Les Journées Chorégraphiques de Carthage 2023 font danser la Tunisie
La cinquième édition des Journées Chorégraphiques de Carthage (JCOC) a eu lieu du 10 au 17 juin dernier. Ce rendez-vous, désormais incontournable pour les amoureux de la danse en Tunisie, réunit professionnels et amateurs de la danse ainsi que des acteurs socioculturels pluridisciplinaires pour repenser la danse dans son contexte tunisien et africain autour de divers spectacles, tables rondes et workshops.
- Sidewalks stories Theatre Municipale de Tunis- Journées Chorégraphiques de Carthage ©
Transmission
Placée sous le thème de la « Transmission », ce fil rouge a été mis en exergue, tout au long des temps forts de cette édition, notamment, lors spectacle d’ouverture « Archipel » dirigé par la chorégraphe française Mathilde Monnier. Un projet réunissant des danseurs tunisiens et français et porté, dans le cadre de la coopération culturelle, conjointement par le Ballet de Tunis et du Conservatoire National Supérieurs de Musique et de Danse de Paris, et coproduit par l’Institut français de Tunis et l’Opéra de Tunis. La notion de transmission se transparait dans les échanges intergénérationnels entre la doyenne Mathilde Monnier et les danseurs mais aussi sur le plan culturels (échanges Nord-Sud).
Repenser le vocable « Archipel » dans un contexte plus large, au diapason des imaginaires collectifs où chaque corps dansant est un ilot en soit formant un tout, est l’un des postulats abordés lors du Point presse qui s’est tenu au lendemain de cette performance artistique.
Les Journées Chorégraphiques de Carthage ont fait vibrer et danser nombreux lieux cultes de la scène culturelle tunisoise tels que le Théâtre Municipal de Tunis, le Théâtre National Tunisien Bernard Turin, le Théâtre El Hamra, la Cité de la Culture de Tunis qui se sont animés pour accueillir une line up éclectique et internationale composée de 27 pièces chorégraphiques, majoritairement tunisiennes mais également française, américaine, suisse, mozambicaine, togolaise, libanaise, malgache et marocaine. Issus de divers sous genre et styles classiques et contemporains, ces spectacles ont proposé au public tunisien, initié et profane, divers univers et lecteurs, á l’instar de l’installation hybride Corps sonores de Massimo Fusco (France) qui offrait une expérience immersive et participative á la fois sonore, chorégraphique et visuelle qui mobilise plusieurs sens, ou encore la pièce chorégraphique Jedaya (Grand- mère) du tunisien Sofian Jouini .Centré autour d'une tabouna, ce four traditionnel en terre cuite et ponctué des enregistrements de la voix de la grand-mère du danseur qui nous livre un récit intimiste qui questionne le rapport du corps á son espace dans la vie rurale. Invité á déguster le pain pétri et et cuit lors de cette performance, le public est parti prenante du processus créatif.
L’Avenue Habib Bourguiba, principale avenue de la capitale ainsi que le site archéologique Thuburbo Majus de la ville d’El Fahs (environ 60 KM au sud-ouest de Tunis) et les Berges du Lac ont également abrité plusieurs spectacles. Une démarche qui tend vers la démocratisation et vulgarisation de la pratique de la danse en Tunisie pour faire bousculer les préjugés sur le corps dansant.C’est la démarche de l’enseignant d’éducation physique et chorégraphe Ridha Rzig, qui a dirigé plusieurs spectacles de rue durant les JCOC. A la tête de la troupe Hip Hop for hope, il n’hésite pas á prendre part á la performance exécutée par ses danseurs âgés entre 10 et 15 ans et affirme trouver son bonheur dans la transmission intergénérationnelle. Hope pour espoir, jeunesse et transmission. « Le Hip hop a sauvé ma vie, depuis des années je consacre mon temps et énergie pour transmettre. Enseigner le hip hop aux enfants et un challenge technique mais aussi culturel » confie-t-il á MIAF.
Cette mise en place d'une ingénierie culturelle « d’une culture de proximité » verse dans une démarche dont la finalité est d’animer les lieux et des sites culturelles tunisiens afin de « Favoriser la dimension économique du secteur de la danse », « renforcer de la culture de l’art chorégraphique » ainsi que « Familiariser le public avec les productions artistique ».
« Le critique, meilleur ennemi de l’artiste »
Le festival a proposé également, plusieurs rencontres didactiques et pluridisciplinaires articulées autour de thèmes divers portant sur l’écosystème de la danse en Tunisie, sa place, le rôle de la médiation culturelle ou encore la pédagogie dans l’apprentissage de la danse en Tunisie. « Le critique, meilleur ennemi de l’artiste », était le thème proposé lors de la première table ronde qui portait sur le rôle du critique et sa relation avec l’artiste. Un rôle qui souffre de beaucoup de préjugés ainsi que de la méconnaissance du contrat social qui lie les deux protagonistes . "Le critique d'art n'écrit pas pour l'artiste comme l'artiste ne crée pas pour le critique. Mais chaque acteur se nourrit ou profite du travail de l'autre. D'où la nécessité pour chaque partie de connaître et de respecter le travail de l'autre. C'est sur la recherche de ce consensus qu'est né le programme NO'OCULTURES qui ambitionne non seulement de professionnaliser, de structurer et de valoriser les critiques d'art mais aussi de créer des moments d'interaction entre ces derniers et les artistes." étaye Eustache Agboton, Founder de l'agence d'ingénierie culturelle NO'OXPERTISES et du média panafricain noocultures.info (partenaire des Journées Chorégraphiques de Carthage).
Les Tables rondes posent également le postulat de la réalité socio-économique de la danse en Tunisie et son rôle social. Autour du thème « La troupe nationale des Arts Populaires à la danse populaire contemporaine », Tarek Ouni, membre de la troupe nationale depuis plus de trois décennies étaye et explique le processus de « raffinement » et « amélioration » de la danse populaire et traditionnelle. La danse devenue une vitrine touristique de la Tunisie, celle-ci subit des transformation scénique et sémantique. Dans une démarche diamétralement opposée, le danseur contemporain Mohamed Aissaoui intervient, mettant en exergue une approche plus individualiste de la danse qui se veut plus contemporaine affirmant l’appropriation de la danse populaire.
A l’instar de l’ensemble des pays africains, la danse en tant que manifestation populaire véhicule des prismes anthropologiques et fait partie intégrante de la vie des tunisiens. Cependant, elle demeure un « Parent pauvre » dans l’écosystème de l’industrie des arts.
Les Journées Chorégraphiques de Carthage interroge ainsi, « Le rôle que peuvent jouer les arts chorégraphiques dans l’élaboration d’une vision artistique et la création d’une identité ouverte sur le monde ». Cette vision propulsé et mise en avant par le ministre de la Culture tunisien dont le secteur est intiment lié á celui du tourisme.
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