La musique Merksawi, le fil rouge de la Libye
Les arts et musiques populaires libyennes divergent d’une région á une autre mais si on peut citer un fil rouge qui traverse le pays, c’est sans conteste l’art populaire du Merksawi. Les libyens semblent unanimes á son sujet, c'est l’un des arts majeurs de la mémoire collective libyenne, il tisse de par sa cosmogonie, une relation émotionnelle avec de nombreux détails de la vie des libyens.
De Murzuq á Benghazi
Nombreuses thèses s’accordent pour avancer que cet art populaire prend racine dans l’oasis de Murzuq, située á l’extrême sud du pays dans le Fezzan, une région historique riche de ses brassages et populations où se côtoient toubous, amazigh touareg, arabes et ahali.
Le mot Merskawi serait, selon certaines sources, une déformation du mot Murzuq, lieu de son baptême pour se diffuser, par la suite dans d’autres villes du sud comme le Ghat, Hun, et Sabha avant s’établir á Benghazi (deuxième plus grande ville de la Libye), située au nord-est du pays. C’est á Benghazi, loin du joug tribal que le genre s’épanoui et se régénère. Il se conjugue á l’accordéon et aux percussions, puis le qanun, la flute et la guitare.
D’autres affirment que le genre tire son appellation du vocable « le mauresque », en référence aux morisques andalou dont la diaspora s’établit dans plusieurs villes de l’Afrique du nord. Ce qui nous renvoie á divers clés de lectures relatives á sa genèse. En effet, les corpus du Merksawi sont analogues dans leurs métriques aux Muwas’hat andalouse, ces corpus, « naît à Cordoue à la fin du Xe siècle, et fut inventé par un poète de Cabra : Muqaddam Ibn Mu’afa ». Sa diffusion en Afrique du nord est antérieure á la chute de l’Andalousie musulmane.
Mais le Merksawi transcende les formes classiques de la musique andalouse et y intègre des rythmes et mélodies divers. De plus, la thèse de l’origine andalouse perd de sa véracité compte tenu de la position géographique de l’oasis Murzuq mais demeure admise compte tenu du prestige qui entoure la musique andalouse dans l’imaginaire collective des libyens et de nombreux nord-africains.
Un héritage fédérateur
Merksawi est d’abord une tradition lyrique orale qui remplit une fonction sociale lors des fêtes á caractère communautaire dont les thèmes sont axés sur l’amour et la nostalgie. Au milieu des années 50, plusieurs artistes et paroliers sont sommés de travailler sur des nouveaux textes pour verser dans « le politiquement correct » et permettre la diffusion du genre sur les ondes de la radio nationale. La Libye indépendante de Mohamed Idris El-Senoussi tente d’ériger des symboles fédérateurs et le genre s’y prête. A l’issue de cette réforme, plusieurs artistes s’illustrent dans le Merksawi tels que Muhammad Sidqi, Salam Qadri, Ali Al-Jahani et tant d’autres.
Né du métissage de plusieurs patrimoines et styles musicaux, le Merksawi contemporain incarne un héritage fédérateur alliant patrimoine lyrique traditionnel, la danse, la poésie urbaine, de la métrique arabe et rythmes amazigh, mais également des substrats subsahariens attestant de la richesse culturelle du sud de la Libye marqué par le multi-éthnisme.
Parmi les plus importants de ceux qui ont chanté à Merskawi depuis la génération des années 50, 60 et 70 figuraient Muhammad Sidqi, Abdul Latif Huwail, Ali Al-Shaalia, Sayed Boumediene, Khadija Al-Fonsha (Warda Al-Libya), Ali Al-Jahani et (Ali Wika), ils incarnent l'âge d'or du genre.
Génération 80’
Cet art ne demeure ni autotélique ni figé. Il intègre plusieurs instruments traditionnels issus de plusieurs régions libyennes comme la ghaita ou maqrona (instrument á vent qui se compose de deux anches et un corps en bois), la darbouka et le bendir (percussions). La nouvelles scène n’hésite pas ajouter des instruments occidentaux modernes comme le synthétiseur ou l’accordéon.
C’est sans conteste la génération 80’ qui offre au genre son aura actuelle et un nouveau souffle. Il quitte le confort du politiquement correct pour aboutir á la version contemporaine que nous connaissons aujourd’hui. Libéré, sulfureux et décomplexé, il devient la musique libyenne la plus urbaine et la plus populaire.
Il relate la réalité libyenne en raison de sa capacité à traiter divers contenus et sujets. Il a su répondre à la réalité sociale, politique et culturelle et suivre le rythme. Les moyens de diffusion modernes ont considérablement accru sa renommée qui dépasse, désormais, les frontières de la Libye pour se diffuser dans les régions frontalières des pays voisins comme la Tunisie et l'Algérie.
Le Merksawi dans sa dialectique et son évolution rappelle á un plus haut point le raï algérien, qui, en perpétuel mutation, verse dans l’audace et la transgression dénotant du conservatisme et puritanisme libyen. Il s’agit là, d’une réappropriation et une interprétation libre d’une jeunesse avide de changement qui n’hésite pas á casser les tabous.« Seuls les Libyens qui le scandaient dans leurs joies et applaudissaient derrière ses rythmes de spécificité locale étaient ses partisans et étaient son parapluie protecteur. D'autres décennies se sont écoulées, et nous voici témoins de l'ère de sa prospérité » affirme le journaliste libyen Zakaria Al-Anqudi.
Ressources :
- P. Trousset , J. Despois , Y. Gauthier , Ch. Gauthier et EB, Fazzan ( Phazanie, Targa). Encyclopédie Berbère
- https://journals.openedition.org/encyclopedieberbere/2083
- Abdulmonam Ben Hamed. La tradition citadine libyenne et son acculturation : Étude du chant tripolitain (1960-2010). Musique, musicologie et arts de la scène. Université Nice Sophia Antipolis, 2014. Français. ffNNT : 2014NICE2037ff. fftel-01255156f
- Amina Alaoui ,Poésie et musique arabo-andalouse : Un chemin initiatique, Actes Sud « La pensée de midi »
- Halima El Marzoke. Le patrimoine culturel de la Libye entre identité sociale et culturelle. Sociologie. Université de Lorraine, 2016. Français. ffNNT : 2016LORR0132ff. fftel-01434347f
- https://arabmusicmagazine.org/item/203-2020-10-13-14-06-07
- https://www.noonpost.com/content/20970
- https://www.marefa.org/%D8%BA%D9%86%D8%A7%D8%A1_%D9%84%D9%8A%D8%A8%D9%8A
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Édité par Lamine BA
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