La Musique « Mbalax »
Par Fadel Lo
La musique sénégalaise est assimilée à un genre qui a fini de lui donner son nom – le Mbalax- la musique dominante !
Le Mbalax au Sénégal une musique qui peine à percer sur le marché international.
La musique sénégalaise est assimilée à un genre qui a fini de lui donner son nom. Il s’agit du Mbalax, ce vocable qui a fait le tour du monde grâce à des artistes comme Youssou N’Dour. Il n’est pas aisé de dissocier ce terme Mbalax à la musique sénégalaise. Ce rythme tiré d’un instrument de musique le sabar, a fini par servir de marque de fabrique à la musique sénégalaise. Elle a même réussi la prouesse de tout phagocyter sur son passage. Cette hégémonie a fini par voir éclore des genres dérivés de ce rythme principal. C’est ainsi que l’on a eu des déclinaisons comme le Rock Mbalax, le Zouk Mbalax ou encore la Salsa Mbalax. Pourtant cette longue marche vers le succès ou encore la reconnaissance nationale et internationale ne fut pas facile. Il a fallu passer par plusieurs étapes et opérer de nombreuses greffes avant d’en arriver à ce résultat. S’il est indéniable que le Mbalax a pu s’imposer au Sénégal, il faut convenir qu’il peine à aller à la conquête du marché international
Le Mbalax un rythme dominant
Selon le célèbre tambour major Doudou Ndiaye Rose qui est une voix autorisée, le Mbalax est un rythme joué par le sabar un petit instrument qui fait partie de la batterie usitée par les joueurs de percussion de l‘ethnie wolof. Le maître qui a fini par imposer son style et sa classe au monde entier poursuit en révélant que le Mbalax est un air d’accompagnement que joue un instrumentiste au sein d’un groupe de percussionnistes. À son avis c’est par déformation qu’on a fini par assimiler cet air d’accompagnement à l’ensemble de la musque sénégalaise. Cela peut se comprendre car le Mbalax est un rythme wolof qui constitue l’une des principales ethnies du Sénégal. Cette langue est la plus utilisée au niveau des grandes villes du Sénégal.
Ceci peut donc expliquer cela. Toujours est-il cette suprématie du Mbalax ne fait aucun doute. Même si le sénégalais est un mélomane ouvert et averti qui apprécie tous les styles et genres musicaux, le Mbalax a bel et bien fini par s’imposer au grand public. Pourtant force est de constater que cette conquête ne fut pas rapide et le processus de maturation a mis du temps avant d’exploser au grand jour. De nos jours le Mbalax est tout simplement assimilé à la musique sénégalaise. Non content d’être le genre le plus écouté, il a même intronisé un Roi qui se nomme Youssou N’Dour. Mieux encore les batteurs de tam-tam ont fini par truster les premières places des hits parades locaux à l’instar de Mbaye Dieye Faye, Salam Diallo ou encore Pape Ndiaye Thiopet. Il serait alors intéressant de se pencher sur le long parcours qui a mené à ce résultat diversement apprécié.
Une longue marche vers la reconnaissance
Il faut retenir que le Sénégal est réputé être une terre d’accueil. Cette ouverture a fait que les groupes musicaux ont très tôt commencé à essaimer à Dakar et à l’intérieur du pays. Mais il faut attendre la fin de la deuxième Guerre mondiale pour voir les orchestres fleurir un peu partout à Dakar. À l’époque les sénégalais qui étaient sous la coupole de la France aimaient faire la fête. Pour réussir une bonne soirée il fallait donc faire appel à des orchestres. Ces groupes musicaux se plaisaient à reprendre des classiques européens et américains.Au moment des indépendances en 1960 le doyen Bira Guéye avec son saxophone essaye de promouvoir une nouvelle forme musicale. Il met en scène des femmes comme Mada Thiam qui chantent en wolof et s’inspire du folklore national.
C’était l’époque ou nos artistes locaux s’échinaient à reprendre des standards de tango, valse, biguine, et autres variétés occidentales. Cette pratique perdura jusqu’à l’arrivée d’un certain Ibra Kassé. Le propriétaire du Miami et natif de Kaolack a décidé d’ouvrir un cabaret à son retour de France à la fin de la Guerre. Il faisait jouer un orchestre le Star Band et timidement il a décidé de donner une âme et une identité propre à la musique sénégalaise. Il a d’abord commencé par introduire les langues nationales avant de trouver une place au «tama» ce tambour d’aisselle bien de chez nous qui assure le rythme. C’est ainsi que des artistes comme Doudou Sow et Mamané Fall ont commencé par jouer un rôle prépondérant au sein du Star Band. À la fin des années 1970 et suite au départ de la bande à Pape Seck pour former le Star Band Number One, Kassé va tendre la perche à un certain Youssou N’Dour.
Ce dernier fourbit patiemment ses armes et commence par introduire timidement des airs du folklore local. Des morceaux comme « Guédj » et « Faye Birame Penda Wagane » font la part belle au tama de son ami Assane Thiam Mais force est de constater que cette immixtion timide prendra encore du temps avant de faire le tour du pays. Des orchestres comme le Baobab de Dakar et le Number One ont essayé sans succès de s’engouffrer dans la brèche. Le Sahel de Dakar tente timidement de faire bouger les choses au début des années 1970. Sous l’impulsion du Grand Cheikh Tidiane Tall des chanteurs comme Idrissa Diop et feu Seydina Insa Wade essayent de changer les choses en chantant en wolof sur des airs de sabar. Mais l’expérience ne fut pas concluante car le groupe se disloqua après prés de trois ans d’existence.
Finalement c’est le Super Diamono de Dakar qui sera à la base d’une vraie révolution. Outre le tama ils introduisent une vraie batterie de percussions wolof avec la grande contribution d’Aziz Seck le fils d’Aly Guèye Seck le célèbre tambour major de Kaolack. Ce dernier qui a une réelle maitrise de son art n’éprouve aucune difficulté à se mouvoir au sien de cette formation adepte de l’Afro feeling Music. Au coté de Omar Pène, Bailo Diagne et Adama Faye, le groupe opère une totale rupture.
Omar Pène qui ne chante qu’en wolof arrive à poser sa voix sur la musique recherchée et aseptisée du Super Diamono. Ils marchent sur les traces de l’Ifang Bondy de Banjul. Sans complexe ils arrivent à imposer un nouveau genre qui fera plus tard des émules. Des orchestres comme l’Étoile de Dakar, le Canari de Kaolack; le Royal Band de Thiès essayent de suivre la cadence tout en restant fidèle à la musique afro cubaine. Il a fallu attendre l’entame des années 1980 avec l’avènement du Super Étoile d’un certain Youssou N’Dour pour que le Mbalax arrive enfin à imposer son hégémonie au plan local.
Youssou N’Dour, un Roi incontestable et incontesté
L’enfant de la Médina qui venait de quitter l’Étoile de Dakar pour fonder le Super Étoile arrive rapidement à faire vibrer les foules. Au début il opère une totale rupture en tournant le dos au style afro cubain. Devenu seul maître à bord de son orchestre il chante en wolof et arrive à mettre en avant ses amis Assane Thiam et Mbaye Dieye Faye. Soutenu par un public tombé sous son charme il crée de nouvelles danses comme le «Ventilateur» et arrive à semer de nouvelles graines. Malgré la rude concurrence du début qui le mettait souvent aux prises avec El Hadji Faye son ancien compagnon de l’Étoile, il arrive à sortir nettement du lot.
Un peu hésitant au départ il finit par intégrer dans son orchestre une vraie batterie wolof avec Mbaye Dieye Faye à la baguette. Ajouté à cela le concours savoureux de son danseur Alla Seck, qui excellait dans le «tassou» (art musical wolof consistant à parler rapidement sur un rythme saccadé), on obtient facilement un cocktail explosif. Cette entame de la décennie 1980 voit aussi de nouvelles voix sénégalaises qui arrivent au devant de la scène.
Thione Seck qui a quitté le Baobab met sur pied le Raam Daan et arrive avec son propre style. Misant entièrement sur un rythme endiablé avec plus de trois percussionnistes, il s’affirme comme un adepte du Mbalax pur et dur. Sa musique dansante lui ouvre les portes des boites de nuit dakaroises comme le Sahel et Orca Night Club. Ismaël Lô qui est un guitariste et harmoniciste de talent surnommé l’Homme Orchestre met sur pied son groupe à son départ du Super Diamono.
Baaba Maal impose facilement son Yéla avec aussi des sonorités Mbalax. Cette période de grâce se poursuivra durant plus de deux décennies. Lamine Faye qui a formé son orchestre en 1992 amène une nouvelle touche. Très mélodique et inspiré ce guitariste et arrangeur de génie, impose un nouveau style, le marimba. Ce style nouveau met en exergue le clavier qui joue un rôle prédominant en surfant sur des notes de kora ou de balafon. En assurant le tempo de cette manière hardi et innovant le Lemzo Diamono bouscule sérieusement la hiérarchie et devient rapidement un orchestre incontournable sur la scène musicale.
Malheureusement l’aventure ne dura pas longtemps et en 1995 le groupe qui a enregistré de très nombreux départs finit par se disloquer au grand dam des mélomanes. Des transfuges de cet ensemble comme Alioune Mbaye Nder et Fallou Dieng s’emparent de la perche et connaissent un certain succès. D’autres jeunes comme Alioune Kassé, Boy Marone, Coumba Gawlo Seck Abdou Guité Seck arrivent aussi à creuser leur trou et à se faire connaitre du grand public.
Les femmes aussi ne seront pas laissées en rade et Kiné Lam sortira rapidement du lot. Avec l’aide de Cheikh Tidiane Tall elle met sur pied son orchestre le Kagou au milieu des années 1990. D’autres suivront à l’instar de Dial Mbaye, Soda Mama, Daro Mbaye, Madiodio Gning, Fatou Guewël, feue Aby Gana et tant d’autres. Cheikh Tidiane Tall qui avait senti le coup expérimente la musique tradi-moderne (contraction de traditionnelle et de moderne) et permet à beaucoup de ses femmes de sortir des produits. À cette même époque certains artistes conscients du rôle dominant du Mbalax essayent de trouver des raccourcis en créant des rythmes dérivés de ce style. On peut citer l’exemple de Demba Dia avec son Rock Mbalax, du Ndjolor de Castors avec son Zouk Mbalax, du Rap Mbalax avec Black Mbolo ou encore du Super Cayor et de son salsa Mbalax. C’est l’âge d’or du Mbalax et les productions essaiment sur le marché.
Cette belle période prendre fin à l’entame des années 1990 avec l’arrivée de jeunes artistes qui peinent à assurer la relève. Des jeunes comme Pape Diouf, Viviane, Mada Ba, Amy Mbengue, Daba Séye, Salam Diallo, Titi font leur apparition avec plus ou moins de réussite. Des percussionnistes qui sont maitres dans l’art de produire du rythme s’essayent à la chanson et font un vrai tabac. On peut citer des artistes comme Mbaye Dieye Faye, Salam Diallo, Pape Ndiaye Thiopet, Secka, Bada Seck, Bakane Seck etc.
De jeunes loups sortent parfois du lot mais sans réellement arriver à faire de l’ombre aux ténors que sont Youssou N’Dour, Thione Seck, Ismaël Lô et Baaba Maal. Des jeunes comme Waly Seck, Abou Thioubalo et Pape Diouf créent quelquefois la sensation avant de regagner les rangs. Malgré cette belle éclaircie le Mbalax ne manque pas d’étaler ses limites. Ce genre peine à percer sur le marché international. Des artistes comme Vieux Mac Faye, le talentueux guitariste tente d’expliquer cela par le fait que c’est un rythme ternaire qui n’est pas connu du public occidental.
À son avis le Mbalax est joué à contretemps et cela a grandement contribué à le desservir au niveau international. Cette explication semble tenir la route car les rares groupes qui ont décroché des disques d’or, ont du faire appel à des artistes étrangers au Mbalax. C’est le cas de feu Laba Socé, Youssou N’Dour (avec seven seconds) Coumba Gawlo avec «Pata Pata» et le Touré Kunda avec le fameux Djambadong mâtiné de Reggae et de salsa. Il est donc urgent d’essayer de réussir une parfaite greffe pour que le Mbalax puisse exploser au niveau international. Ce travail de longue haleine sera sans doute mené par les jeunes talents.
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