Alune Wade : « Les musiques sénégalaises offrent beaucoup de belles choses »
De retour au Sénégal où il a offert deux concerts exceptionnels à Dakar et à Saint-Louis, le bassiste Alune Wade a reçu Music In Africa pour une discussion à bâton rompu. Entretien.
Bonjour Alune, pour ceux qui ne te connaissent pas, comment te présenterais-tu ?
Je suis Alune Wade. Je ne me définirais pas comme une bassiste (comme on le dit très souvent), mais comme un artiste, cela est bien plus englobant. Plutôt que de me qualifier de jazzman, je préfère aussi dire que je suis simplement musicien.
Je n'ai pas un style unique et bien défini ; je propose une musique à la fois variée et équitable, qui est le fruit de mon vécu et de mon parcours. J'ai côtoyé beaucoup de personnes aux sensibilités diverses, allant du classique à la musique cubaine, en passant par diverses formes de fusion.
Tout cela a eu un impact réel sur ma musique.
Comment mesures-tu alors l'nfluence des artistes que tu as rencontrés sur ta musique ?
Les artistes avec qui j'ai collaboré m'ont apporté beaucoup de choses. Certaines de mes compositions par exemple, reprennent des airs d'Oumou Sangaré, la chanteuse malienne avec qui j'ai eu à travailler.
Ismaël Lô qui lui m'a reçu comme bassiste dans son orchestre quand j'avais seulement 18 ans, a su canaliser ma fougue de jeunesse et m'apprendre comment accompagner correctement un chanteur. L'expérience de Salif Keïta avec qui j'ai fait des sessions studio, m'a aussi beaucoup profité.
Jouer avec le bassiste américain Marcus Miller ou le batteur ivoirien Paco Séry, qui ont chacun un style unique, m'a également permis d'enrichir ma technique.
Il m'est difficile de dire avec précision l'impact de chacune de mes rencontres dans ce que fais, mais ils ont tous apporté quelque chose à mon art.
Tu es établi à Paris depuis des années maintenant, quelles en sont les raisons ?
M'établir en Europe a grandement contribué au développement de ma carrière.
En France où je réside, j'ai beaucoup appris. Il y a une forte compétitivité car les gens viennent de partout vendre leur savoir-faire.
Dans un environnement comme celui-là, on ne peut que se perfectionner pour pouvoir se faire un nom et être reconnu par ses pairs.
Je ne dirais pas que être au Sénégal est un désaventage, c'est là que j'ai eu mes bases. Le pays m'a donné tout ce dont j'avais besoin, il était temps pour moi d'aller à la conquête du monde. Paris (France) a été la bonne destination.
Il m'y est facile de me rendre vers d'autres capitales comme Viennes (Autriche) et bien d'autres, pour des spectacles et d'importantes rencontres.
C'est un peu plus dynamique ici et dans une cosmopole comme Paris, on fait de très riches rencontres, avec des personnes talentueuses qui viennent des 4 coins du monde.
Qu'est ce que cela te fait de revenir au Sénégal ?
Je n'ai jamais quitté le Sénégal, c'est chez moi ici. Je dois admettre que Paris est aussi ma maison maintenant et quand j'y joue, j'ai de nombreux amis qui viennent me suivre ; mais à Dakar, c'est pareil !
Cela me fait toujours plaisir de monter sur scène au pays de la Teranga. J'ai joué à l'Institut Français en 2007 et au Festival de Jazz de Saint-Louis en 2016.
Entre-temps, en 2014, j'ai organisé un spectacle, le Festival de Jazz à Gorée, qui a réuni des artistes comme Oumou Sangaré, Cheikh Tidiane Seck ou encore Paco Séry.
Même si l'expérience ne m'a pas assuré un grand profit financier, j'ai été très ravi de rassembler tant d'artistes pour rendre hommage à l'historique île de Gorée, qui à mon sens mériterait son propre festival de Jazz.
Je suis d'ailleurs prêt à retenter le coup, en initiant un nouveau spectacle dans la capitale sénégalaise. Pour moi, Dakar est une des capitales de la culture en Afrique. La ville mériterait d'accueillir de façon régulière, un événement musical majeur.
Un mot sur ton dernier album African Fast Food qui t'a valu une nomination aux AFRIMA Awards 2019 ?
African Fast Food est mon quatrième album. Il vient après Havana-Paris-Dakar, mon précédent opus enregistré à la Havane au Cuba, avec le pianiste Harold Lopez-Nussa.
Avant, il y a eu Mbolo et Ayo Nene (jamais sorti officiellement).
African Fast Food est fait d'une plus grande maturité. Il est enrichi par certaines de mes rencontres comme le pianiste argentin Leo Genevese qui y étale son talent, mais aussi toute son expérience. L'oeuvre porte aussi les empreintes du batteur Mocktar Samba.
J'y vante l'Afrique et sa richesse culturelle. Après avoir travaillé avec des icônes des 4 coins du continent comme Henri Dikongué (Cameroun), Oumou Sangaré ( Mali) et bien d'autres encore, c'était pour moi un devoir de rendre hommage à tout ce que l'Afrique offre de plus beau musicalement.
On sait que ton grand idole, c'est Marcus Miller, peux-tu nous dire comment s'est passée ta première rencontre avec lui ?
C'est en Pologne que nous nous sommes rencontrés pour la première fois en 2014, à l'occasion d'un grand événement qui a d'ailleurs déterminé les 6 dernières années de ma carrière.
Au cours de ce même spectacle, j'ai fait la rencontre de Leo Genevese, qui est aujourd'hui mon claviste. J'y ai croisé beaucoup de personnes intéressantes, qui ont chacune contribué à mon évolution.
Marcus Miller, je me suis rendu dans sa loge et je lui ai dit toute mon admiration et mon respect.
Il m'a dit qu'il comptait enregistrer à Paris, un album au sujet de l'épidémie d'ébola qui faisait ravage en ce temps sur le continent. Il m'a proposé d'en assurer la direction artisitique et de me charger du casting des artistes qui y interviendraient.
En prenant mon contact, il fut ému de constater que mon adresse mail portait son nom. Cela a tout de suite créé un lien.
Ton pére est aussi un musicien. Pourrais-tu nous parler un peu de la relation artistique que tu as avec lui ?
Avec mon père, ancien chef d'orchestre de l'armée sénégalaise, il y a toujours eu une complicité artistique naturelle.
Dans l'ambiance musicale de la maison, où mes soeurs défilaient des disques de Vanessa Paradis ou de Patrick Bruel, et ma mère, de la musique malienne ou guinéenne, papa lui m'enseignait le solfège et la musique classique ; en ce temps je jouais un peu du piano.
Il m'a beaucoup appris, mais ne m'a jamais obligé à le suivre dans son univers. Mon style musical, ce sont les rues de Dakar qui me l'ont imposé.
Ville où se rencontrent la salsa, le mbalakh ou encore la rumba, Dakar m'a beaucoup inspiré et cela n'a jamais dérangé mon père.
Perfectionniste et réservé, il n'est pas du genre à me couvrir de compliments, mais je sais qu'il apprécie beaucoup ce que je fais.
Quel regard portes-tu sur la musique sénégalaise ?
Les musiques sénégalaises offrent beaucoup de belles choses, il y a beaucoup de talents.
Les choses ne sont pas toujours parfaites, c'est ainsi partout. Le disco qui fait danser beaucoup degens aujourd'hui, a été un style longtemps critiqué, et David Guetta qui est un des meilleurs Disk-Jockeys du monde, n'est pas forcément apprécié partout.
La musique sénégalaise ne fera sans doute pas l'unanimité elle aussi, mais elle vit et a son public, c'est cela l'essentiel.
De plus, je trouve réducteur de parler de « la musique sénégalaise », j'emploierais bien la locution « les musiques sénégalaises », pour montrer combien elles sont plurielles.
Chaque région offre ses vibrations et ses rythmes particuliers. Les artistes et médias devraient les embellir et les vendre un peu plus.
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