L’héritage musical de Papa Wemba
« Papa Wemba est parti, mais sa musique continue de raisonner dans nos cœurs ». Un refrain repris sans cesse dans les milieux culturels, sportifs, scientifiques et même politiques depuis la disparition de l’artiste le 24 avril dernier sur la scène du Femua (Festival des musiques urbaines d’Anoumabo) à Abidjan (Côte d’Ivoire).
Cet article est une réponse (je crois) à la question posée par une mélomane camerounaise de Papa Wemba. « Que ce qu’il a laissé comme héritage à son pays ? ». Sa fortune ? Je ne connais pas combien il a gagné durant sa carrière musicale. Le plus important est dire ce qu’il a été pour son Congo natal, l’Afrique et le monde.
La musique
Vous êtes comme moi à croire que Papa Wemba était d’abord connu comme Chanteur. Il débute sa carrière musicale en 1969 dans le groupe Zaïko, dont il a co-fondé avec Jossart Nyoka Longo, Evoloko Jocker, Bimi Ombale et Pépé Felly Manuaku. Avant de créer Viva La Musica en 1974, il est passé par les orchestres Issifi Lokolé et Yoka Lokolé.
Auteur-compositeur, mais c’est sa voix qu’il a permise de devenir la star qu’on a connu. « En tant que chanteur, il était l’un des plus doués qui pouvait évoluer sur des registres différents et donner entière satisfaction. » a déclaré Botowamungu Kalome, Journaliste et cofondateur du magazine web Afriquechos.ch. « C’est un homme d’une voix inégalable. Je pourrais dire une voix d’or » témoignait Banza Mukaly, ancien ministre de la culture en RDC.
Papa Wemba avait consacrée toute sa vie à la musique. Il est allé jusqu’à lui faire un serment. « Tant que j’aurai des frissons pour la musique, je resterai son fidèle serviteur… ». Au-delà de sa voix, le chanteur congolais a apporté une autre contribution à la musique congolaise. Il a crée la rumba-rock, une fusion de rumba et de pop-rock. Il a enrichi la musique congolaise en empruntant la musique de son terroir et a introduit des instruments de musique traditionnelle comme le « lokolé », qu’il utilisait fréquemment dans son groupe. On peut facilement entendre le son de cet instrument dans le titre « Analengo » chanté en « tétéla » sa langue maternelle.
Il a porté loin sa musique jusqu’à devenir une star internationale. On doit surtout son succès planétaire à Real World, le label de Peter Gabriel qui a produit ses trois albums « World » dont Emotion sorti en 1995 avec une touche particulière de Lokua Kanza qui fut son arrangeur. « Il m’a fait confiance de pouvoir composer pour lui, de pouvoir l’arranger » a témoigné Lokua dans une interview sur les antennes de RFI (Radio France Internationale). Le résultat de cette collaboration : un album vendu à cinq cent mille exemplaires et un disque d’or aux Etats-Unis d’Amérique.
Wemba, à travers sa musique était devenu citoyen du monde, son art a traversé des frontières. « Ce que je fais, ce n'est même plus de la musique zaïroise, ce n'est même plus de la musique africaine. Mais c'est de la musique tout court», expliquait-il dans un entretien sur les ondes de Deutsche Welle (DW). La radio internationale allemande.
Papa Wemba a également contribué à l’émergence de la nouvelle génération. Il est comme on dit à Kinshasa « le grand formateur ». C’est lui qui avait accueilli en 1982 Reddy Amisi dans Viva La Musica, le jeune artiste n’avait que 21 ans, il est parti en tournée avec lui et lui a ensuite permis de réaliser ses propres albums tout en étant dans le groupe.
Papa Wemba a également chanté avec JB Mpiana, dans son album Feux de l’Amour sorti en 1997. Barbara Kanam a prêté sa voix dans Maître d’école, le dernier tube de Wemba paru en 2014. Sans oublier Viva La Musica Nouvelle Écriture, un groupe des jeunes talents qu’il a crée en 1996.
La Sape : être toujours élégant
Sape et musique vont toujours ensembles. « Bien sapé, bien parfumé et bien coiffé» fait allusion à l’élégance. C’était l’évangile et le mode de vie de Papa Wemba. Il voulait toujours paraître. Il avait parfois un code vestimentaire que seuls les initiés pouvaient comprendre. On se souvient de « bilamba mabé », « des vêtements bizzares », un look très « branché ». Il est le précurseur du mouvement de la Sape (Société des ambianceurs et des personnes élégantes) né dans les années 80 pendant ses tournées au Japon.
Ses « griffes » (noms de grands couturiers nippons) favorites fût Kenzo, Yohji Yamamoto, et Issey Mikake. Que du marketing gratuit pour ces grands noms de la couture dont il ne percevait rien en retour. Il a fini par arrêter de les citer pendant ses concerts ou dans les médias. « La preuve est qu’il est mort sur scène en Côte d'Ivoire avec une collection 2016 de Dolce & Gabana mais il n’a pas eu à en parler pendant son concert » a déclaré Didier M’buy, Enseignant dans une université au Congo Kinshasa et fin connaisseur de la musique congolaise.
Le mouvement de la Sape a également influencé d’autres générations d’artistes. Je me souviens au cours d’un entretien à la télévision, King Kester Emeneya déclara qu’il pouvait débourser jusqu’à 25.000 francs français pour une chemise (3811 Euros aujourd’hui. Je me suis demandé si cette chemise était cousue avec l’habit d’un ange).
La Sape a même traversé le fleuve pour atteindre le Congo Brazzaville. Rapha Boundzeki, considéré comme le Père de la sape dans son pays, s’affichait avec Papa Wemba, dans le titre « L’origine de la sape ».
Il faut voir les sapeurs pendant les obsèques de Papa Wemba à Kinshasa. C’était plutôt la joie à la place de la tristesse. Ils ont pleuré et célébré à leur manière le Pape de la Sape africaine, le Roi de la rumba congolaise. « Papa...Papa….Papa Wemba tu continueras à saper au ciel comme tu le faisais sur terre. Adieu Papa… » a lancé un jeune-sapeur du Congo Brazzaville.
Un modèle de réussite
Pour la plupart d’artistes la musique rime avec le succès et son corollaire, l’argent.
Sorti d’une famille modeste, son père fut un ancien combattant de la Force Publique (l’armée nationale à la colonisation belge). Papa Wemba a réussi en partant de rien (disons de quelque chose : sa musique) pour devenir ensuite une star mondiale, un symbole de réussite pour les jeunes et surtout pour les artistes. « Lorsqu’on voit sa brillante carrière, il symbolise le sens de la gagne, la réalisation de soi, la race de vaincre. Il avait en lui cette folle envie de vaincre » constate Didier M’Buy.
Il avait un rêve, il voulait réussir et allez plus loin. « Papa Wemba n’a pas fait des grandes études, mais il a appris sur le tas. Il se cultivait. Il était un autodidacte.» m’a confié un de ses proches.
Son crédo en kikongo (une des langues locales en RDC), « Kento ya ngolo, Inzo ya ngolo, mutuka ya ngolo », qui veut dire, une bonne femme, une jolie maison et une belle voiture ». Repris ensuite dans un « lingala » urbain par les musiciens de Wenge Musica. « Car a danzé, Momie y a danzé, palais a danzé ».
En réussissant, il est parmi ceux qui ont sauvé l’honneur des artistes. Aucun parent ne voulait à l’époque donner sa fille à un musicien. Un métier sans avenir, des petits voyous obligés à quémander. La réussite sociale de Papa Wemba a inspiré des jeunes gens issus de familles ou quartiers défavorisés.
Tout est possible à celui qui veut réussir.
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