Les traditions musicales du Sénégal (suite)
Le patrimoine musical du Sénégal représente l’ensemble des formes musicales de genre traditionnel, moderne, profane et religieux qui, à travers un traitement vocal et/ou instrumental, reflète des sonorités retrouvées dans son espace géoculturel.
De par ses caractéristiques, ce patrimoine comporte une totalité de musiques d’essence traditionnelle et nettement marquée par l’oralité, la relation avec la danse, la production en situations sociales et les usages musicaux, communicationnels et musicothérapiques des supports sonores.
Qu’en est-il de l’usage fonctionnel de ces musiques ?
Fonctions profane et sacrée
Les ethnies accordent diverses fonctions à la musique qui, dans ses formes vocales et/ou instrumentales, demeure rattachée à son contexte de gestation. Dans sa pratique ancienne, il ne semble pas sûr que la musique traditionnelle ethnique au Sénégal ait accordée ne serait ce une structure sonore répondant à une exigence exclusivement esthétique, comme défini dans le concept de l’art pour l’art.
Même dans les groupes ethniques wolof, mandingue, sérère et toucouleur, où la pratique musicale par le statut social des griots est professionnalisant, l’opus de par son contenu, reflète le cadre de vie et devient une création commune. Le griot partage la paternité de sa composition avec l’ensemble de la société, du fait d’une interaction consanguine entre l’œuvre musicale prise d’un côté et son contenu vocal ou instrumental d’un autre, qui est socialement suggestif.
L’impromptu du joueur de xalam wolof ou de flûte peulh, la comptine douce et mélancolique du jeune bedik, chargé de surveiller la future moisson champêtre comme le chant rituel des prêtresses lebou, constituent diverses formes du patrimoine musical ayant une fonction plurielle dans la société, mais que l’on peut présenter en deux grandes catégories: la musique profane et celle sacrée.
La musique profane est celle qui ne reflète pas un contenu religieux, elle est en général exécutée par tous, d’une manière individuelle ou en groupes plus ou moins grand, selon des situations et circonstances données.
Dans les pratiques anciennes dont certaines survivent encore de nos jours selon les ethnies, les fonctions de la musique profane sont liées à :
des événements festifs (naissance, baptême, mariage, fin de circoncision et autres cérémonies initiatiques etc.) ; de simples réjouissances populaires (exemple des associations culturelles féminines) ; des situations professionnelles à l’exemple des travaux champêtres, de la pêche, aux métiers liés au fer etc. En général dans ces derniers cas, le répertoire reste l’apanage de la corporation ; des situations particulières comme les berceuses pour les mères et les comptines, rondes et autres jeux chantés pour les enfants.
Quant à la musique sacrée, elle est l’expression sonore de manifestations rituelles. Elle se distingue surtout de la musique profane par le fait qu’il n’est pas accordé à tous de l’exécuter. Les interprètes de la musique sacrée sont d’obédience religieuse traditionaliste. Il peut s’agir, à travers le ndoep wolof et lebou et leurs variantes étudiées par A. Zempleni et G. Rouget[1], d’officiantes entourées musicalement par des percussionnistes et des chanteurs ; le tout suivant un cérémonial chorégraphique particulier, cohabitant avec le surnaturel et l’invisible.
C’est une expression musicale répondant au même esprit, que l’on retrouve suivant des variantes organisationnelles, dans la musique rituelle des autres ethnies à l’exemple des veillées funèbres et luttes traditionnelles sereres, des cérémonies d’initiation en pays diola ou plus proches d’eux encore, des chants de prêtres traditionalistes mandjak dans la pratique du boekinab.
Contrairement à la musique profane qui garde d’une certaine manière, selon qu’elle soit exécutée en milieu rural ou urbain, une permanence, celle sacrée dans sa pratique liée au fait religieux traditionnel, perd au fur et à mesure son répertoire.
Association avec la danse
La danse représente dans les musiques traditionnelles du Sénégal, l’une des caractéristiques les plus remarquables ; elle est omniprésente dans toutes les expressions musicales ethniques. Certaines formes de musique, pas tout à fait rythmiques, à l’image des équivalents d’anciennes pièces instrumentales des cours royales wolofs joués au xalam ou encore des chants gymniques sereres (mélodies vocales sans support rythmique) insufflent, aussi bien aux interprètes qu’aux auditeurs, une danse particulière sinon une gestuelle étroite aux sonorités entendues.
Au-delà de l’ubiquité des instruments essentiellement rythmiques comme les percussions, il y’a un lien étroit entre la particularité orale de la musique et l’expression corporelle qui explique cette caractéristique. L’instauration institutionnelle au début de l’indépendance, des ballets lyriques traditionnels, reflète la prise en compte de l’omniprésence de la danse dans la musique traditionnelle de chaque ethnie.
A les observer de près, la danse et la musique en des situations ethniques multiples, ne se constituent pas en entités autonomes et additionnées afin de résulter une convenance. L’on ne doit pas remarquer une frontière entre les deux expressions puisque leur rapport dépasse une simple relation, pour atteindre un degré de liaison ou l’une ne peut exister sans l’autre. Ce qui a fait penser à Schaeffner que « la musique a très bien pu demander à l’homme de devenir par la danse un de ses instruments […] le plus fascinant par son jeu concret et libre[2] ».
La deuxième raison, tantôt évoquée, quant à l’explication de la danse comme caractère remarquable du patrimoine musical du Sénégal, est l’omniprésence du rythme à travers deux principales observations :
Le nombre considérable des instruments essentiellement rythmiques : de par leur nombre, les instruments essentiellement rythmiques dépassent ceux des autres familles. Dans leurs formes les plus rudimentaires, comme les cannes à sonnailles mandjak ou encore plus élaborées à l’image du tambour d’aisselle wolof, les percussions constituent les symboles musicaux de la danse chez toutes les ethnies. Dans la musique spécifique à chaque groupe, on retrouve un nombre représentatif de percussions dont l’exécution est intimement liée à la danse comme le buger chez les diolas, le bak des sereres ou encore le sowruba mandingue.
L’identique dénomination des danses et rythmes : constat que l’on retrouve aisément aussi dans d’autres musiques, le rapport nominal entre la musique et la danse au Sénégal est si étroit qu’il ne semble pas exister d’après les recherches faites jusqu’ici, de danse sans homonymie avec un rythme musical . Le mbalax des wolofs désigne aussi bien la danse elle-même que les combinaisons de figures rythmiques (polyrythmie), exécutées par les percussionnistes. Le transfert du terme dans la musique moderne lui donne très souvent un contenu sémantique lié à la danse.
Au même titre que le mbalax, il est illustratif de mentionner d’autres danses ethniques s’associant par leur nom, à des musiques (rythmes) spécifiques telles que le yela des toucouleurs, le wolossodong mandingue ou encore le gumbe.
Matériels et éléments sonores
On retrouve divers types d’instruments de musique et de communication[3] en usage dans les différentes ethnies. Auprès de chaque groupe, il est noté une variété de supports sonores et ceci pour chaque famille instrumentale.
Membranophones et idiophones
De par leur nombre, les membranophones et les idiophones sont les plus représentés dans les productions musicales. L’omniprésence de l’élément rythmique tantôt démontré dans l’association de la musique à la danse en est sûrement une explication.
Cette remarque, liant le son au geste corporel, a toujours été faite par les observateurs avertis de la chose musicale en Afrique. Dans les récoltes faites en 1933 par la mission « Dakar-Djibouti » figurent 200 enregistrements audio, dont plus de la moitié constituent des représentations sonores de scènes dans lesquelles se mêlent musiques et danses.
Les instruments utilisés dans de pareilles circonstances, le plus souvent festives, sont en général d’essence rythmique comme les membranophones et les idiophones. Au Sénégal, les membranophones sont fréquemment regroupés pour un jeu d’ensemble et avec un nom collectif donnant sens à la danse exécutée.
Le sabar est le nom collectif des tambours wolofs, constitués selon la circonstance musicale du sabar ou njol sabar, du ngorong mbalass, du ngorong yegue, du mbalass, du lamb etc.
Ce jeu d’ensemble des membranophones est aussi présent chez les mandingues et les diolas qui leur accordent comme nom collectif respectivement le sowruba et le bugarabu. Toutefois, le jeu en solo des membranophones n’est pas exclu et les exemples actuels les plus remarquables sont ceux du djembe et du tama (tambour d’aisselle wolof avec fibres de tension) et du tabala (grand tambour maure percuté avec une paire de baguettes).
Parmi les idiophones, les balafons balante et mandingue sont les plus populaires ; leur similitude physique proche du principe de jeu du xylophone a probablement contribué à cette popularité.
On trouve aussi d’autres types d’idiophones au jeu, au timbre, mais surtout à la texture particulière comme le paly yela et les gumbali (paire de calebasses longues directement percutées au sol), le kabombolon (tambour de messagerie et à fente des diola, balante et mandjack) ou encore le gamb (simple calebasse retourné dans une bassine d’eau, en usage chez les sérères) ainsi qu’une variété de racles et sistres d’usage peulh.
Aérophones
C’est d’ailleurs dans les manifestations musicales des peulhs que l’on retrouve la flûte, instrument le plus usité des aérophones. Une variété de sifflets allant du pepit mandjak à l’itiropi des Bassari reste d’usage. Cependant, au sein de cette même ethnie, un aérophone comme l’andioré (flûte de bambou conçu souvent avec une anche vibrante) tend à disparaître des manifestations musicales du fait de la méconnaissance graduelle de sa facture par les nouvelles générations.
Le simboro, flûte traversière des peulhs du sud (dénommé tokhobal au nord ouest), est particulièrement l’aérophone le plus usité au sein des ensembles traditionnels. En plus d’un timbre adéquat aux mélodies, il offre plusieurs effets de sons, suivant des techniques d’embouchure adoptées par l’instrumentiste.
Cordophones
La kora, cordophone d’origine mandingue, constitue avec le sabar, le balafon et le djembe les instruments du patrimoine musical les plus connus à l’extérieur. Au niveau national après la kora, les cordophones les plus répandus sont les xalams qui désignent le groupe des cordes wolofs et toucouleurs, constitués du xalam bappa, du ndere, du nderatul, du joke et du diassare.
A ce groupe peuvent être ajoutés le riti le nagnou et le fandou (vièle monocorde utilisé par les peulh et toucouleurs surtout au nord), le sorong mandingue et l’ekonting diola espèce de cithare primitive.
L’étude du patrimoine relevant des traditions musicales du Sénégal est une œuvre ambitieuse dépassant les limites scientifiques de cet aperçu panoramique. Des portraits spécifiques aux cadres ethnico géoculturels des musiques traditionnelles et les présentant de manières scientifiques et particulières sont à envisager, aux fins de faire valoir ses charmes et richesses sonores : fruits de contributions sociétales millénaires.
Sources :
[1] A. Zempleni, La dimension thérapeutique du culte des rab, ndoep, tuuru et samp ; rites de possession chez les lebou et les wolofs, Psychopathologie africaine II. 3, 295 – 439, 1966. G. Rouget, Musique et possession, La musique et la transe, Gallimard, 1990.
[2] A. Schaeffner (1994), pp. 37 – 38.
[3] La musique et la communication représentent les fonctions et usages socio culturels des instruments traditionnels d’Afrique subsaharienne.
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