L’éducation musicale au Congo-Brazzaville
Par Privat Tiburce Martin Massanga
Il existe un réel contraste entre l’aura musicale et les méthodes d’initiation à la musique au Congo Brazzaville. A l’instar d’un cordonnier mal chaussé, le Congo ne dispose pas d’une politique réelle d’éducation musicale.
En dépit du fait que ce pays de la rumba soit un immense vivier de grands artistes (Fredy Massamba, Ballou Kanta, Essous, Zao, Pamelo Mounka, Pierre Moutouari, Franklin Boukaka, Extra Musica, Bantous de la Capitale…), et dont la capitale politique, Brazzaville, a été déclarée le 12 octobre 2013, « ville de musique [i]» à la suite de son inscription au Réseau des villes créatives de l’UNESCO, devenant ainsi la première ville africaine à bénéficier de ce label de reconnaissance mondiale.
Si la musique est la meilleure carte de visite du Congo, a contrario, celle-ci émerge et se développe au hasard des rencontres humaines et de la volonté exacerbée de ceux qui veulent la pratiquer. L’éducation musicale étant pratiquement absente dans les écoles et autres lieux où devraient se transmettre l’amour et la passion du chant ou des instruments. Nonobstant le fait que le pays abrite tous les deux ans l’un des plus grands événements continentaux de la musique, le Festival Panafricain de musique (FESPAM).
Quelle école pour quelle éducation musicale ?
« L’école congolaise est en crise et les problèmes qui la minent sont aussi nombreux que variés. En effet, de nombreuses études sur le système éducatif congolais ont très souvent abouti à un même constat, celui de sa dégradation très prononcée. Ce diagnostic a toujours été accompagné de solutions dont la mise en œuvre, dans la plupart des cas, requiert d’importants moyens aussi bien humains, matériels que financiers »[ii], souligne un rapport de 2001 du Bureau International d’Education de l’Unesco. Ce constat n’épargne point l’éducation musicale.
Le Congo Brazzaville est l’un des pays les plus alphabétisés d’Afrique, l’école publique y étant gratuite avec l’obligation scolaire pour les enfants âgés de Six(06) à Seize(16) ans. Dans les années 70-80 du siècle dernier, le Congo se classait parmi les pays au monde ayant atteint la scolarisation universelle. Cette bonne option scolaire n’intégrait pas l’éducation musicale, sinon dans une moindre mesure et de façon occasionnelle. Dans ces années là du Communisme, on n’étudiait pas la musique. Celle-ci était obligatoire dans le cadre de l’apprentissage des « chants révolutionnaires » et surtout des animations culturelles pilotées par des enseignants non-initiés en musique. Tout instituteur ou professeur pouvait s’occuper de la conduite d’un groupe vocal constitué de jeunes enfants.
Les cours de musique inexistants dans les programmes scolaires
Aujourd’hui, dans les programmes scolaires du Congo (Enseignement public), il n’existe pas de cours de musique comme tels. Bien qu’au secondaire, on distille une petite dose de culture musicale à travers essentiellement l’apprentissage des notes et des noms d’instruments de musique. Aucune initiation comme telle n’accompagne ces cours théoriques. Les élèves ont rarement, sinon jamais, eu l’occasion de toucher à des instruments de musique pour réveiller une quelconque passion. Depuis la fin des années 80, même les groupes vocaux dont devait disposer chaque école n’existent plus. « On s’étonne que nos enfants manquent de créativité. La musique ne s’enseigne pas. Elle s’initie et permet de développer beaucoup de capacités chez l’enfant. Ne nous étonnons pas que de nos jours, on ait affaire à de jeunes musiciens qui ne connaissent même pas la structure d’une chanson ni l’harmonisation d’un chœur. Nos enfants n’ont aucune vraie éducation musicale », souligne Ghislain Pambou, professeur de musique à l’Ecole Nationale de Beaux Arts. Cependant, quelques écoles privées des grandes villes (Brazzaville, Pointe-Noire, Dolisie) assurent une vraie initiation à la musique aux enfants. Il s’agit particulièrement des écoles catholiques, des écoles françaises et de quelques écoles affiliées à l’Unesco. Les enfants y bénéficient de vrais cours de musique avec exercices pratiques grâce à des enseignants formés dans le domaine.
Une seule vraie institution pour apprendre la musique
L’Ecole nationale des Beaux-arts Paul Kamba[iii] est la seule entité permettant d’apprendre et de se professionnaliser en musique ou en arts plastiques. Créée il y a 34 ans sur les cendres de l’ancien Centre d’études des beaux-arts, l’accès s’y fait par voie de concours à partir du niveau brevet du 1er cycle secondaire. La formation y dure quatre ans repartie comme suit : une année d’initiation et trois années de spécialisation. Cette école forme une élite d’artistes et de cadres en musique qui finissent par l’enseigner dans certaines écoles et à la pratiquer comme profession. On peut citer dans ce dernier cas quelques noms remarquables découvert au cours de ces dernières années : Harold Nganga, Prince Mayindou ou Liz Babindamana. Ce qui va s’en dire que cette école ne peut s’ouvrir à un grand nombre de jeunes pour apprendre la musique. Les quotas étant limités.
L’église, premier lieu d’éducation musicale au Congo
De façon générale et depuis toujours, au Congo Brazzaville, l’Eglise a d’une manière tacite, entre autres missions, l’éducation musicale des jeunes fidèles. Les églises Catholique, Evangélique, Kimbanguiste et salutiste voire celles dites de réveil, très en vogue de nos jours et présentes dans toutes les contrées, constituent les seuls endroits où l’on initie véritablement les jeunes à la musique, que l’on soit en ville ou en campagne. Bien que la vision artistique des enfants soit limitée au sacré et à une catégorie donnée de musique ou de chant imposée par le corps ecclésiastique. Dans les chorals et autres groupes de chants, on trouve bon nombre d’enfants s’intéressant au maniement des instruments de musique ou à la vocalisation. D’ailleurs, dans la plupart des groupes de musique, les principaux talentueux chanteurs ou instrumentistes sortent de ce moule de l’église, dans leur grande majorité. On citera par exemple pour la jeune génération, certains d’entre eux qui affûté leurs armes au sein des églises: Roga Roga et Espé Bass d’Extra Musica, Jackson Babingui, Oupta ou Nteko.
Le mimétisme et l’auto-apprentissage
Hormis les églises, l’Ecole Nationale des beaux Arts et quelques initiations dans certaines écoles primaires et secondaires, apprendre la musique au Congo pour les jeunes est très souvent une démarche personnelle ou familiale. Beaucoup de jeunes et certainement la grande majorité de ceux s’intéressant à l’art du Dieu Apollon, l’apprennent par mimétisme en regardant jouer ou chanter un proche. Si ce n’est pas en se faisant initier par celui-ci. La plupart de jeunes instrumentistes ont appris auprès des copains, des aînés quand ce n’est pas en payant un encadreur pour des cours particuliers.
Les initiatives privées au secours de l’éducation musicale
Pour pallier le vide existant en matière d’éducation musicale, plusieurs organisations prennent le relais pour intéresser les jeunes à la musique. L’Institut Français (à Brazzaville et Pointe-Noire), le Centre Culturel Russe à Brazzaville et le Centre Culturel Jean-Baptiste Tati Loutard à Pointe-Noire organisent, parfois, des ateliers d’initiation destinés aux jeunes. En dehors de ces entités institutionnelles, il sied de mentionner l’initiative du musicien de jazz, Fredy Mabanza, qui a lancé depuis quelques années au quartier Plateau de 15 ans à Brazzaville, la Maison de l’Education Musicale. Un centre qui récolte du succès et qui reçoit beaucoup d’enfants pour leur initiation à divers instruments de musique.
[i] http://www.unesco.org/new/fr/culture/themes/creativity/creative-cities-n...
[ii] http://www.ibe.unesco.org/International/ICE/natrap/Congo.pdf
[iii] Rebaptisée École nationale des beaux-arts Paul-Kamba le 14 avril 1984, en mémoire de l'un des pionniers de la musique congolaise
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