Akatche : « La vie de l'arrangeur n'est pas facile, mais il faut être malin...»
Un quart d'heure - c'est ce qu'il fallait arracher au compositeur ivoirien Akacthe, pour le sortir un tantinet de la tâche très ardue, qu'il réalise pourtant avec brio à chaque fois : créer des hits...
Un quart d'heure de bonheur et de partage, dans lequel l'artiste parle sans filtre des réalités de son métier, mais aussi des secrets à connaître pour devenir un véritable « hitmaker ».
Bonjour Akatche ; voudrais-tu te présenter en quelques mots à nos lecteurs ?
Bonjour Jean de Dieu, mon nom d'artiste est Akatche et dans le milieu professionnel de la musique, on me reconnaît sous la signature « Tché on the beat ». Je suis un musicien compositeur et arrangeur, mais aussi un directeur musical.
Je suis ivoirien et j'ai des origines ghanéennes, mais je réside à Dakar, au Sénégal, depuis 2013 .
Akatche, tu as récemment reçu avec l’artiste guyanais Scridge, un single d’or pour le morceau « Karma ». Voudrais-tu nous raconter l’histoire de cette collaboration et exprimer ce que tu as ressenti en touchant le prix ?
Scridge et moi étions signés sous le même label, BLZ inc, en France. Au sein de notre écurie, il travaillait sur le titre « Karma » avec un beatmaker/arrangeur connu sous le nom de Christopher Genda. Ils avaient déjà une base instrumentale pour le morceau.
Mais Scridge était de passage au Sénégal pour un petit séjour, quand le patron du label m'a contacté pour me demander d'apporter une touche à la composition instrumentale. J'ai fait ce qui m'a été demandé et le rendu final a fortement plu aux responsables du label.
Le morceau est paru en septembre 2018 et 5 ans plus tard, il est certifié single d'or par la Société nationale de l'édition phonographique (SNEP) en France. Voilà la petite histoire de ce succès que je savoure, bien-sûr, avec délectation.
Akatche, tu as aussi travaillé avec Aya Nakamura qui est une des plus grandes voix de la scène afropop française. Comment cela est arrivé ? Avec elle aussi tu as glané des distinctions ?
Oui, la collaboration avec Aya Nakamura s'est construite là-aussi autour de Scridge. Notre label avait organisé un séminaire au Sénégal, pour la préparation de son album Malgré moi.
Une cohorte de beatmkers signés sous BLZ inc s'étaient donc retrouvés à Dakar (Sénégal), en provenance de la France et de la Côte d'Ivoire. Nous avons travaillé sur la composition instrumentale des différents tracks de l'album et une des pistes a particulièrement plu à Aya qui a manifesté le désir d'y poser sa voix.
Scridge lui a cédé la composition sur laquelle elle a chanté ; elle a titré le morceau « Idiot » et l'a inclus dans son album Nakamura, paru en 2018. L'opus a connu un réel succès et il a été certifié disque de diamant. Nous avons donc tous bénéficié de cette distinction.
La liste des artistes prestigieux avec lesquels tu as collaboré est longue ; y en a-t-il un qui t’a particulièrement marqué ? Si oui, comment ?
Évidemment que de nombreux artistes m'ont marqué par leur talent et/ou leur personnalité. S'il fallait citer un nom, je dirais tout de suite Viviane Chidid.
Avec elle, on crée, on explore des univers nouveaux, on sort des sentiers battus et on vit le mbalakh autrement. Je suis vraiment très admiratif de sa démarche artistique, parce qu'elle appartient à une scène qui a des codes jalousement préservés depuis des décennies, mais elle n'a jamais peur de les briser et d'innover.
J'ai également été marqué par Josey de la Côte d'Ivoire, mais aussi par le groupe Banlieuz'Art de la Guinée. Ce sont tous des artistes avec qui j'ai collaboré, et c'était un réel plaisir de les voir exprimer leurs immenses talents.
Pour finir, je vais mentionner un dernier artiste avec lequel j'ai travaillé récemment sur des projets qui ne sont pas encore parus. C'est un créateur dont le talent est déjà mondialement reconnu pour sa grande carrière, mais moi j'ai surtout été illuminé par son aura et sa personnalité ; il s'agit du rappeur et chanteur franco-comorien Soprano.
Ivoirien aux origines ghanéennes, tu es établi à Dakar au Sénégal - ton métissage représente bien la grande diversité qui caractérise le vaste espace politique et culturel d'Afrique de l'Ouest. Quel regard as-tu du dynamisme musical de cette région ?
Quand il faut parler de musique dans la sous-région ouest-africaine, le premier pays que l'on cite c'est bien le Nigeria !
D'aucuns diraient qu'ils doivent leur succès à la langue anglaise qu'ils parlent, mais je ne partage pas totalement ce point de vue. Si c'était la seule explication plausible, le Ghana qui est aussi une nation anglophone réaliserait les mêmes scores à l'international, et ce n'est pas tout à fait le cas.
La pop naija doit son positionnement dans le sommet des charts musicaux du monde, à un désir incommensurable des musiciens et acteurs de la filière créative du pays, d'imposer leurs cultures au reste du monde.
Ils se sont certes inspirés de ce qui se faisait déjà au Congo, en Côte d'Ivoire ou au Cameroun voisin, mais il ont su développer une musique pop singulière, fermement rattachée à leur identité culturelle. Ils ont pu compter sur des acteurs de promotion déterminés à l'échelle locale, mais aussi sur une diaspora dynamique qui a permis l'expansion mondiale du son.
Ils sont allés sans complexe à la conquête du globe, en présentant la beauté de ce qu'ils ont chez eux. C'est peut-être le défi que les autres pays doivent relever...
Bien souvent, les artistes francophones ont peur d'apporter du neuf sur la scène internationale ; même quand ils ont une musique originale, ils préfèrent se ranger derrière l'écran de l'afrobeats pour accéder à l'audience mondiale et finalement ils laissent ce qu'ils ont d'authentique.
Nous avons tous des cultures très riches et très variées ; si on pouvait calquer l'esprit nigérian, on brillerait tous sur la scène mondiale.
Akatche, d’aucuns te considèrent comme l’un des architectes du jolofbeats, le nouveau son pop sénégalais qui fait les tendances. Assumes-tu ce statut ?
Si je ne m'abuse, le premier a avoir employé le terme « jolofbeats » pour parler du nouveau son pop sénégalais est No Face Undacova, ex-membre du groupe Maabo...
Pour répondre à ta question, non, je n'assume pas du tout ce statut (rires). D'aucuns disent que c'est de la fausse humilité quand je donne cette réponse ; mais sincèrement, ce serait très prétentieux de ma part de me considérer comme un des architectes de cette musique.
Je fais des choses que les gens apprécient et je remercie le ciel pour cela, mais je reste un apprenant et je poursuis mon petit bonhomme de chemin sur cette scène sénégalaise que j'aime tant.
On parle bien souvent des chanteurs, mais à quoi ressemble la vie de l’arrangeur ? Quels sont tes plus grands challenges dans ce métier ?
La vie de l'arrangeur n'est pas facile, mais il faut être malin...
C'est l'arrangeur qui fait tout le travail au studio, mais il reste toujours dans l'ombre. L'ingratitude de son métier peut aller souvent très loin, quand l'artiste pour qui il travaille jouit des patrimoines générés par les oeuvres, sans lui reverser justement la part qui lui est due.
Les artistes ne sont pas toujours sympas ; beaucoup profitent de la fragilité économique de l'arrangeur, pour lui proposer des miettes et profiter abusivement de son talent.
Toutes ces choses que j'évoque ici, je les ai hélas connues, mais à quelque chose, malheur est bon. Toutes ces désillusions m'ont finalement permis de mieux définir mes principes et modalités de travail. Je suis allé étape par étape et j'ai compris qu'il est important déjà pour l'arrangeur d'être très sérieux dans son travail, pour qu'il soit mieux considéré par ses clients.
C'est à l'arrangeur de définir son standard et surtout il doit comprendre le langage du droit d'auteur. Dans mon cas, il m'arrive souvent de composer toute la musique d'un artiste, d'assurer les prises, le mix, le mastering et même de participer à l'écriture du texte - dans ces cas là, je ne laisse rien ; j'exige un droit pour chacune des actions effectuées. Je ne peux pas accepter de tout faire pour quelqu'un qui va connaître le succès et avoir faim derrière...
Pour ce qui concerne les challenges dans mon parcours, ils sont si nombreux que je ne saurai les citer, mais le plus grand reste celui de contribuer significativement au développement de la filière musicale du continent africain. Les arrangeurs sont les architectes des sons et ils ont une responsabilité dans leur succès.
J'ambitionne de développer un grand projet pour tout le continent avec mon savoir-faire. Je réfléchis encore à trouver la bonne formule, mais ce sera quelque chose d'important, qui je l'espère, servira vraiment au continent.
Akatche, tu nous ramènes des sons qui viennent d’un autre monde. Quelles sont tes sources d’inspiration ?
Je m'inspire de tout ce que je vois et entends - je m'inspire surtout de ce que les Sénégalais rangent dans le vocable wolof (langue du Sénégal) : « Ndeysanne ».
C'est un mot qui évoque une forte émotion, mais aussi de la mélancolie ; je m'inspire de tout ce qui touche les coeurs et je le retranscris dans ma musique.
Je m'inspire aussi des choses que je n'aime pas, parce que je fais certes de l'art, mais aussi du business, et je dois souvent suivre ce que les autres aiment, même quand ça ne correspond pas à mes goûts.
Je suis avant tout un artiste de scène et cela rend souvent mon travail de compositeur en studio difficile. Sur scène, je compose pour des musiciens et dans un langage qui leur est familier, mais en studio je dois avoir une toute autre sensibilité car le public est plus large et les auditeurs ne sont pas forcément des musiciens. Il faut apprendre à écouter comme tout le monde et savoir se mettre dans la peau du consommateur lambda qui achète la musique.
Un mot pour les jeunes arrangeurs africains qui aspirent un jour à être comme toi ?
Ils ne faut surtout pas qu'ils cherchent à devenir comme moi - moi aussi je me cherche encore (rires) !
Nos devanciers nous avaient déjà donné le secret, c'est simplement le travail acharné. Toujours travailler très fort et ne pas se fatiguer de bien faire. Il faut aussi de la patience.
L'arrangeur est comme un artisan qui doit prendre tout le temps nécessaire pour bien parfaire son produit avant de le mettre en vente. Il ne faut jamais se presser, aller doucement et sûrement pour peaufiner ses créations. La combinaison du travail et de la patience finit toujours par payer.
Il faut toujours viser l'originalité dans son travail, savoir créer, innover et ne jamais sa ranger derrière quelqu'un. Il faut être soi-même et avancer avec passion et volonté.
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