Critique musicale au Sénégal : la formation un atout indispensable (suite et fin)
Cet article fait suite au précédent, sur la critique musicale au Sénégal : la formation un atout indispensable
Par Fadel Lo
Que renferme la notion de critique musicale
Selon Wikipédia, la critique musicale est l'activité qui consiste à émettre et à diffuser largement un avis sur des œuvres musicales. La personne qui exerce la critique musicale est appelé critique musical. La critique peut s'exercer sur des partitions, mais elle se prononce surtout sur des interprétations en spectacle (opéra, ballet, concert) ou des enregistrements. La critique musicale se fait surtout dans la presse écrite mais aussi à la radio et à la télévision, et maintenant via internet.
La critique musicale s'est développée, avec la critique littéraire et la critique d'art, en même temps que la presse, c'est-à-dire au 18e siècle. La critique musicale s'applique alors essentiellement à l'opéra et au concert. Elle apparaît dans des périodiques à caractère partiellement culturel, comme le Mercure de France. Les critiques sont alors en général des personnes cultivées, des hommes de lettres qui n'ont pas nécessairement de formation musicale.
La situation change progressivement dans la première moitié du19e siècle. Les premiers journaux consacrés à la musique commencent à paraître, avec en Allemagne la naissance de l’Allgemeine musikalische Zeitung en 1798.
En France, deux revues tentent, au début du 19e siècle, de se développer, mais sans grand succès et elles cessent assez vite. La première revue spécialisée plus durable naît en 1827 sous le titre de Revue Musicale. Elle sera suivie de plusieurs autres titres. Peu à peu, la critique musicale se développe également dans le reste de l'Europe.
Une autre mutation se produit dans la mesure où des musiciens (compositeurs, musicographes, interprètes), en tout cas des personnes ayant étudié la musique, assurent la critique musicale aux côtés des hommes de lettres. La critique permet de développer des débats artistiques, en particulier autour de Wagner et du wagnérisme, et plus tard, de l'École de Vienne (Autriche) ou de la musique contemporaine.
La critique musicale s'exerce à tous les genres musicaux (musique classique, musique traditionnelle, jazz, variété, rock). Elle est présente dans la presse généraliste, y compris la presse quotidienne régionale et même sur des publications spécialisées dans d'autres domaines que la musique (Le Quotidien du médecin, Libération, Les Échos). Elle est surtout très présente dans la presse musicale.
Les critiques sont soit des journalistes, soit des professionnels de la musique, souvent des musicologues ou des étudiants du domaine.
Au Sénégal existe une difficulté à s’adonner à une réelle culture musicale.
Dans notre pays et au vu de tout ce qui précède, il est très difficile de s'adonner à une vraie critique musicale digne de ce nom. C’est parce que tout simplement, la formation fait défaut en amont et en aval, et les musiciens sénégalais ne sont pas toujours réceptifs à la critique.
Il est vrai qu’à l’entame des années 80, avec l’avènement de la presse privée et un peu avant avec l’avènement du magazine spécialisé en culture et sport Zone 2, quelques journalistes ont essayé tant bien que mal de s’adonner à une critique des œuvres musicales parues sur le marché.
Un des pionniers dans ce domaine est sans conteste Cheikh Ba du magazine hebdomadaire Zone 2. Avec une plume souvent acerbe et sans complaisance, il se plaisait à lister les lacunes des productions musicales qui sortaient à l’époque sur des cassettes, souvent à la qualité sonore loin d’être satisfaisante.
Par la suite, il y a eu des journalistes culturels comme Modou Mamoune Faye du Soleil, Ibrahima Ndoye qui officiait à l’époque au Témoin, Alassane Cissé au quotidien Sud et Demba Siléye Dia au quotidien Walfadjri. Plus tard des journalistes comme Jo Ousmane Fall pour le quotidien infos 7 et Le Dr Ibrahima Wone ont aussi beaucoup écrit sur la musique de manière générale.
Cependant, force est de constater qu’au vu de la rareté de l’exercice, les artistes visés prenaient souvent la mouche contre ses critiques. Alors, ils faisaient tout pour se rapprocher des journalistes et animateurs de l’époque. Il n’était pas rare de voir un Youssou N'Dour voyager en Europe avec un journaliste comme Modou Mamoune Faye, Alassane Cissé en faire autant avec Ismaël Lô et Pape Sedikh Mbodji était souvent en tournée avec Thione Seck. Feu Ahmadou Ba a souvent servi de maître de cérémonie pour les grandes soirées de gala pour des orchestres comme le Star band Numer One, le Super Etoile ou encore Baaba Maal.
Ousmane Noël Mbaye du Soleil a longtemps cheminé avec le PBS et surtout Baaba Maal. Les animateurs ne sont pas en reste car Dj Boub's a longtemps voyagé avec Youssou N'Dour et avant son départ du groupe, il a présenté tous les grands bals de Bercy initiés par la star du mbalakh. Avant lui, Abdel Kader Diokhané a beaucoup accompagné Thione Seck et Ahmadou en a fait autant avec Baaba Maal.
Suite à des critiques acerbes, quelquefois les artistes usaient de tous les moyens pour se rapprocher des journalistes et cela créait effectivement une proximité qui faisait cesser ou diluer les critiques.
Demba Siléye Dia de Walf Fadjri était réputé pour la qualité de ses textes. Il ne se gênait pas pour descendre en flammes certaines productions dans la page culture de son quotidien.
Alassane Seck Guéye qui a pris le relais d'Ibrahima Ndoye au Témoin ne se gênait pas aussi pour faire de virulentes critiques sur la qualité douteuse de certaines productions.
Le rôle difficile d’un journaliste ou critique musical
Le journaliste musical peut intervenir sur tous types de médias, radio, presse écrite, web ou télé ; son expertise et avis s’adaptent à tous les supports.
Spécialiste d’un style musical, il assiste aux concerts, showcase, spectacles des artistes entrant dans son domaine de compétence. Son avis est important, lu et écouté par ses lecteurs ou auditeurs.
Contrairement aux autres journalistes, le journaliste spécialisé se doit d’être subjectif bien qu’honnête. Sans aimer la musique qu’il écoute, il se doit de savoir si elle est bonne. C’est sa critique que les artistes craignent et que les gens adorent. Donc on peut retenir que pour être un bon journaliste spécialiste de la critique musicale, il faut disposer d’une vaste culture générale.
Il faut aussi être doté d’un esprit critique et surtout avoir une bonne expression écrite et orale. Il faut aussi forcément disposer d'un sens artistique développé et d’une curiosité insatiable. Il faut avoir une connaissance parfaite d’un ou de plusieurs styles musicaux, être sociable et très ouvert.
Il n’existe pas de formation de journalisme spécialisée dans le domaine musical. C’est une spécialisation qui se fait sur le tas et grâce à ses propres connaissances musicales. S’en suit de nombreux masters en journalisme, dont certains avec des parcours spécialisés comme Paris 3 et son master de journalisme culturel. Il est aussi possible de faire des études de journalisme en post-bac dans des écoles privées, mais il faut noter qu’elles ne sont pas reconnues par la profession.
Ainsi pour conclure, nous citons le célèbre critique Christian Merlin qui officie au journal le Figaro. Dans un entretien avec le magazine du monde lyrique il expliquait ce qui suit :
Pour moi, une critique a trois fonctions.
D’abord, raconter : on a assisté à une représentation, à une soirée musicale (lyrique ou instrumentale), et comme aucune représentation ne ressemble tout à fait à une autre, il y a toujours une spécificité qu’on doit essayer de saisir. Un des compliments qui me font le plus plaisir, c’est quand on me dit : « Je n’étais pas à ce spectacle, mais j’ai lu votre papier, et c’est comme si j’y avais été ».
Ensuite, une critique doit analyser l’interprétation, les partis pris, scéniques, musicaux, vocaux… On essaie de faire un pas dans la direction des interprètes, de comprendre ce qu’ils ont voulu proposer. Ça ne veut pas dire qu’on approuve forcément : les artistes ont voulu faire telle chose, mais ils ne sont pas allés jusqu’au bout, ou bien le résultat n’est pas convaincant.
Enfin, le critique doit juger et ne pas hésiter à le faire. Il faut donc à la fois beaucoup d’humilité, mais aussi beaucoup d’assurance car, après tout, c’est bien votre avis qu’on vous demande d’exprimer !
Dans l’idéal, ces trois fonctions devraient être en permanence mêlées. Cela dit, il n’y a rien de systématique et il n’existe pas de plan préétabli, même si une critique d’opéra, c’est souvent la mise en scène d’abord, le chant en suite, la direction d’orchestre en dernier. J’avoue qu’il m’arrive pourtant de prendre un tout autre angle et de partir d’un détail du spectacle, de mon impression générale ou des enjeux d’une représentation. En effet, on juge parfois un spectacle moins pour lui-même que dans un contexte spécifique. S’il s’agit de la première saison d’un nouveau directeur d’opéra, on s’interroge par rapport à son projet.
Avec lui, on peut donc retenir qu’être critique musical n’est pas chose facile, mais il faut surtout essayer de disposer des outils nécessaires pour bien faire son travail et surtout livrer en toutes circonstances, un avis juste et sans aucun parti pris ; ce qui est loin d’ère une sinécure.
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