Kaori Fujii : « La musique n’est pas un luxe mais un besoin humain fondamental »
Grâce à la magie des algorithmes des médias sociaux, plusieurs tweets d’une artiste japonaise travaillant avec l’Orchestre Symphonique Kimbanguiste OSK en RD Congo sont apparus sur mon fil d’actualité. Curieuse d'en savoir plus sur elle, son travail au Congo et surtout sa collaboration avec l’Orchestre Symphonique Kimbanguiste (OSK ) je l'ai contactée et, Kaori Fujii, fondatrice de Music Beyond a bien voulu répondre à quelques questions.
Découvrez son interview ci-dessous.
Vous êtes originaires du Japon et vous vivez aux États-Unis. Comment et quand est née la décision de participer à ce projet en RDC ?
Je suis née dans une famille de musiciens. Ma mère et ma sœur sont pianistes et mon père est clarinettiste. Cela m'a permis d’obtenir une excellente formation musicale et de bénéficier d’un soutien considérable tout au long de mon parcours.
Tout cela m'a aidé à devenir l’instrumentiste que je suis aujourd’hui et à jouer dans le monde entier, avec des musiciens extraordinaires, dans les plus grandes salles de concerts du globe. Cependant, il y a 4-5 ans, j'en suis arrivée à m'interroger après tout ce que j'avais déjà accompli : que devrais-je faire maintenant ?
J'ai réalisé que ma carrière a toujours été axée sur moi et sur mes propres accomplissements. À part les gens qui pouvaient se permettre de venir à mes concerts ou d'étudier avec moi à New York ou au Japon, Il a toujours s’agit de moi. Je me suis demandé s'il y avait quelque chose que je pouvais faire, pour créer une petite différence quelque part.
Un jour je suis tombé sur un film documentaire, réalisé par une station de radio allemande sur L’Orchestre Philarmonique Kimbanguiste et j'ai été incroyablement émue et touchée. J'ai pensé que grâce à l’excellente formation musicale que j'ai eue, je pouvais leur partager quelque chose. J'ai donc décidé de venir ici (en RDC) une fois pour rencontrer ces musiciens et voir si je pouvais collaborer avec eux. Je suis d'abord venue il y a 10 ans pour un séjour de 10 jours, et comme les choses se sont bien passées, j'ai créé une ONG. C'est comme ça que tout a commencé.
Je voulais créer un espace sûr pour que ces femmes puissent s'exprimer pleinement à leur façon. Il ne s'agit pas de découvrir la future grande star, mais d'aider ces femmes à trouver leur propre voix, à avoir quelque chose qui leur est propre et à réaliser le pouvoir qu'elles possèdent (...) le pouvoir de faire bouger les choses pour avoir un impact positif sur les générations futures de filles et femmes au Congo et ailleurs
Je voulais créer un espace sûr pour que ces femmes puissent s'exprimer pleinement à leur façon. Il ne s'agit pas de découvrir la future grande star, mais d'aider ces femmes à trouver leur propre voix, à avoir quelque chose qui leur est propre et à réaliser le pouvoir qu'elles possèdent le pouvoir (...) de faire bouger les choses pour avoir un impact positif sur les générations futures de filles et femmes au Congo et ailleurs.
Pouvez-vous m'en dire plus sur vos activités philanthropiques ?
Mon ONG Music Beyond a 2 composantes. L’une est un programme d'enseignement et la seconde fait partie d'un programme d'autonomisation de la femme. Donc pour le premier programme je travaille avec tous les musiciens de l'OSK. Ils jouent depuis de nombreuses années, mais ils n'ont jamais reçu une formation adéquate. Je pense qu'une éducation formelle les aiderait à exprimer ce qu'ils veulent plus librement.
Cela les aide aussi à se rendre plus rapidement d'un point A à un point B si je puis dire. La formation renforce leur confiance en leurs capacités en tant que musiciens. Cela les aidera aussi à enseigner aux enfants de leur communauté, en employant la même méthode. Les enfants pourront à leur tour devenir de meilleurs musiciens plus rapidement. L'OSK a entamé la construction d'une école de musique à Ngiri-Ngiri, Kinshasa. Lorsque l'établissement sera prêt, les musiciens de l'orchestre en seront les professeurs ; je les prépare donc à cela..
À propos du programme d'autonomisation des femmes, j’ai constaté que bien qu'il y ait beaucoup de femmes dans la chorale, il y a peu de musiciennes. J’ai entendu dire qu'elles sont souvent timides et jouent toujours à l'arrière. Alors j'ai décidé de créer un ensemble de femmes. J'espère qu'elles comprendront vraiment qu'elles peuvent aussi créer quelque chose d'extraordinaire. Elles savent qu’elles sont impressionnantes, mais ont tendance à éviter le contact avec le public.
Ce sont donc les 2 activités de Music Beyond : un programme de formation des enseignants et un programme d'autonomisation des femmes par la musique.
Parlez-nous d’OSK-Romance…
Je pense avoir répondu en partie à cette question dans ma réponse précédente, mais j’ajouterais ceci : les femmes naissent dans un monde où elles sont constamment stigmatisées, or elles ne veulent pas être présentées comme des victimes ou des faibles. Elles savent qu'elles sont capables et fortes. Ce sont elles qui tiennent les familles, qui élèvent les enfants et qui sont le véhicule de la communauté. Nous savons tous que les femmes congolaises/africaines sont très fortes.
Elles sont des instrumentistes en premier lieu, des artistes, et leur travail consiste à transmettre des émotions aux gens. Pour émouvoir le public, on ne doit pas être trop introverti. Je le dis toujours dans mon enseignement que si vous donnez 100%, le public obtiendra 60%. Donc, si vous ne donnez que 40 %, celui-ci ne ressentira rien.
Je voulais créer un espace sûr pour que ces femmes puissent s'exprimer pleinement à leur façon. Il ne s'agit pas de découvrir la future grande star, mais de les aider à trouver leur propre voix, à avoir quelque chose qui leur est propre et à réaliser le pouvoir qu'elles possèdent, le pouvoir des femmes qui se serrent les coudes et font bouger les choses pour avoir un impact positif sur les générations futures de filles et femmes au Congo et ailleurs. J'ai toutes les raisons de croire que c'est possible, réalisable, grâce à ces femmes extraordinaires.
Vous êtes vous-même flûtiste international et instrumentiste de profession. Comment la musique africaine en particulier a-t-elle contribué à votre carrière ? Intégrez-vous des sonorités africaines/congolaises dans votre travail par exemple ?
En travaillant avec les musiciens de l'orchestre OSK et en rencontrant tous ces musiciens extraordinaires dans la rue ou dans des clubs, ce que j'ai appris le plus, c'est le vrai pouvoir de la musique. Parce que je suis une musicienne classique, que je viens d'un milieu musical très conventionnel, d'une élite même, je pense qu'on oublie parfois le vrai pouvoir de la musique. La musique devient plus un métier et moins une passion. Je ne dis pas que je n'ai pas ressenti de la passion dans ma carrière, mais je n'ai pas réalisé la profondeur de la puissance de la musique.
Certaines personnes ont littéralement besoin de musique pour survivre, pour avancer. En tant que personne qui a grandi au Japon et étudié en Allemagne, je n'ai jamais été témoin de cela de manière aussi intense. Beaucoup d'artistes que je rencontre ici, ne le font pas pour la gloire ou uniquement pour des raisons économiques. J’ai rencontré des gens avec un réel don, vraiment prédisposés à devenir musiciens, c'est pourquoi ma responsabilité est de les aider à utiliser ce don. Pour répondre à la question, je ne peux donc pas dire que j'incorpore des sons africains dans ma musique, car la musique classique reste conventionnelle ; mais j'ai beaucoup appris en termes de mentalité et de philosophie musicale.
Je pense que le meilleur soutien que je peux obtenir des lecteurs de Music In Africa est de m'aider à changer la perception selon laquelle la musique est un luxe. C'est un besoin humain fondamental.
Je pense que le meilleur soutien que je peux obtenir des lecteurs de Music In Africa est de m'aider à changer la perception selon laquelle la musique est un luxe. C'est un besoin humain fondamental.
Quelle a été votre principale réalisation, grâce à votre fondation en RDC et qu'avez-vous l'intention de réaliser pour 2019 ?
Quand j'ai commencé Music Beyond il y a 4 ans, je n'avais aucun lien avec la RDC, ni avec le monde des ONG, je n'étais qu'une musicienne de carrière. J'ai donc beaucoup lutté au début car quiconque veut démarrer un programme de ce genre ici, reçoit l'habituel refrain : « ok, c'est très bien, mais le Congo (ou un autre pays africain) a des problèmes plus urgents ».
Les gens préféreraient parrainer un programme de vaccination ou autres choses du genre. J'ai dû batailler dur pour faire valoir l'importance de la musique dans le développement humain. Je dois expliquer sans cesse la distinction entre une raison de vivre et une raison pour vivre. L'eau, l'assainissement et la nourriture sont des moyens de subsistance. La musique et les autres passions donnent aux gens une raison de vivre. Voilà ce à quoi je dois souvent faire face, lorsque je suis à New York. Quand je suis en RD Congo, il y a tellement d'ONG par ici que les musiciens locaux me regardent souvent comme cette artiste fantaisiste qui va venir une seule fois et disparaître définitivement.
D'ailleurs, quand je leur annonçais la date de mon retour à chacun de mes voyages vers l'Amérique, ils me sortaient : « nous espérons que vous allez vraiment revenir. ». J'ai dû leur prouver que je ne faisais pas partie de ces gens qui viennent juste faire semblant, prendre quelques photos et disparaitre. Il m'a fallu deux ans pour les convaincre que j'étais là pour le long terme, afin d'obtenir enfin leur confiance.
Je dois dire qu'en 4 ans, les choses se sont beaucoup améliorées. Par exemple, l'ambassade du Japon a été d'un soutien incroyable, l'ambassade des États-Unis est également en train d’aimer et d'appuyer petit à petit notre projet. D'autres grandes ONG basées sur place me soutiennent aussi. Mais ce sont surtout les musiciens locaux avec lesquels je travaille qui m'apportent un grand coup de pouce.
Je pense que mon principal accomplissement a été d'établir une véritable relation de confiance avec ces artistes. Mon deuxième accomplissement est que j'ai de meilleures relations avec la communauté ici au Congo et avec les bailleurs de fonds à New York.
Avez-vous l'intention de travailler dans d'autres pays africains ?
Je ne sais pas si cela se produira cette année, mais j'aimerais sincèrement élargir ce projet dans un autre pays africain, d’ici probablement 2 ans. Cela ne veut pas dire que je vais arrêter de travailler ici au Congo. Mais j'aurai besoin de beaucoup plus de financement. Je pense que le meilleur soutien que je puis obtenir des lecteurs de Music In Africa, serait de m'aider à changer cette vision erronée selon laquelle la musique serait un luxe. C'est un besoin humain fondamental. Ensemble nous devons travailler à changer les mentalités.
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