L’enseignement de la musique en Libye
La musique partout dans le monde, est une source d’inspiration et d’équilibre émotionnel. En Libye, elle forme une mosaïque de diversité et de richesse.
Parler d'éducation musicale dans ce pays d'Afrique du Nord, nécessite de comprendre le contexte et les conditions, ainsi que les changements qui ont influencé le secteur. Le bouleversement politique des dernières années a eu un impact sur le secteur de l'éducation en général, et donc forcément sur celui de la musique dans les établissements scolaires étatiques.
La Libye est l'un des pays d'Afrique du Nord les plus diversifiés sur le plan culturel, ethnique et linguistique. Cette diversité concerne également le domaine musical.
La musique libyenne a de nombreux styles et elle épouse des langues différentes ; on y trouve notamment la musique andalouse (Merskawi et Malouf), la musique populaire (Nouba, Zamzamet et Zokra), la musique amazighe, touarègue et toubou. Toutes ces expressions musicales ethno-linguistiquement diverses, façonnent l'identité artistique des Libyens.
Jusqu’à nos jours, de nombreuses communautés transmettent oralement leurs traditions musicales ; lors des chants rituels ou religieux, pendant les déplacements (quand il s’agit des semi-nomades) et même durant les activités d’artisanat ou d’agriculture. Cependant, la diffusion orale de chant reste locale et confinée à des régions reculées. Or que les musiques tripolitaines et cyrénaïques, sont à forte documentation. La création de la radio libyenne au milieu de 1957 avec deux branches dans les villes de Tripoli et Benghazi, chacune avec un département de musique et de chant, a grandement influencé la diffusion de la chanson libyenne dite « arabe ».
L’enseignement de la musique remonte à l’ancien régime politique du colonel Maamer Kadhafi, c'est á dire de 1979 á 2011, qui autorisait les cours de musique dans les établissements scolaires. Dans toutes les régions du pays, les élèves recevaient une éducation musicale bien encadrée dans leurs écoles. Ils pouvaient apprendre à jouer aux instruments de leur choix, ou apprendre à chanter un répertoire musical adapté à leurs âges. De plus, l'école leur permettait de participer à des fêtes et des festivals scolaires, en formant des groupes musicax, tant que les leçons et répétitions sont faites dans la non mixité.
Les manuels, les plans et les calendriers scolaires étaient élaborés et certifiés sous l’égide du ministère de l’éducation. Cependant, les programmes éducatifs glorifiaient l’ancien président Kadhafi et cela a également influencé les cours de musique, qui ont été ajustés en fonction du régime politique. Les musiques libyennes traditionnelles, populaires ou folkloriques n’étaient pas destinées aux élèves. En revanche, ces derniers devaient apprendre des chansons patriotes et nationalistes, parlant de la patrie. Dans les collèges et lycées, les élèves étaient pourtant plus ouverts à d'autres types de musique que ceux pratiqués avec leurs professeurs, comme les chansons patrimoniales, uniquement en arabe (l'usage de langues autres que l'arabe était strictement interdit).
Education musical post Kadhafi
La guerre qu’a traversée le pays depuis 2011, a détruit tout le système de vie sociale. Le secteur de l'éducation a également été touché. Malgré l’importance de la matière musicale qui inculque à l’enfant, des valeurs et principes humains, elle est placée à la catégorie de l’oubli.
En 2012, la maison de Fatwa libyenne prend sa décision en ce qui concerne l’enseignement de la musique dans les établissements éducatifs du pays. Il n'est pas permis aux instituteurs.rices d'enseigner aux élèves le chant et la musique, parce que toute action accompagnée d'instruments de musique est « haram » (péché) en islam, surtout dans un contexte marqué par la domination des groupes salafistes dans tout le pays. En plus de l'incapacité du ministère à contrôler toutes ses institutions en raison de l'isolement des villes à cause de la guerre et de la destruction, la majorité des écoles surtout à l’Ouest du pays ont annulé les leçons de musique. Quant à l’Est et au Sud, chaque école détermine son propre système et décide son propre programme, en fonction des conditions socioculturelles et politiques locales.
En 2017, la vie à Benghazi est revenue à la normale et, parallèlement, les écoles ont ouvert leurs portes aux élèves qui ont été isolés à cause de la situation sécuritaire. Ils ont repris les cours de musique après la levée du contrôle islamiste, qui considérait alors la musique comme antireligieuse. Des jeunes lycéennes se sont présentées à l’école pour préparer un événement musical avec leurs professeurs pour la première fois à Benghazi après le bouleversement politique. L’événement était à la base une soirée culturelle avec des performances musicales d'une troupe musicale féminine de l’école. Sous l’encadrement de leurs enseignants de musique, elles ont pu reprendre les répétitions de musique, cette fois-ci en décidant en toute liberté le répertoire musical de leur choix. Les musiques traditionnelles de Libye, ont finalement trouvé leur place au sein du milieu éducatif, contrairement à la période avant-révolution.
À Tripoli, la capitale libyenne, après la fin de la guerre civile, un engouement pour la musique a été notée. De nombreuses familles libyennes ont inscrit leurs enfants dans des clubs de chant et de musique.
Depuis 2019, le nombre d'écoles privées ne cesse de croître. Ce secteur privé assure la sécurité des élèves et une éducation internationale de qualité sans besoin de ségréger les deux sexes, ce qui attire l’intérêt des parents qui s'ennuient de l'ancien programme éducatif et l’absence des activités culturelles dans les écoles publiques. Parallèlement, des initiatives issues du cadre pédagogique de plusieurs écoles publiques de Tripoli ont été menées pour proposer des clubs culturels d'été aux enfants. Ainsi, les élèves libyens ont réussi dans les deux secteurs étatique et privé, à reprendre les cours et les répétitions de musique avec plus de liberté, notamment, dans le choix des styles musicaux et même de la langue.
Musicologie à l’université libyenne
Loin de l’instabilité des programmes éducatifs par laquelle se sont passés les niveaux primaire et secondaire, « le département des arts musicaux » a bien résisté aux différentes périodes de guerre.
Au sein de l’Université de Tripoli et plus précisément, à la faculté des arts, les étudiants en musique bénéficient de trois filières ; l’éducation musicale, le jeu instrumental et la technique de son, à trois niveaux : licence, master et doctorat. Dans une optique académique, l’étudiant découvre les différents genres de musique libyenne en toute transparence et neutralité. Si certaines traditions musicales sont exclues dans les écoles, à l’université même les musiques folkloriques en diverses langues libyennes sont incluses. Les Libyens étudient à la faculté le solfège, l’histoire de l’art et de la musique, ainsi que le patrimoine musical libyen dans toutes ses diversités régionales, ethniques et linguistiques.
Il est donc vrai que l’enseignement de la musique en Libye est présent au niveau universitaire, mais ce domaine d'études supérieures est moins couramment pratiqué par les étudiants. Les facteurs sociaux voire les normes morales et autres coutumes entravent la liberté de choix de la jeunesse libyenne pour cette filière.
Plus encore, la participation féminine est relativement faible. Sur 34 étudiants, on ne décompte que 16 filles au département des arts musicaux. Malgré la richesse musicale que dispose la Libye, ce domaine fait encore l’objet de plusieurs critiques et clichés sociaux.
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