Soutenir les rêves en exil : rencontre avec Imed Alibi, percussionniste et opérateur culturel engagé
Plongez dans cette conversation captivante avec Imed Alibi, percussionniste et opérateur culturel tunisien de renommée internationale, qui partage avec passion, son engagement pour la cause des artistes en exil au travers de l'Atelier des Artistes en exil. Fort d'une carrière musicale exceptionnelle et d'une expérience riche en tant que conseiller et directeur artistique, en parallèle à sa carrière, il dédie son énergie à soutenir les créateurs persécutés et forcés de quitter leur pays d'origine. À la tête du pôle musique de l'Atelier des Artistes en exil à Paris (France) depuis peu, il nous dévoile en détail les actions menées par cette association dévouée, qui accompagne ces talents dans leur intégration sociale, leur démarches juridiques, leur épanouissement artistique et leur développement professionnel en France.
De l'établissement d'un espace de réseautage entre artistes réfugiés et locaux, à la réalisation du festival Vision d'Exil, en passant par des partenariats stimulants avec des institutions culturelles, Imed et ses collègues s'activent pour offrir aux artistes en exil la chance de réaliser leurs aspirations, en dépit des nombreux obstacles qui jalonnent leur parcours. Cette interview éclairante nous offre un aperçu inspirant du pouvoir de la musique et de la culture pour créer un monde plus uni et inclusif, où les rêves artistiques transcendent les frontières et les épreuves.
Bonjour Imed, voudrais-tu te présenter à nos lecteurs ?
Bonjour et bienvenue Lamine. Je suis Imed Alibi, musicien et compositeur avant tout ! Mais parallèlement à ma carrière musicale, j’ai eu plusieurs fonctions en tant que conseiller musical et directeur artistique, notamment avec le +SiLO+, coopérative pour les musiques traditionnelles en Occitanie en France ; pendant 5 ans j’étais artiste associé.
J’ai également été directeur artistique des Journées Musicales de Carthage en Tunisie, directeur artistique du Festival de Carthage, j’ai aussi été directeur du Festival des percussions du Monde à Sousse (Tunisie).
J’ai été membre du jury pour plusieurs programmes de musique et conseiller pour des organisations comme Visa For Music, Music in Africa, l’Institut Français et bien d’autres.
Je fais également dans ce que l’on appelle la « culture humanitaire » ; j’ai travaillé avec des refugiés dans des camps de plusieurs pays et cela me tient beaucoup à cœur.
Plus récemment, j’ai été nommé responsable du pôle musique à l’Atelier des Artistes en exil à Paris (France).
Justement, qu’est-ce que l’Atelier des Artistes en exil ?
Il s’agit précisément d’une association qui s’occupe d’artistes émanant d’univers différents, mais bien souvent de zones de conflit.
L’organisation reçoit aussi des créateurs persécutés partout à travers le monde, pour leurs appartenances ethniques, religieuses ou leurs orientations sexuelles.
L'Atelier accompagne 600 artistes, dont 200 dans le pôle musique. Mais il y a aussi des créateurs dans d’autres catégories comme l’art plastique ou les arts vivants en général.
Nous les accompagnons sur le volet social et juridique, car ils viennent souvent en France sans papiers et il faut les aider à obtenir légalement leurs cartes de séjour, droits d’asile, etc.
L’autre volet de l’accompagnement concerne leur insertion sur la scène locale et pour ce qui concerne la musique, c’est moi qui joue ce rôle. Nous organisons des ateliers d’initiation aux droits d’auteurs avec la Sacem, des formations sur la question de l’intermittence du spectacle pour leur permettre de mieux comprendre le système français et nous assurons leur mise en relation avec des professionnels locaux, que ce soit des salles de spectacle ou des labels. Nous leur ouvrons aussi nos locaux, qui sont dédiés à l’enregistrement des maquettes.
Nous organisons également un festival dénommé Vision d’Exil, avec une édition 2023 qui va se tenir du 28 octobre au 12 novembre prochain à Paris et à Marseille (France).
Par ailleurs, nous travaillons avec d’autres événements comme la Gaieté Lyrique et nous proposons la programmation de nos artistes qui viennent du monde entier.
Il y a également des événements que nous organisons dans la cour même de l’association ; ce sont des showcases (Party en exil) qui attirent du monde et servent à présenter davantage ces créateurs.
Comment favorisez-vous la collaboration entre les artistes refugiés et ceux de la France ?
Une des activités essentielles de l’atelier et du pôle musique, c’est la création d’un espace de networking pour réunir des artistes qui migrent en France et leurs collègues d’ici, qu’ils soient des nationaux ou des artistes de la diaspora bien installés.
Nous tentons d’inscrire nos artistes dans des programmes de résidence, notamment le Babel Med où on a d’ailleurs déposés des candidatures. On va aussi travailler avec Villes et Musiques du Monde pour une soirée. Il y a par exemple un artiste qui s’appelle Obi, assez connu au Nigeria et qui est à Lyon (France) et un groupe de rumba congolais que nous avons programmé pour un spectacle le 1er novembre.
Tous ces échanges permettent à nos artistes de mieux connaître l’écosystème français et de rencontrer des agents artistiques, directeurs de labels et des collègues pour d’éventuelles collaborations.
Comment sélectionnez-vous les artistes qui rejoignent l’Atelier ?
Ma collègue Judith Depaule, directrice de l’atelier, peut mieux répondre à cette question, mais en tant que responsable du pôle musique, mon rôle c’est surtout de connaître le background et l’histoire des artistes qui viennent, parce que ce sont souvent des créateurs confirmés dans leurs pays d’origine.
L’idée est d’essayer de découvrir au mieux leurs profils, qu’ils soient de l’Ukraine, de la Russie, de l’Afghanistan ou d'ailleurs. C'est cette enquête qui nous permet de définir le type d’accompagnement le mieux adapté à la personne que l'on a en face.
Certains d’entre eux sont des artistes vraiment établis et ils n’ont besoin que de mise en relations, d’autres sont à un niveau intermédiaire et il leur faut ce qu’on appelle du coaching, à travers des ateliers ou des masterclass.
Dernièrement, nous avons par exemple invité un trompettiste de jazz, pour travailler avec eux sur la composition et cela est très important.
Le processus de sélection est assez complexe et nous faisons des réunions en interne pour garder une cohérence dans nos choix, en tenant compte des différents profils des demandeurs.
L'Atelier des Artistes en exil est une véritable chance, dans notre monde où les conflits sont nombreux. On parle tout le temps de la mobilité des artistes et la question est encore plus délicate pour ceux qui doivent partir de chez eux pour fuir des tensions et garantir leur survie. Il fallait vraiment un organisme comme celui-là pour les accueillir et leur donner de continuer à rêver malgré tout.
Comment l’Atelier assure-t-il le développement artistique et professionnel des créateurs qu’il accueille ?
C’est une question bien globale qui concerne vraiment tous les pôles et il m’est difficile de répondre pour le pôle musique uniquement.
Mais en gros, nous multiplions les actions à la faveur de leur renforcement de capacités. Nous travaillons par exemple avec le Collège de France pour un programme de résidence de 6 mois, qui permet à quelques-uns de se développer tant sur le point de vue artistique que professionnel.
Nous collaborons également avec d’autres institutions culturelles comme l’École des Beaux-Arts pour cela. Nous les aidons à se développer hors de l’Atelier grâce à ces partenariats et cela est un schéma que je trouve intéressant.
Quels sont vos objectifs à long terme ?
Notre objectif est que les artistes deviennent indépendants. Nous leur offrons un accompagnement et cela est structurant, mais je ne pense pas que l’atelier ait les capacités financières et budgétaires pour toujours être là pour eux.
Il y a de plus en plus d’artistes qui arrivent avec les nombreux conflits qui naissent autour du globe, mais les moyens sont limités et les subventions baissent. Nous devons être réalistes et prendre en compte toutes ces réalités dans notre manière d’accompagner les créateurs en exil.
Pourrais-tu nous rappeler les événements de soutien aux artistes de l’Atelier, qu’il ne faudra pas manquer cette année ?
Le 30 septembre on aura une « party en exil » dans nos locaux, et il y aura aussi le festival Vision d’Exil, prévu du 28 octobre au 12 novembre prochain à Paris et Marseille.
Comment le grand public peut-il soutenir le travail de l’atelier ?
Beaucoup de gens viennent souvent visiter l’atelier par curiosité pour ce que son nom évoque et pour découvrir la multiculturalité qui y règne. C’est déjà une bonne chose.
Il faut que les gens viennent davantage, qu’ils comprennent ce qui se passe, qu’ils découvrent ces artistes, consomment leurs œuvres et si possible, qu’ils fassent des dons pour l’atelier.
Interview réalisée avec l'aide de Mory Touré, fondateur de Radio Afrika
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