Censure étatique et pressions sociales sur les musiciens au Niger
- Par Mélodie Petit
Pour un chanteur nigérien, être perçu comme allié d’un camp expose parfois aux représailles de la part des partisans issus des autres camps. Utilisant leur art comme instrument politique, certains musiciens, du fait de leur ethnie ou de leur popularité, ont été ciblés par les régimes politiques contrariés par leurs œuvres. Comment faire entendre sa voix dans un contexte politique parfois marqué par la violence militaire ? C’est le dilemme des artistes nigériens.
Positionnement politique de musiciens touarègues
Au Niger plusieurs chanteurs ont une importante notoriété auprès des populations. La capacité d’influence détenue par ces artistes en fait de potentielles menaces pour les instances étatiques. Ces dernières voulant avoir le monopole de la communication désapprouvent généralement toute velléité de contestation.
La censure étatique et les pressions ne concernent pas les chansons engagées dont les thèmes sont choisis par les Organisations Non Gouvernementales (ONG) internationales. Ces dernières diffusent des messages génériques tels que : la lutte contre la pauvreté, le SIDA ou encore l'espacement des naissances.
Tant que les chansons ne concernent pas la politique, la probabilité de subir la censure est faible mais, pas inexistante. Le chanteur de reggae Adamou Yacouba, alias Black Mailer dont les textes militent pour la protection des albinos a pourtant subi la censure[i] pendant plusieurs années.
Lorsque les textes des chansons s’opposent clairement aux intérêts géopolitiques des gouvernements en place alors le risque de subir pressions et censure augmente.
De 1970 à 1980, une sécheresse sévit au Niger, détériorant considérablement les conditions de vie déjà difficiles des touarègues au nord du pays. Certains appelés Ishumars, qui signifie « chômeur », fuient vers la Lybie et l'Algérie. Parmi eux, le musicien Abdallah ag Oumbadougou. Il va en Algérie en 1984 dans l'espoir d’y trouver un travail.
Après une traversée périlleuse du Sahara, Abdallah ag Oumbadougou parvient à Tamanrasset, où il vivra sept mois, travaillant la journée et s'exerçant à la guitare le soir. Mais la police nigérienne retrouve le guitariste et le rapatrie au Niger, pour l’incarcérer.
Dès sa sortie de prison, Abdallah ag Oumbadougou regagne l'Algérie et décide de renforcer les rangs de la rébellion touarègue. Il rejoint les camps d'entraînement de Mouammar Khadafi, en Lybie, pour recevoir une formation durant 45 jours. Accompagné d'autres guitaristes, il y anime les soirées et fonde son premier groupe, Takrist n'Akal, signifiant « Construire le pays ». Il donne un caractère profondément engagé à sa musique et adopte le style alors qualifié de « rebelle touarègue », avec une kalachnikov dans une main et une guitare dans l’autre.
Abdallah ag Oumbadougou rentre au Niger en 1987, le colonel Ali Saibou, le nouveau dirigeant du pays, ayant assuré l'amnistie aux exilés touarègue. Mais trois jours après sa prestation live à l'occasion du prix Dan Gourmou à Tahoua, Abdallah est arrêté avec tous ses musiciens et de nouveau emprisonné.
En mai 1990, le gouvernement nigérien massacre les civils Touaregs à Tchin-Tabaraden. Un autre artiste de renom, Bombino, alors âgé de 12 ans, fuit lui aussi le Niger pour se réfugier en Algérie.
Abdallah rejoint les combattants armés et participe pleinement à la rébellion, tout en composant des chants en tamachek, accompagnés de guitare sèche ou électrique, pour raconter les difficultés de l’exil et pour appeler son peuple à combattre.
Enregistré sur des cassettes, le blues touareg est formellement interdit au Niger : tout citoyen détenteur de ces enregistrements clandestins, qui circulent dans les campements et les camps de réfugiés de la zone touarègue, risque des poursuites judiciaires.
En 1995, les accords de paix permettent à Abdallah ag Oumbadougou de rentrer au Niger, où il donne un grand concert au Palais des Congrès de Niamey. Sa renommée lui assure la sécurité, notamment en France, où il enregistre ses albums et collabore avec les artistes de la Mano Negra ou de Tryo, qui l’érigent en symbole de la rébellion touarègue.
Seconde vague de pressions sur les musiciens touaregs
La répression n’est cependant pas terminée. Omara Moctar, dit Bombino, rentre d’exil en 1997, et décide d’entamer une carrière de musicien professionnel. Pendant dix ans, il anime mariages et autres célébrations.
En 2007, les tensions nigériennes conduisent à une nouvelle rébellion des peuples touarègues. Pour y faire face, le gouvernement décide d’interdire la guitare, devenue un symbole politique de leur cause. En 2009, deux des musiciens de Bombino sont exécutés par des militaires.
« Je pense à eux à chaque fois que je monte sur scène. Je me dis que c’est injuste qu’ils n’aient pas eu la chance de profiter avec nous de ce succès », confie Bombino[ii] suite à cet événement.
Le guitariste reprend la route de l’exil et se réfugie au Burkina Faso. Le cinéaste américain Ron Wyman part à sa rencontre et réalise un documentaire sur sa vie, Agadez, the music and the rebellion. Il l’encourage à enregistrer ses morceaux et lui offre une visibilité internationale. De retour au Niger, Bombino est autorisé à organiser un concert pour la paix, au pied de la Grande Mosquée, devant des milliers de spectateurs qui fêtent la fin du conflit.
Pressions sociales sur le rap et le hip hop
Le rap a émergé au Niger dans les années 1990. Influencés par le rap américain, les artistes du collectif WaaWong, composé de Lakal Kaney, Kaidan Gaskia, Wassika et Wongari, puis Djoro-G, Kamikaz, Massacreur ou Tod One, s’imposent comme les pionniers de ce genre nouveau. Le rap conquiert le public et de plus en plus de jeunes s’essaient au genre, avec cependant quelques difficultés à percer dans le milieu.
La pression sociale et les considérations négatives associées au rap ne sont pas étrangères aux difficultés. Assumer cette activité et la volonté de se professionnaliser dans cette voie, relève presque du défi et de la rébellion, mais cette fois non du point de vue étatique, mais social et familial.
Wyzzy, rappeur solo, croit comprendre « Dans une société musulmane comme la nôtre, les parents n’apprécient pas le rap. Mais je suis passionné alors je continue ».
Pour Zara Moussa (ZM), première rappeuse nigérienne, la volonté a également été le fer de lance de son succès : « Ma mère est toujours réticente. Mes paroles la touchent mais elle aurait voulu que je m’exprime par un autre moyen que la musique ».
Outre sa famille, Zara Moussa a dû s’imposer en tant que femme, le secteur de la chanson étant traditionnellement réservé aux hommes, ou aux personnes descendant d’une lignée de griots : « Être une fille dans le rap, c’est assez dur. Certains garçons ne m’ont pas cru capable de rapper. Ils m’ont déconseillé de continuer ou m’ont proposé de rejoindre leur groupe ». Loin de se décourager, Zara Moussa a enregistré son premier album en 2005, au studio La Source de Niamey.
Absence de pressions gouvernementales sur les rappeurs
Alors que les gouvernements nigériens se sont toujours montrés particulièrement répressifs avec les musiciens touarègues, le rap, style musical propice à la dénonciation et à la contestation, n’est pas persécuté par les forces politiques.
Paradoxalement, cette non-persécution agace des rappeurs « Certains thèmes de nos chansons devraient déranger le gouvernement, mais les autorités ne nous prennent pas au sérieux. Elles ne prêtent même pas attention à ce que nous disons » déplore le rappeur Idi Sarki, du groupe Djoro-G.
Même constat de la part de Peto, du groupe Kaidan Gaskia qui, se réjouit que d’autres composantes de la société nigérienne respectent leur style musical : « Les ONG, elles, ont compris qu’il fallait le rap pour diffuser leurs messages. »
En effet, nombre de tournées de rappeurs sont organisées par des institutions étrangères : les jeunes chanteurs y gagnent en visibilité et tournent dans le pays ; les ONG s’assurent que leurs messages soient profondément intégrés par la jeunesse, qui suit et retient les paroles chantées par leurs idoles.
Problèmes éthiques de l’engagement
Dans le rap et les autres styles musicaux, les chansons engagées répondant à une commande soulèvent un problème artistique et déontologique.
En 2014, la chanteuse sénégalaise Coumba Gawlo Seck a ainsi sorti un single avec les plus grandes stars féminines du Niger, Adja Hamsou Garba, Zara Moussa (ZM), Fati Mariko, Fati Halidou, et Safa Issoufou Oumarou. Commandé et financé par le bureau nigérien du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA), le single fait l’éloge de la planification familiale et de l’espacement des naissances.
Si la moyenne d’enfants par femmes au Niger est particulièrement élevée, dépassant les sept enfants par femme, le processus ayant abouti à l’enregistrement ce cet album n’a pas fait l’unanimité. Les paroles ont aussi créé de petites polémiques : « Toutes les femmes d'Afrique réunies pour un meilleur planning familial … Fini les pleurs et les souffrances, savoir espacer les naissances pour être en santé ».
Conclusion
La censure et la répression des dirigeants nigériens se concentrent sur les messages politiques qui entrent en confrontation directe avec leurs intérêts immédiats.
Les rébellions des touarègues, fragilisant les pouvoirs en place, ont souvent été suivies par l'interdiction de toute expression musicale. Le rap subit plutôt des pressions sociales. Ces deux genres musicaux n’ayant pas une image reluisante auprès de nombreux adultes nigériens.
En outre, la censure et les pressions peuvent revêtir des textures plus subtiles. Ainsi, grâce à leurs importantes ressources financières, les Organisations Non Gouvernementales (ONG) limitent parfois la liberté d’expression ou orientent le débat dans l’espace public nigérien en imposant aux artistes des messages préconçus à inclure dans les chansons.
Références
http://musique.rfi.fr/musique/20050726-rappe-le-niger
http://www.dakarmusique.com/actu-musique/chroniques/2187-en-conference-de-presse-coumba-gawlo-presente-un-single-pour-l-espacement-des-naissances-au-niger.html
https://www.ac-paris.fr/portail/jcms/p1_460621/sixieme-festival-contre-la-censure-de-nombreux-artistes-dont-des-musiciens-se-retrouvent-du-7-au-11-novembre-a-bilbao
http://www.jeuneafrique.com/mag/347524/culture/musique-bombino-rock-touareg-a-ailes/
[i] http://www.jeuneafrique.com/mag/356335/culture/musique-niger-incontournable-black-mailer/
[ii] http://www.jeuneafrique.com/mag/347524/culture/musique-bombino-rock-touareg-a-ailes/
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