L'influence de la rumba congolaise sur la scène musicale mondiale
Par Bibi Mwamba de Bantunauts Raydio
En décembre 2021, l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) a inscrit la rumba congolaise au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Cette reconnaissance internationale a été obtenue après une campagne menée par la République démocratique du Congo et le Congo-Brazzaville. La décision de l’UNESCO a réjoui les Congolais et les fans de musique congolaise dans le monde entier.
Dans cet article, nous présentons quelques exemples qui illustrent l’importance et l'influence de la musique congolaise dans le monde.
La connexion afro-cubaine
Depuis ses origines, la rumba congolaise est une musique qui connecte le Congo au reste du monde. Les pionniers de la musique congolaise se sont inspirés de la musique afro-cubaine pour créer leur propre style. En effet, la musique afro-cubaine avait été rendue populaire dans plusieurs pays africains dans les années 1930 à 1950 grâce à l’importation de disques. En particulier, la série de disques GV (Gramophone Victor) a exercé une grande influence sur ces premiers musiciens. Ils reprenaient les chansons afro-cubaines de la série GV ou s’en inspiraient pour créer leurs propres chansons. L’une des explications proposées pour la popularité de la musique afro-cubaine au Congo est que la mélodie et le rythme étaient familiers pour les auditeurs congolais et leur rappelaient les mélodies et les rythmes de leurs musiques traditionnelles. En effet, une grande partie des esclaves à Cuba venaient du royaume du Kongo qui couvrait des territoires de l’Angola, de la RD Congo et de la République du Congo et du Gabon. Ils y ont emmené et préservé leur musique. Les sonorités africaines de la musique cubaine ont séduit et inspiré nombre de musiciens africains de l’époque.
La champeta colombienne
Les années 2010 ont vu la popularité de la musique africaine monter à travers le monde. En particulier, les musiques nigérianes, ghanéennes et sud-africaines sont de plus en plus écoutées en dehors de l’Afrique, notamment au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. En Colombie, la musique africaine est populaire depuis au moins les années 70 et a même inspiré un genre musical local,appelée Champeta. En effet, c’est à cette époque que des marins et pilotes commencent à ramener des disques de musique de l’Afrique du Sud, du Nigeria et du Congo. Les DJs se mettent à jouer cette musique dans leurs sound systems et dans les fêtes. Le succès est immédiat, particulièrement à Cartagena, Barranquilla, et dans les autres villes de la côte où une grande partie de la population est afro-colombienne. Le public remplace les titres originaux par des titres en espagnol. Avec le temps, les musiciens locaux se mettent à créer leur version de la musique congolaise. Ils appellent ce style musical et la danse correspondante, « champeta ».
« Le son de la champeta est directement lié à celui de la rumba congolaise et du Zaïre, aux soukous d'Afrique centrale. C'est la même mesure. Dans sa sonorité, une grande importance est donnée à la guitare et au synthétiseur de marque Casio utilisé pour faire des bruitages », raconte Jaime Monsalve, journaliste à la Radio nationale de Colombie.
En février 2020, la chanteuse colombienne Shakira a illustré cette histoire fascinante pendant sa performance au Super Bowl. En effet, accompagnée de plusieurs danseuses, elle a dansé sur le morceau « Icha » par le congolais Syran Mbenza [NDLR : Voir la prestation à partir de 12 min 58 dans la vidéo ci-dessus]. Cette chanson est connue en Colombie sous le titre El Sebastián. La performance de Shakira a inspiré le #ChampetaChallenge sur les réseaux sociaux.
Coupé-décalé en Côte d’Ivoire : l’influence des atalaku
Le coupé-décalé est un genre de musique populaire créé par des artistes ivoiriens au début des années 2000. Parmi les influences musicales de ce genre, on retrouve le ndombolo congolais. La meilleure illustration de cette influence est la participation d’atalaku dans les chansons.
Les atalaku sont des « animateurs » dont le rôle est de rendre une chanson plus captivante et de faire danser les auditeurs. Le mot « atalaku » est un mot dans la langue Kongo qui signifie « regarder ». Le premier groupe à avoir utilisé des atalaku est le groupe Zaiko Langa Langa dans les années 80. Dans l’un des premiers titres où le groupe utilisait des animateurs, ceux-ci répétaient « Atalaku ! Tala ! Atalaku mama, Zekete » (Regarde-moi ! Regarde ! Regarde-moi, mama ! Zekete !). Le succès de leurs chansons a inspiré d’autres artistes à utiliser des atalaku et les animateurs dans les orchestres ont commencé à être appelés atalaku. Au fil du temps, les atalaku sont devenus un élément incontournable et caractéristique de la musique congolaise. Lorsque Douk Saga sort Sagacité, le premier hit de Coupé-Décalé, on y reconnait déjà cette influence des atalaku. Dans une interview sur RFI, DJ Arafat, l’un des artistes ivoiriens les plus célèbres, (Arafat décède malheureusement des suites d'un accident de moto le 12 août 2019.) a mentionné l’influence des atalaku sur son style. Le mot atalaku est même entré dans le vocabulaire de la Côte d’Ivoire et d’autres pays de la région. Mais le mot y est utilisé pour signifier « flatterie ».
La « congolisation » du rap français
À la fin des années 90, des rappeurs français originaires de la République du Congo (Congo-Brazza) se réunissent en un collectif qu’ils nomment « Bisso na Bisso » (expression lingala qui signifie « entre nous »). Ils sont parmi les premiers rappeurs français à utiliser leur culture congolaise comme inspiration pour leur rap. Pour leur album, ils collaborent avec des artistes congolais célèbres comme Papa Wemba, Koffi Olomidé et Lokua Kanza. Certains de leurs titres utilisent les sonorités des musiques congolaises. Près de 20 ans plus tard, une nouvelle génération de rappeurs issus de l’immigration congolaise continue de s’inspirer de leurs origines pour créer leur musique. Comme Bisso na Bisso avant eux, ils collaborent avec des artistes congolais, et en particulier avec Koffi Olomidé. Certaines de leurs paroles explorent les thèmes de la culture congolaise, comme la sape et incluent des mots en lingala. Cette « congolisation » s’étend à d’autres genres aussi comme le R&B français et la musique religieuse. Tous ces artistes connaissent un certain succès en Europe et en Afrique francophone. Il faut aussi noter que plusieurs de ces artistes (comme Youssoupha, Maitre Gims, et Djadju) sont les fils de musiciens congolais.
La pratique du libanga
Une autre invention des musiciens congolais qui est maintenant imitée par les artistes d’autres pays africains est la pratique du libanga. Le libanga est le fait de citer des personnalités dans les chansons. Souvent, ces personnalités paient pour que leurs noms soient cités dans des chansons. Du coup, c’est une activité lucrative pour les artistes. Les personnalités citées sont des politiciens (ou fils de politiciens), des sportifs (en particulier des footballeurs) célèbres, des commerçants et entrepreneurs, des propriétaires d’hôtels et de boîtes de nuit, etc. Cette pratique qui a commencé en RDC s’est propagée à d’autres pays, et aujourd’hui on entend des mabanga (pluriel de libanga) notamment dans des chansons ivoiriennes et camerounaises. C’est peut-être la raison pour laquelle le terme « atalaku » est devenu synonyme de flatterie dans ces pays-là.
Influence de la rumba congolaise de Nairobi au Japon
À partir des années 60, plusieurs orchestres congolais commencent à se produire et à s’installer en Afrique de l’Est : au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda. En particulier, ils s’installent à Nairobi pour y enregistrer leur musique. Ces orchestres ont exercé une influence importante sur nombre de musiciens locaux, comme les Maroon Commandos, qui imitent leur style et y apportent leur touche particulière. Jusqu’à aujourd’hui, on peut sentir cette influence dans des morceaux du groupe Sauti Sol. Les membres de ce groupe, créé à Nairobi en 2005, reconnaissent l’influence sur leur musique de musiciens congolais comme Franco Luambo Makiadi et Rhumba Japan.
Des années 1970 à 1980, la musique congolaise connait un véritable âge d’or à Nairobi. C’est à cet époque qu’un jeune étudiant japonais, Rio Nakagawa, visite Nairobi et tombe amoureux de la musique congolaise. Au micro de RFI, Rio a expliqué à Claudy Siar qu’il voulait visiter la Jamaïque parce qu’il était fan de reggae. Les billets d’avion étant trop chers pour lui, il s’est rabattu sur Nairobi où il atterrit en 1984. Il y découvre plusieurs orchestres qui font de la rumba congolaise et ressent un véritable choc. Il décide d’aller à la source de cette musique et de visiter Kinshasa. Dans la capitale du Zaïre de l’époque, Rio assiste à des performances des groupes en vogue ces années-là, entre autres, TP Ok Jazz, Viva La Musica de Papa Wemba, Victoria Eleison, Choc Star, Empire Bakuba, et Afrisa de Tabu Ley Rochereau. Le fait que chacun de ces orchestres avait son rythme, sa danse, et son style l’impressionne énormément. Rio apprend le lingala et deviendra le leader du groupe Yoka Choc Nippon, un groupe de rumba congolaise made in Japan.
Découvrez plus d’exemples de cette influence musicale dans la playlist ci-dessous.
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