Interview : 5 questions à Ridha Bennacer
Ridha Benaacer, manager et producteur renommé, partage dans cette interview son parcours, sa vision de l'industrie de la production artistique en Algérie, ainsi que les défis rencontrés par les artistes et les managers dans un marché en constante évolution. Il aborde également les différences entre la gestion artistique en Algérie et à l'international, tout en soulignant l'importance de la passion et du dévouement dans ce métier exigeant.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel et comment vous êtes devenu manager et producteur ?
Mon approche des arts a débuté avec le théâtre, à Sétif, au sein des Campagnons de Nedjma, qui se revendique du théâtre Katebien. J'ai été profondément influencé aussi par les travaux Abdelatif Boubaf. C'était une période de maturation artistique pour moi, qui m'a conduit à lancer ma première boîte, Sit'Art, en 2011 où je bookais des artistes locaux dans des Maisons de la culture pour des événements de petite envergure.
À mesure que je gagnais en notoriété, j'ai obtenu une licence de promoteur de spectacle et j'ai commencé à travailler en tant que directeur artistique à Sit'Art, par la suite, en 2015, j'ai fondé Artidea Prod, une société où j'ai endossé la casquette de producteur de spectacles, et managers d'artistes comme feu Azzedine, Radia Manal, Bilal, et Jamal Laroussi.
Comment percevez-vous l'évolution de l'industrie musicale et de la production artistique en Algérie, notamment en termes de professionnalisation, de subventions, et en comparaison avec d'autres régions comme l'Europe?
L'industrie de la production artistique en Algérie est en pleine évolution, mais elle est encore loin d'être démocratisée comme en Europe. L'art et la culture en Algérie sont souvent subventionnés par l'État, notamment à travers des festivals financés par le ministère de la Culture. Cependant, cette dépendance aux subventions nuit parfois à la qualité artistique, surtout lorsque les appels d'offres se font au moins-disant. Bien que l'événementiel commence à émerger comme une véritable industrie, il manque encore une culture solide de tourisme musical. La stigmatisation de certains genres musicaux, comme le raï, malgré leur reconnaissance internationale, témoigne du chemin qu'il reste à parcourir pour professionnaliser et démocratiser ce secteur.
Quels sont les principaux défis que vous rencontrez en tant que manager et producteur en Algérie, et comment cela influence-t-il la carrière des artistes dans un écosystème encore en développement?
Le métier de manager en Algérie est encore mal compris et sous-estimé. L'industrie musicale algérienne souffre d'un manque de professionnalisme, de stigmatisation et d'un écosystème qui n'est pas encore fiable. Un des principaux défis est le manque de formation spécialisée, notamment pour les managers, ce qui m'a souvent conduit à orienter et parrainer de jeunes managers. Mon rôle ne se limite pas à organiser des concerts; il s'agit de développer la carrière des artistes avec une vision claire et des objectifs précis, une gestion complète à 360 degré. Les relations humaines constituent plus de 90 % de notre travail, mais il y a aussi une grande part de travail administratif et juridique, notamment en ce qui concerne les droits d'auteurs, les contrats, et les royalties.
La réussite d'artistes comme Kader Japonais montre qu'avec une bonne gestion, il est possible de construire une carrière solide sans bad buzz, mais beaucoup d'artistes algériens peinent encore à être reconnus, ce qui reflète un état d'esprit non gagnant.
L’art, la culture en Algérie sont souvent subventionnés par l'État, notamment à travers des festivals financés par le ministère de la Culture, Cependant, il y a une tendance à compter sur ces subventions, ce qui, à mon avis, nuit à la qualité artistique. Par exemple, je trouve anormal que dans le domaine de la musique, les appels d’offres fonctionnent avec le moins disant.
Nous sommes dans ton bureau, je remarque des photos en noir et blanc derrière toi. On y voit Wahbi, Azzem, El Anqa, Cheikha Tetma, Idir...C'est toute la richesse de la musique algérienne, n'est-ce pas, Il faut être mélomane pour faire ton métier?
Oui, c'est vrai, il faut être un mélomane pour vraiment apprécier et aimer ce métier. Pour moi, c'est une véritable vocation, une passion. La cerise sur le gâteau, c'est justement cette passion qui me guide au quotidien Je ne me vois pas faire autre chose. Si je devais faire un autre métier, je serais probablement un mauvais commerçant (rire). Les trois dernières années après la pandémie de Covid ont été très difficiles, il a fallu beaucoup de temps pour se relever. Mais c'est l'art qui me nourrit, qui me donne la force de continuer, même dans les moments les plus durs.
Quels sont vos projets futurs et votre vision pour l'avenir de l'industrie en Algérie ?
Nous envisageons des projets futurs qui combinent des événements artistiques avec des offres touristiques globales, ce qui nécessite un encadrement solide et une vision à long terme. Il est également crucial de démocratiser l'accès à des formations en management artistique, via des masterclasses par exemple, pour mieux préparer la nouvelle génération de l'écosystème musicale.
Enfin, il est important de reconnaître l'immense patrimoine culturel de l'Algérie. Beaucoup d'artistes qui s'exilent en Occident représentent une fuite des talents, de voix, après celle des cerveaux, ce qui est dommageable pour le développement de notre industrie locale.
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