Le Programme pour le Développement de la Musique Africaine met en réseau les universités de l’Afrique de l’Est
Le Programme pour le Développement de la Musique Africaine (African Music Development Programme-AMDP) est un projet de trois ans soutenu par le Conseil International de la Musique (IMC), pour favoriser la mise en réseau et renforcer l'infrastructure de l'industrie musicale africaine. Depuis janvier 2014, l'IMC, un réseau d'organisations et d'institutions musicales, travaille avec 11 partenaires dont des festivals de musique et d'arts, ainsi que des institutions musicales dans 13 pays.
Deux instituts de formation musicale en Afrique de l'Est ont bénéficié de ce projet. Il s’agit du département de musique, de danse et de théâtre de l'Université de Makerere en Ouganda, ainsi que de l'école des arts et technologies créatives de l'Université Technique du Kenya (TUK). Des étudiants en musique issus de ces deux institutions ont été sélectionnés pour des échanges et des stages dans les meilleurs festivals africains de musique. Les étudiants ont eu l'opportunité de développer et d'élargir leurs compétences en gestion d'événements, grâce à un stage de deux mois dans les principaux festivals de musique de 2015.
Deux groupes de dix étudiants de TUK se sont rendus à l'Université de Makerere pour une durée d’un mois entre juin à juillet. Le même nombre d'étudiants de l'Université Makerere est également allé à TUK de juillet à août 2015.
L'objectif de ces échanges était d'améliorer la qualité de la formation professionnelle en musique et d'accroître le dialogue entre les différentes cultures musicales. Un autre échange d'étudiants entre les deux institutions a eu lieu en mai 2016. Les étudiants ont acquis une expérience pratique de l'organisation et de la gestion de festival.
Nicholas Ssempijja, professeur de musique à l'Université de Makerere, qui abrite le plus grand département de musique en Ouganda, décrit le projet comme un grand succès.
« AMDP a exposé les étudiants à des expériences de terrain et ceci a élargi leurs connaissances à un niveau continental » a-t-il déclaré.
Emily Akuno, professeur de musique à TUK, était secrétaire générale de l'IMC au début du projet. « Nous recherchons des étudiants qui seront les ambassadeurs de l'institution, qui vont bénéficier de cette expérience mais qui ont aussi quelque chose à offrir en retour », a déclaré Akuno, qui a été élue première femme présidente de l’IMC en juin 2017. Ceci dit, Le processus de sélection des étudiants n’a pas été facile.
Des étudiants kenyans, comme la célèbre chanteuse d'opéra Maryolive Mungai, ont pu approfondir leur connaissance de la musique traditionnelle grâce à leur stage à Makerere.
« Nous enseignons les principes occidentaux de la musique et les styles musicaux africains », a déclaré Ssempijja. « La musique africaine risque de mourir si nous ne l'enseignons pas dans nos universités ».
Les étudiants kenyans ont été initiés à la musique traditionnelle ougandaise, à la musique populaire et les danses traditionnelles comme le kisimba et le mwanga.
« Même quand les Ougandais jouent du jazz contemporain, c'est basé sur leur musique traditionnelle », a déclaré le saxophoniste Simon Kariuki. Cet étudiant de musique à TUK en 2015, s'est rendu pour un mois à Makerere la même année.
Il a également participé à plusieurs concerts avec d'autres étudiants à Kampala (Ouganda).
Les étudiants de Makerere ont eux-mêmes pu découvrir la diversité de la musique traditionnelle et contemporaine kenyane lors du festival national de musique du Kenya, dans la ville de Kisumu, en 2015. C’était la première fois en plus de 80 ans, que le festival se tienne hors de Nairobi. « Ils ont pu voir le spectacle d'un point de vue différent, en particulier du point de vue de la production » a déclaré Akuno.
Ssempijja a déclaré que ses étudiants qui ont participé au projet, ont été en mesure de mettre en pratique les connaissances qu'ils ont acquises.
Aloysius Migadde, par exemple, qui était stagiaire au festival Lake of Stars au Malawi, est aujourd'hui l'un des guitaristes les plus en vue en Ouganda, il joue avec les meilleurs groupes du pays. Beaucoup d'autres étudiants ont pu repousser les limites de la musique qui leur est familière, notamment grâce à l'improvisation. Par exemple, Japheth Owuor Blasto de TUK a pu expérimenter une combinaison entre l'orutu, un instrument à cordes traditionnel de l'ouest du Kenya, et la performance de groupe. Carlos Mwangi, qui a participé au festival Sauti Za Busara à Zanzibar, a introduit le saxophone dans la musique traditionnelle taarab.
Michelle Bisonga du Kenya, stagiaire au festival Le Kolatier au Cameroun, postait régulièrement des vidéos filmées à l’aide de sa caméra. Elle est rapidement devenue une sensation YouTube avec ses vidéos de reprises (covers) de veilles chansons Kényanes, sur des airs de tubes d’aujourd’hui.
Edmund Obila, qui a passé deux mois en 2016 avec l'équipe de Shoko Festival, le plus grand rassemblement culturel du Zimbabwe, a été assigné à la Conference Hub. Il a travaillé avec divers groupes de jeunes zimbabwéens dans la préparation de leurs profils et la commercialisation de leurs événements lors de la conférence, qui se déroule parallèlement au festival.
« J'ai acquis des compétences utiles, comme la création d'un site web et l'utilisation d'outils tels que les médias sociaux pour promouvoir ma musique », a-t-il déclaré. « Académiquement, j'ai acquis de l'expérience lors de la préparation de mon projet qui était une critique de la musique kenyane contemporaine. »
Pour Obila qui vient d'obtenir son diplôme avec les honneurs du département de musique de TUK, le fait d’interagir avec des artistes du monde entier lors du festival, a l'aidé à donner une nouvelle orientation à sa propre carrière. Lui, qui joue du saxophone et du piano, a partagé les idées et les expériences acquises, notamment sur les sons à incorporer dans sa musique pour conquérir un public international, avec ses collègues du groupe HybridSounds. Pendant son séjour au Zimbabwe, Obila a trouvé diverses occasions de jouer au saxophone, notamment tous les dimanches, avec des musiciens de jazz à Harare. Il a également appris à jouer du mbira (piano à pouce) et, en retour, a présenté les musiciens avec lesquels il jouait à sa communauté, la Luhya de l'ouest du Kenya.
Réfléchissant sur l'impact du projet AMDP, Akuno dit que l'initiative a offert une formation aux étudiants en musique, en leur conférant des compétences appropriées. Elle a ajouté que la mise en réseau entre les étudiants et les musiciens de différents pays africains était également un des avantages majeurs du programme.
Grâce au projet, la bibliothèque du département de musique de TUK a été équipée du matériel de sonorisation, des ordinateurs et de 57 ouvrages sur la musique. Le programme de musique à TUK a été développé en 2011 et a démarré un an plus tard. Les étudiants ayant une expérience antérieure dans l'industrie de la musique peuvent s'inscrire pour des études, allant du certificat au troisième cycle.
Cependant, Akuno reconnait que les festivals ne sont pas conçus pour accueillir des stagiaires et que c’est un challenge pour les organisateurs d'événements de leur accorder l'attention nécessaire. « Les festivals ont des ressources et du temps limités. Cela n’est donc pas facile de s’occuper correctement des stagiaires ».
Ssempijja renforce cette analyse en partageant sa propre expérience au Lake of Stars au Malawi. « Les organisateurs du festival ne savaient pas trop quoi faire avec les étudiants, alors j'ai passé beaucoup de temps au début à leur expliquer le but de ce projet », a-t-il déclaré.
Akuno pense qu'à l'avenir de tels défis pourraient être relevés par un atelier pour tous les partenaires afin d'élaborer un plan de travail, de gérer les attentes et d'améliorer le niveau de préparation.
Mais comment assurer la durabilité des acquis de ce projet ? L'Université Makerere et TUK pensent intégrer les activités du projet dans leurs cursus académiques. TUK a par exemple ciblé des stages afin que ses étudiants puissent acquérir une expérience professionnelle, auprès de divers praticiens de l'industrie musicale - des producteurs et ingénieurs aux organisateurs d'événements et aux spécialistes du marketing.
Sans aucun doute, ce projet a offert des opportunités et des leçons inestimables pour combler le fossé entre la formation professionnelle et l'industrie de la musique.
Cet article a été publié en partenariat avec le programme African Music Development
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