avait la part du lion. J’ai composé la musique du long métrage Omar la Fraise, en sélection officielle á Cannes 2023. Le raï a le vent en poupe, il y’a un côté sulfureux sauce Tarantino autour du raï. Son groove est sincère, et les réseaux exacerbent le phénomène.
Ton nouvel l’album Mademoiselle co-signé Rodolphe Burger et Mehdi Haddad sorti en mars dernier se veut la rencontre du raï et du blues. Le titre « 504 » ou encore « One, two, three » nous propulsent dans un raï à la fois organique et intemporel, parles nous un peu de Mademoiselle et de tes projets futurs…
L’idée a pris forme après plusieurs échanges et discussions nocturnes avec mon ami Mehdi Haddad, le maitre du oud électrique qui es, á mon sens, l’un des meilleurs oudiste au monde.
Mehdi trempe dans le rock et nous avions abordé la proximité historique et sociologique qui rapproche le blues au raï. Tout comme le blues, le proto raï est né dans la servitude, l’un dans les champs des esclavagistes blancs américains, l’autre des colons français.
Le projet prend forme et se précise après ma résidence raï-blues Belek Belek, où j’ai réuni les artiste raï Cheb Abdou, Cheikha Hadjla et Tipo á Banlieue Bleue, le mythique festival parisien de Seine Saint Denis. Je contacte alors Rodolphe Burger, l’un des rockers français les plus adulé, qui accepte illico et nous convie á enregistré chez lui en Alsace.
Avec Mademoiselle, je propose un raï nostalgique, organique (comme tu l’as dit), après avoir tenté quelque chose de lisse, nous repartons sur des pistes plus patinées. Chaque piste est un monde en soi. On a dédié une à Jimmy Hendrix avec la reprise de « Hey baby ».
Pour mes projets présents et à venir, j’ai un album solo en préparation, il reste latent, il murit mais je t’avoue que travailler sur les musiques de film m’intéresse de plus en plus. C’est un exercice qui pousse l’artiste à se délester de son ego, il accompagne l’action, l’émotion et reste au service de la narration. Je collabore sur le prochain film de la réalisatrice algérienne Sofia Djama. Après 30 ans d’absence, j’aspire á travailler de plus en plus en Algérie.
A la mémoire de Hadj Meliani…..
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