Highlife : le cœur et l’âme de la musique populaire du Ghana
De ses débuts en tant que musique pour les élites urbaines à son apogée comme l’hymne du mouvement de libération au Ghana, la musique highlife est restée le socle de la culture populaire ouest-africaine. Nous retraçons ici l’histoire d’un genre musical qui a survécu à plusieurs générations et à différentes tendances et a su conserver son identité unique au milieu d’une pléthore d’influences contemporaines.
Le genre musical Ghanéen maintenant connu sous le nom de «highlife» tire ses toutes premières influences de la musique des buvettes rurales de vin de palme, un style de musique dominé par la guitare et joué dans des lieux où l’on vendait le vin de palme. Au gré de nombreuses générations, le highlife a fait des expériences et a évolué, puisant son inspiration dans une combinaison de musiques folkloriques d’Afrique de l’Ouest, de chants d’église et de genres musicaux occidentaux comme le calypso, le swing, le jazz et le soul. Aujourd’hui, le highlife a donné naissance à des genres nouveaux à l’instar du hiplife (combinaison de highlife et de hip-hop) et de l’Azonto.
Les premières fanfares à jouer l’une des formes originales du highlife, appelé «adaha», ont émergé dans le sud du Ghana (alors connu comme la Gold Coast) au courant des années 1880, mais les premiers orchestres de danse ne sont devenus célèbres qu’en 1914. La plupart d’entre eux étaient des fanfares militaires, montées par des soldats ghanéens revenant de la Première Guerre mondiale, où ils avaient été exposés à des styles musicaux des Caraïbes et de l’Europe en combattant aux côtés des soldats étrangers au sein des régiments coloniaux britanniques.
Vu que cette musique était jouée pour des publics de la haute classe dans des salles de bal, elle a été baptisée «highlife», dans le sens d’une musique de grande classe. «Yaa Amponsah» du Kumasi Trio est la première chanson highlife connue à avoir été sortie officiellement. Cette dernière sort sous le label Zonophone à Londres en 1928. D’autres labels internationaux comme EMI et Gallo Africa vont également sortir plusieurs disques de highlife jusqu’aux années 1950. La première société locale de production de musique du Ghana, Ambassador Records Manufacturing Company, voit le jour à Kumasi, à la fin des années 1950.
Une nouvelle ère
Après la Seconde Guerre mondiale, des orchestres de danse à forte influence de jazz ont remplacé les anciens orchestres et transformés le son du highlife en fusionnant ce dernier avec d’autres genres comme le soul, le calypso, la rumba et le swing. The Tempos deviendra le plus célèbre des pionniers des orchestres professionnels de highlife de la Gold Coast d’alors. Formé en 1946 par des soldats européens en service dans le pays, le groupe fut hérité par des Africains, lorsque les membres originaux ont été réaffectés ailleurs. Le trompettiste et saxophoniste Emmanuel Tetteh Mensah rejoint le groupe en 1947 et ce dernier devient officiellement E T Mensah & His Tempos Band en 1950.
On reconnaît à Mensah, qui est devenu «Le roi du Highlife», la transformation du highlife d’un style de musique ghanéen peu connu en une force musicale dominante en Afrique de l’Ouest et au-delà. Sa fusion du swing, du calypso et de la musique afro-cubaine a permis à la musique highlife de s’exporter vers des villes nigérianes comme Lagos, Ibadan, Benin City et Warri. L’influence du highlife s’est répandue du Ghana et du Nigeria à la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone et aussi loin qu’au Congo de l’époque et au Kenya dans les années 1960 et 1970.
Les harmonies du highlife ont été enrichies avec l’ajout d’une section rythmique composée de bongos, congas, batterie, guitare, basse et maracas. Mensah a créé une passerelle entre le highlife et l’Afrobeat nigérian en enregistrant et en se produisant avec Fela Kuti et Dr Victor Olaiya, surnommé «le génie maléfique du Highlife».
La montée en puissance des «concerts-spectacles»
À partir des années 1950, les prestations de highlife seront caractérisées par les soi-disant «concerts-spectacles». Du théâtre improvisé tournant autour des réalités de la vie sociale au Ghana est produit par des comédiens, des acteurs, des danseurs et des chanteurs. L’intégration du théâtre au highlife marquera l’un des épisodes les plus importants de l’histoire de ce genre musical.
Le célèbre musicien ghanéen E K Nyame transforme les concerts-spectacles en introduisant la musique highlife originale chantée en langues locales pour remplacer les chansons américaines et européennes tandis que sa troupe d’acteurs, l’Akan Trio, adapte pour la scène des proverbes et autres traditions populaires évoquées dans les paroles de ses chansons. Il crée ainsi une nouvelle tendance dans les concerts-spectacles et révolutionne complètement ce format de représentations à une époque marquée par de forts sentiments anticoloniaux et pro-africains.
Le highlife et le mouvement de libération au Ghana se coalisent inéluctablement et fortement, à telle enseigne que Kwame Nkrumah le proclame musique de danse nationale du Ghana. Après l’indépendance en 1957, Nkrumah, en tant que Premier ministre et plus tard comme président, se fera souvent accompagner de musiciens de highlife comme Nyame lors de ses tournées dans des pays africains pour promouvoir son mouvement panafricaniste. Beaucoup de musiciens ghanéens laissent tomber les paroles en anglais et se tournent vers les langues indigènes comme le Twi et l’Akan, s’inscrivant ainsi dans le droit fil de la «personnalité africaine» préconisée par Nkrumah, une idéologie définie comme «l’expression du génie créateur africain, de la réalité commune sous-jacente à la diversité et la complexité des cultures africaines».
Nkrumah exhortait les artistes de highlife à produire une musique plus ghanéenne et à débarrasser leur mélodie de toute influence étrangère. Si les choses s’étaient passées selon les souhaits du leader ghanéen, même le nom de cette musique aurait changé de «highlife» à «osibi», un mot Akan qui fut l’un des premiers noms de ce style musical. Selon Nkrumah, une indépendance véritable impliquait autant l’éveil culturel du peuple que sa libération politique et économique.
Une musique politique
Les chanteurs de musique highlife ont enregistré des chansons à la louange du leader ghanéen, en témoigne des titres comme «Nkrumah Highlife» de The Tempos, «Kwame Nkrumah» de Kwaa Mensah et «Nkrumah ko Libéria» (Nkrumah se rend au Libéria) de The Fanti Stars. Toutefois, lorsque le vent de mécontentement se mit à souffler pendant les premières années du règne de Nkrumah après l’indépendance, les chansons de highlife traduisaient également le mieux les sentiments politiques ayant une forte prévalence au Ghana. Les African Brothers par exemple se servaient de fables qui avaient pour personnages des animaux afin de critiquer la tyrannie et l’oppression qui ont finalement conduit au renversement du gouvernement de Nkrumah dans un coup d’État militaire en 1966.
Le highlife connaîtra un déclin progressif dans les années 1970 quand la prédominance de la musique pop américaine et européenne commence à se faire ressentir. Quelques orchestres ghanéens, comme les Ashanti Brothers et City Boys, ont survécu en adoptant un style hybride associant highlife, pop occidentale, soul et reggae. Pendant ce temps, au Nigeria, les légendes du highlife comme Prince Nico Mbarga et son orchestre, Rocafill Jazz, se faisaient produire. Ils enregistrent alors l’une des chansons les plus connues de l’Afrique, «Sweet Mother». Parmi les artistes célèbres de ce style musical, on compte également Sonny Okosun et Victor Uwaifo.
À la merci du disco
Comme ce fut le cas dans de nombreuses parties de l’Afrique dans les années 1980, l’avènement des postes de disco, avec leurs faibles coûts d’exploitation, a sonné le glas pour de nombreux orchestres de highlife du Ghana. Par ailleurs, l’industrie de la musique du pays avait été gravement touchée par le marasme économique des années 1970, poussant de nombreux musiciens à quitter le pays pour l’étranger. Ceux qui sont restés derrière se sont arrimés au genre «gospel» qui connaissait alors une popularité rapidement grandissante.
Le gospel-highlife gagne en popularité, stimulé par les églises qui adoptent le concept des concerts-spectacles, ce vieux format de représentation combinant musique et théâtre. Cependant, les ventes de musique sont fortement entravées par le piratage des cassettes, le format principal de distribution de la musique à l’époque.
Un second souffle
Il faudra attendre le début des années 1990 pour vivre la renaissance du highlife, quoique sous un nouveau format. Connu sous le nom de hiplife, il s’agit d’un style hybride mêlant highlife et hip-hop, lancé par le rappeur ghanéen-américain Reggie Rockstone. Les jeunes du Ghana épousent cette musique parce qu’il emprunte peut-être au style rap américain, mais conserve toujours une identité distincte. Cette identité découle du fait que ce son hybride tire son inspiration de la musique highlife originale et les paroles sont en langues locales, à l’instar du Twi dans le cas de Rockstone.
La popularité du reggae mènera à la naissance d’un autre genre musical appelé «Raglife», qui est une combinaison de reggae et de highlife.
Un passé dont on peut s’enorgueillir
Avec l’émergence de ces nouveaux genres, il y a un regain d’intérêt pour les musiques highlife classiques des 70 dernières années, certaines desquelles ont été rematricées et sorties une fois de plus. Par exemple, la collection d’E T Mensah a été transférée des disques shellac au Sound Archive de la British Library à l’aide d’un procédé de numérisation. Cette collection a ensuite été sortie de nouveau sous la forme d’un coffret 4 CD en 2015[i].
Au Nigeria, des artistes contemporains comme 2Baba et Flavor perpétuent et remettent au goût du jour l’héritage du highlife en enregistrant des remixes et des reprises de chansons classiques.
Le highlife fut la première véritable musique panafricaniste. Le fait qu’il ait survécu jusqu’à présent dans de différents formats contemporains témoigne de sa capacité et de son dessein d’origine : embrasser et s’adapter à divers rythmes sans toutefois perdre son âme, son identité.
Cet article a d'abord été publié sur This Is Africa le 23 Juillet 2016
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